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“La Propriété intellectuelle à l’épreuve de la Guerre”

Les tristes évènements qui touchent la population ukrainienne depuis la fin du mois de février 2022 ont provoqué un mouvement de solidarité sans précèdent dans l’histoire récente de l’Union européenne. Les offices de propriété intellectuelle ne sont pas demeurés en reste (1). La Fédération de Russie, quant à elle, a poursuivi sur le terrain de la Propriété intellectuelle sa stratégie belliqueuse (2).

  1. La prorogation des délais au profit des résidents de l’Ukraine

La suspension des relations avec l’Office russe Rospatent et l’Organisation eurasienne des brevets (OEAB)

Par la Décision n° EX-22-2 du 8 mars 2022 du directeur exécutif de l’Office du 18 janvier 2022 concernant la prorogation des délais pour les parties ayant leur résidence ou leur siège social en Ukraine, l’EUIPO a prorogé « tous les délais expirants entre le 24 février 2022 et le 31 mars 2022 inclus et concernant les parties à une procédure devant l’office ayant sa résidence ou son siège en Ukraine sont prolongés jusqu’au 1er avril 2022 ». La formulation est classique.

En revanche, les considérants sont aussi inhabituels qu’engagés, La Décision rappelle que « le 24 février 2022, la Fédération de Russie a lancé une invasion de l’Ukraine et que cette agression militaire est non provoquée et injustifiée ». Dans la foulée, l’EUIPO a annoncé la suspension de toute coopération avec l’Office russe Rospatent ainsi qu’avec l’Organisation eurasienne des brevets (OEAB).

Enfin, dans une déclaration du 10 mars 2022, l’EUIPO « se joint à l’Union européenne pour condamner, dans les termes les plus forts possibles, l’agression militaire non provoquée et injustifiée de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, et pour exiger que la Russie cesse immédiatement ses actions militaires, retire sans condition toutes ses troupes et tous ses équipements militaires de l’ensemble du territoire de l’Ukraine et respecte pleinement l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues ».

Le 3 mars 2022, l’OEB a publié un avis au même effet qui rappelle le texte de la règle 134(5) de la Convention sur le brevet européen (CBE) dans le contexte de l’agression militaire de l’Ukraine : « (5) Sans préjudice des paragraphes 1 à 4, toute partie intéressée peut apporter la preuve que, lors de l’un quelconque des dix jours qui ont précédé la date d’expiration d’un délai, la distribution ou l’acheminement du courrier ont été perturbés en raison de circonstances exceptionnelles telles que calamité naturelle, guerre, désordre civil, panne générale de l’un quelconque des moyens de communication électronique autorisés par le Président de l’Office européen des brevets conformément à la règle 2, paragraphe 1, ou pour d’autres raisons semblables qui ont touché la localité où la partie intéressée ou son mandataire à son domicile ou son siège. Si la preuve produite est convaincante pour l’Office européen des brevets, le document reçu tardivement sera réputé avoir été reçu dans les délais, à condition que l’expédition ou l’acheminement du courrier aient été effectués au plus tard le cinquième jour suivant la fin de la perturbation ».

L’OEB évoque également la règle 82quater.1 du Règlement d’exécution du Traité de coopération en matière de brevets : « Toute partie intéressée peut faire la preuve qu’un délai prévu dans le règlement d’exécution pour l’accomplissement d’un acte devant l’office récepteur, l’administration chargée de la recherche internationale, l’administration indiquée pour la recherche supplémentaire, l’administration chargée de l’examen préliminaire international ou le Bureau international n’a pas été respecté en raison de guerre, de révolution, de désordre civil, de grève, de calamité naturelle, d’une indisponibilité générale des services de communication électronique ou d’autres raisons semblables, dans la localité où la partie intéressée à son domicile, son siège ou sa résidence, et que les mesures nécessaires ont été prises dès que cela a été raisonnablement possible ».

  1. L’expropriation par la Fédération de Russie des droits de propriété intellectuelle

Le 7 mars 2022, le Gouvernement russe, par l’intermédiaire de son premier ministre Mikhail Mishustin, a annoncé son intention de recourir au régime de licence obligatoire afin de remédier à la pénurie d’approvisionnement découlant des sanctions économiques adoptées depuis le début des hostilités. Ces mesures pourraient viser tant les brevets que les droits d’auteur portant sur les logiciels (TASS, 5 mars 2022).

Sur le principe, le régime des licences obligatoires est prévu à l’article 1360 du Code civil de la Fédération de Russie, tel qu’amendé par la loi 107 du 30 avril 2021 qui permet au  gouvernement « en cas d’extrême nécessité liée à la défense et à la sécurité de l’État, à la protection de la vie et de la santé des citoyens, à utiliser une invention, un modèle d’utilité ou un dessin industriel sans le consentement du titulaire du brevet, à condition que le titulaire du brevet en soit informé et qu’une compensation raisonnable soit payée au titulaire du brevet. La méthode de détermination du montant de cette compensation et la procédure de son versement sont approuvées par le Gouvernement de la Fédération de Russie ».

Cet amendement vise, selon le Comité parlementaire chargé de l’examen de la loi, à prévenir et à atténuer les effets des sanctions économiques visant la Russie. En revanche, selon la déclaration du Gouvernement, cette compensation ne serait pas versée aux ressortissants et sociétés des États et territoires étrangers qui commettent des actes inamicaux à l’encontre de la Fédération de Russie, des entités juridiques et des personnes physiques russes au rang desquels figurent les États membres de l’Union européenne, la Grande Bretagne et les États-Unis (Décret du 5 mars 2022 n° 430-r). La Russie est membre de l’OMC depuis le 22 août 2012, de la Convention de Paris depuis le 16 mars 1965 en tant que successeur de l’Union soviétique (Notification de continuation par la Fédération de Russie : 20 janvier 1992, avec effet au 25 décembre 1991) et de l’Acte de Paris de la Convention de Berne depuis le 9 décembre 1994 et de l’Acte de Genève de l’Arrangement de La Haye depuis le 6 juillet 1999. Il est loin d’être acquis que ces initiatives soient de nature à satisfaire aux obligations internationales de la Russie.

“La propriété intellectuelle à l’épreuve de la Guerre”

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Crédit photo: Sergei Bobylyov/TASS

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