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“La jurisprudence de plus en plus libérale vis-à-vis de l’usage des signes de tiers dans les metatags »

par Matthieu Berguig, avocat à la Cour, spécialiste en Droit de la propriété intellectuelle et Droit des nouvelles technologies

Peut-on utiliser la marque d’un tiers dans le code source de son site internet pour en améliorer le référencement naturel dans les moteurs de recherche ? La question a animé les cours, les tribunaux et la doctrine il y a de nombreuses années – la fameuse jurisprudence relative aux “metatags”.

Il y a un quart de siècle, les auteurs rendaient compte de décisions de condamnation, aux Etats-Unis (dès 1997 dans l’affaire Playboy v. Calvin Designer) ou en Angleterre (en 2000, Road Tech Computer Systems v. Mandata), en raison de “l’appropriation délibérée” des signes distinctifs d’un concurrent dans les metatags de sites internet.

En France, dans le sillage de ses homologues anglo-saxons, la Cour d’appel de Paris a condamné en 2000, sur le fondement de la contrefaçon, une société qui avait utilisé la marque “CHANEL” dans le code source de son site de vente de produits de luxe (CA Paris, 3 mars 2000, Citycom c/ Chanel). À l’époque, des auteurs comme André Françon s’accordaient pour dire que la contrefaçon devait s’entendre “largement”.

En 2001, la même Cour a condamné une société Distrimart, qui avait utilisé dans les metatags les signes distinctifs de la société Safi dans le code source de son site, à la fois pour contrefaçon et concurrence déloyale (CA Paris, 14 mars 2001). De nombreuses autres décisions ont suivi cette tendance.

La situation a bien changé depuis. L’action en contrefaçon de marque s’est complexifiée, la loi et les juges exigeant désormais la preuve d’un usage du signe “à titre de marque” et, qui plus est, un usage “public”. De son côté, l’action en concurrence déloyale a vu ses critères évoluer, pour se détacher des conditions de l’action en parasitisme en requérant la preuve d’un risque de confusion dans l’esprit du public.

 

À l’heure actuelle, au vu de ces nouvelles exigences, la jurisprudence fait preuve d’une grande tolérance vis-à-vis de l’usage des signes distinctifs de tiers dans les metatags d’un site internet, comme en témoigne un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 19 avril 2023, dont l’analyse montre que la voie de l’action en contrefaçon (1) et celle de l’action en concurrence déloyale (2) sont fermées. Seule une action en parasitisme pourrait être envisagée (3).

 

 

1. L’usage de la marque d’un tiers en tant que metatag : pas de contrefaçon !

 En application du nouvel article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle, l’action en contrefaçon de marque suppose un usage du signe qui soit public, “dans la vie des affaires”, pour désigner des produits ou des services. En d’autres termes, un usage qui ne correspondrait pas à ces conditions – notamment un usage privé – ne serait pas constitutif de contrefaçon.

Cette solution trouve une illustration en cas d’usage de la marque d’un tiers sur un site internet dans le code source du site, comme en atteste la décision commentée dans une affaire opposant deux sociétés proposant des conseils dans le domaine des économies d’énergie.

En l’occurrence, la société RSW, titulaire d’une marque déposée en classes 37 et 42, se plaignait qu’une recherche sur ce sigle dans le moteur de recherche de Google retournait une liste de résultats comprenant le site de son concurrent Aenergia.

Un huissier avait constaté que le sigle “RSW” se trouvait à plusieurs reprises dans le code source du site internet d’Aenergia, favorisant ainsi ce référencement sur les moteurs de recherche. C’est sur cette base qu’une action fut lancée, notamment pour atteinte aux droits de RSW sur sa marque.

La Cour d’appel de Paris a toutefois refusé de condamner la société Aenergia pour contrefaçon. Selon la décision, l’usage d’une marque protégée dans le code source d’un site internet ne correspond pas à un usage public :

« Ainsi que l’a relevé le tribunal cette présence du signe RSW au sein du code source est invisible pour le consommateur des produits et services visés qui lorsqu’il consulte un site ne se rend pas sur cette page relative au contenu informatique du code source, sans lien avec les produits et services commercialisés sur ledit site. Aucune contrefaçon de marque n’est dès lors caractérisée de ce fait ».

