Droit des marques,Propriété industrielle

« Être et avoir été » par Carole ROGER

Article St Martin

La mode est un éternel recommencement a-t-on coutume de dire.

Des marques célèbres dans les années 80, comme par exemple K-WAY, sont revenues en force quelques décennies plus tard au grand bonheur des boomers, de leurs enfants et petit-enfants, réunissant ainsi plusieurs générations sous la même bannière zippée.

Mais que se passe-t-il si ces marques sont tombées dans l’oubli, que les titres correspondants n’ont pas été renouvelés et que des tiers tentent de les déposer ?

L’existence d’une empreinte nostalgique dans la conscience collective permet-elle de conférer un droit sans dépôt ni usage ? Est-ce qu’un tel dépôt peut être considéré comme ayant été fait de mauvaise foi ?

C’est la question posée au Tribunal de l’Union Européenne dans l’affaire NEHERA (TUE, 6 juill. 2022, aff. T-250/21- Zdút/EUIPO).

En l’espèce, en 2013, Ladislav Zdút a enregistré la marque de l’Union Européenne  notamment pour des vêtements (EUIPO – eSearch (europa.eu)).

En juin 2019, plusieurs héritiers de la famille NEHERA ont engagé une demande en nullité contre cette marque, en invoquant la mauvaise foi du déposant. Ils arguaient que leur grand-père, M. Jan Nehera, avait créé en Tchécoslovaquie, dans les années 30, une entreprise de vêtements et accessoires et avait déposé, puis utilisé, une marque nationale identique. Selon eux, ce signe est resté célèbre dans tout le pays en dépit de l’absence d’exploitation pendant la période communiste, suite à la nationalisation de l’entreprise en 1946.

Cette demande en nullité fut d’abord rejetée par l’EUIPO en l’absence de preuves suffisantes de la mauvaise foi adverse, puis acceptée par la Chambre des recours.

Pour cette dernière, la marque tchécoslovaque était bien célèbre en Tchécoslovaquie dans les années 30 et Monsieur Zdút avait connaissance de la célébrité de M. Jan Nehera et de sa marque, qui conservait une certaine renommée résiduelle. Elle sanctionna ainsi l’intention parasitaire (free-riding) de Ladislav Zdút, ce dernier cherchant à tirer indûment profit de la renommée du l’ancienne marque Nehera.

Un recours fut formé par Ladislav Zdút devant le Tribunal de l’Union, recours couronné de succès.

En effet, pour le Tribunal, si une marque de l’Union européenne peut être annulée lorsqu’il est établi que son demandeur était de mauvaise foi au moment du dépôt, cette mauvaise foi doit être démontrée. La bonne foi est présumée jusqu’à preuve du contraire (TUE, 13 déc. 2012, aff. T-136/11, pelicantravel.com/OHMI – Pelikan (Pelikan)).

Aux fins de cette appréciation, la date de dépôt de la marque est déterminante et plusieurs facteurs peuvent être pris en considération tels que :

  • le contexte factuel et historique du litige,
  • le degré de protection juridique, d’usage effectif et de renommée tant de l’ancienne marque tchécoslovaque que du nom de M. Jan Nehera
  • le degré de connaissance de ces éléments par Monsieur Zdút.

En l’espèce, aucune intention malhonnête n’a été retenue et les éléments du dossier n’ont pas permis de montrer que ce dernier avait eu l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l’intention d’obtenir un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque, notamment de la fonction essentielle d’indication d’origine.

Le Tribunal n’a pu que constater l’absence de droits adverses (pas même une petite renommée résiduelle), car la marque tchécoslovaque avait été radiée en juin 1946. Elle n’était plus utilisée ni connue en 2013. Même sort pour le nom patronymique de M. Jan Nehera.

Il est certes établi que Monsieur Zdút avait choisi volontairement une marque ancienne, inutilisée et oubliée pour « rendre hommage » à l’âge d’or de l’industrie textile tchécoslovaque des années 30 et, notamment, à M. Jan Nehera. Néanmoins, le parasitisme ne peut être retenu ici dans la mesure où, en 2013, le signe ou le nom ne jouissaient plus d’une certaine renommée ou célébrité.

La famille Nehera n’a pas eu plus de succès sur le fondement d’une fraude aux droits des descendants de M. Jan Nehera, toujours faute de droits opposables.

S’agissant de la référence faite à M. Jan Nehera dans le cadre de la stratégie de communication et de marketing de son entreprise, le tribunal retient là encore, et pour les mêmes raisons, qu’il ne peut lui être reproché de chercher à bénéficier d’un quelconque pouvoir d’attraction ou de prestige sans aucune compensation financière.

Ces signes étaient totalement oubliés du public pertinent en 2013 et Monsieur Zdút a déployé un effort commercial propre afin de faire revivre l’image de cette marque et de restaurer ainsi, à ses propres frais, ladite renommée.

Aucune exploitation indue de la réputation de la marque et du nom ne peut être retenue, puisque, même si Monsieur Zdút connaissait la réputation passée de la marque et qu’il a souhaité la relancer, cette réputation n’existait plus au moment du dépôt. La connaissance ne signifie pas automatiquement la mauvaise foi.

A contrario, on se rappellera que le juge de l’Union avait reconnu une intention de tirer indûment profit de la renommée résiduelle de la marque antérieure SIMCA, alors même que celle-ci n’était plus utilisée (TUE, 8 mai 2014, aff. T-327/12), ou de la célébrité actuelle du nom patronymique NEYMAR (TUE, 14 mai 2019, aff. T‑795/17).

En conclusion, il ne suffit pas d’avoir été pour être. La célébrité se cultive, s’entretient et se prouve.

« Être et avoir été » par Carole ROGER, Conseil en propriété industrielle, Novagraaf

 

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