L’arrêt est intéressant en ce qu’il considère que le consommateur, utilisateur des moteurs de recherche, serait suffisamment intelligent pour faire la part des choses et comprendre que, lorsqu’il effectue une recherche à partir de certains mots-clés, il va obtenir en retour une liste de résultats qui correspondent à différents opérateurs économiques, pas seulement celui à propos duquel la recherche a porté :

« l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif (…) sait qu’il a saisi comme mot-clé de sa recherche le terme RSW accompagné de ‘énergie’, ‘optimiseur’ ou ‘optimiseur d’énergie’ et qu’en conséquence cette recherche va générer des résultats relatifs à divers fournisseurs (…) autres que la société Rsw.net, titulaire des marques litigieuses (…) et que les produits ou services visés par lesdits liens ne proviennent pas du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ».

À vrai dire, la solution n’est pas nouvelle. Un reflux jurisprudentiel avait été constaté dès la fin des années 2000, au motif que l’usage d’une marque dans le code source d’un site n’était pas un usage “dans la vie des affaires et vis-à-vis du public” (TGI Paris, 7 janvier 2009). C’est ainsi que, par un jugement du Tribunal de grande instance de Paris de 2017, il avait été retenu que l’utilisation d’une marque protégée dans le code source d’un site internet, à titre de metatags, n’était pas contrefaisante :

« il est établi par le procès-verbal de constat en ligne et non contesté, que la société SCT a associé le terme “aquarelle” dans le code source de la rubrique “Bouquet et Aquarelle” qui a trait à la vente de fleurs associées à des accessoires de peinture de type aquarelle, matériel non couvert par la  marque et que s’agissant d’une balise invisible à la lecture de la page, il n’est pas accessible au public ». (TGI Paris, 12 octobre 2017, n° 16/04316)

Selon cette décision, faute de démonstration d’un usage à titre de marque visible pour le public, il ne pouvait pas y avoir de contrefaçon. La décision de la Cour d’appel de Paris va exactement dans ce sens. Un usage non public, non visible pour les consommateurs, ne constitue pas un usage susceptible de donner lieu à condamnation.

 

2. L’usage du signe distinctif d’un tiers en tant que metatag : pas de concurrence déloyale !

 Ce libéralisme concerne aussi le grief de concurrence déloyale. En effet, selon l’arrêt du 19 avril 2023, l’utilisation d’un signe protégé appartenant à un tiers dans le code source d’un site internet ne serait pas fautif, en l’absence de preuve d’un risque de confusion :

« En l’absence de démonstration de tout risque de confusion et de tout détournement fautif de clientèle, la seule présence incriminée des termes RSW au sein des codes sources n’est pas en soi constitutive d’un acte de concurrence déloyale ».

A rebours, dans la décision Aquarelle précitée de 2017, le Tribunal de Paris avait accueilli l’action en concurrence déloyale… dans une rédaction qui évoquait en réalité plutôt le parasitisme :

« le tribunal constate qu’en voulant favoriser son référencement naturel par l’insertion du mot Aquarelle dans le code source du site associé à sa rubrique intitulée “Bouquet et Aquarelle”, la société SCT a manifestement eu l’intention d’orienter l’internaute qui cherche les produits de la marque vers la page de son site pour se placer indûment dans son sillage et tirer profit de sa réputation. (…)

 Il s’ensuit que ces faits (…) caractérisent un comportement fautif (…) qui engage la responsabilité civile au titre de la concurrence déloyale et parasitaire de la société SCT vis-à-vis des sociétés Aquarelle qui justifient de leurs investissements intellectuels et financiers pour promouvoir et bénéficier d’une grande visibilité sur le marché des fleurs en ligne dont la société SCT a voulu délibérément profiter ».

Chacun sait que le fait de se placer dans le sillage d’un tiers pour tirer profit de ses investissements relève en réalité de l’action en parasitisme.

Or, dès 2016, la voie de l’action en concurrence déloyale paraissait se rétrécir. Par exemple, un jugement du Tribunal de grande instance, rendu dans une affaire Un amour de tapis, excluait aussi bien la contrefaçon que la concurrence déloyale, faute de démonstration d’un risque de confusion (TGI Paris, 29 janvier 2016).

Certaines décisions faisaient tout de même de la résistance, par exemple un jugement concomitant du même Tribunal, rendu à propos d’un ancien licencié qui continuait d’utiliser la marque de son donneur de licence dans les metatags de son site. Selon la décision, « l’utilisation du terme sapia dans les codes sources du site est une démarche volontaire et délibérée, qui permet à celui qui en use de bénéficier de la notoriété de celui dont elle utilise l’identification et caractérise un comportement fautif », avec à la clef une condamnation au titre de la concurrence déloyale (TGI Paris, 26 février 2016).

Ici encore, l’argumentation relevait plus du parasitisme que de la concurrence déloyale, preuve que ce fondement devait désormais être privilégié par les plaideurs.

 

3. Utilisation du signe distinctif d’un tiers en tant que metatag : un cas de parasitisme ?

Au vu des décisions suscitées, il semble que l’action en responsabilité civile pour parasitisme soit, dorénavant, le seul grief à invoquer en cas d’utilisation du signe d’un tiers dans le code source d’un site internet.

L’on sait en effet que ce fondement juridique échappe à la nécessité de rapporter la preuve d’un risque de confusion, et qu’il repose sur la preuve de l’atteinte portée à une valeur économique individualisée.

C’est en ce sens que s’est prononcée la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 7 septembre 2022 (n° 21-14.495), qui a validé la condamnation par une cour d’appel d’anciens licenciés d’une marque ayant continué à utiliser cette dernière dans le code source de leur site internet. Il s’agissait d’un « référencement abusif du mot “PANO” dans la page d’accueil de leur site web ».

 Dans l’affaire RSW, il aurait pu être soutenu que la marque en cause constituait un signe de ralliement de la clientèle. Il aurait ainsi peut-être été possible de démontrer qu’en utilisant ce sigle dans le code source de son site internet, la société Aenergia avait pour but de se placer dans le sillage de son concurrent et ainsi d’apparaître dans les résultats du moteur de recherche en cas de requête sur ce dernier.

Cela dit, l’action en parasitisme n’est pas non plus toujours facile à manier. Il est en effet indispensable de rapporter la preuve de la « valeur économique individualisée » à laquelle il a été porté atteinte. L’alléguer ne suffit pas : il faut la démontrer, chiffres à l’appui, ce qui n’est pas toujours évident, loin de là.

De même, certaines décisions exigent, au titre du parasitisme, la preuve d’une « altération fautive du référencement naturel », démonstration quasi impossible puisqu’elle implique d’établir quelle serait la position du site victime des agissements au sein des moteurs de recherche si les actes en question n’avaient pas eu lieu (CA Paris, 8 novembre 2019, n° 18/15048).

Par ailleurs, et cela va sans dire, il est indispensable, pour que l’action aboutisse, de démontrer l’utilisation du signe protégé en tant que metatag, à défaut de quoi les demandes ne pourront qu’être rejetées (TJ Paris, 10 Janvier 2020, Lafuma – n° 18/00171).

* * *

En conclusion, la solution énoncée par l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 19 avril 2023 est classique, en opposition avec ce qui était jugé au début du siècle : elle permet aux concurrents d’améliorer leur référencement naturel “en douce”, sans que les titulaires de marque n’y puissent grand-chose.

 

“La jurisprudence de plus en plus libérale vis-à-vis de l’usage des signes de tiers dans les metatags », par Matthieu Berguig, avocat à la Cour, spécialiste en Droit de la propriété intellectuelle et Droit des nouvelles technologies

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