Brevets,Propriété industrielle

« Le droit de priorité, son ayant cause : un bon sens international à suivre … » par Thierry MOLLET-VIEVILLE

1/   La Convention de Paris (CP, art. 4 A à I) a créé et institué en 1883 le principe du droit de priorité au profit du déposant de sa première demande d’un titre de propriété industrielle (brevet, marque et dessin ou modèle).

Le Traité de Washington (PCT, art. 8) et la Convention sur le Brevet Européen (CBE, art. 87 à 89) l’ont également prévu en 1970 et 1973, pour le brevet sur leur territoire.

a) Tout comme le brevet lui-même, au moins selon notre droit français, ce droit de priorité constitue un droit mobilier de propriété incorporelle opposable à tous.

C’est donc un bien négociable. En 1911, la CP a confirmé son extension à l’ayant cause du déposant.

Dans quelles conditions peut-il alors être exercé et négocié ?

Entre déposant et ayant cause, ce ne peut être que par le droit des contrats qui consacre la volonté commune des parties.

Ce contrat a pour le moins une vocation internationale ; il a donc tout intérêt à être soumis et apprécié par une seule et même loi, et ce pour le monde entier.

La CP se gardant d’aborder ce sujet, cette loi devrait naturellement être celle du pays où ce droit de priorité est né.

A défaut d’en convenir autrement, il conviendrait comme d’habitude de tenir aussi compte de la nationalité du déposant et de son ayant cause, de leur domicile ou établissement, du lieu des signatures, de la langue du contrat …

C’est en ce sens que nos juges français appliquent la loi américaine pour apprécier la cession du droit de déposer à l’étranger, mais celle également du droit de priorité dans la convention soumise à la loi américaine, lorsque, par exemple, elle a été passée aux Etats-Unis entre l’inventeur américain qui a déposé sa première demande dans son pays et son cessionnaire, aussi américain, tous deux basés sur ce même territoire.

D’autre part, plusieurs pays et certaines régions prévoient à ce régime contractuel un régime légal qui s’impose et le supplante, par exemple le droit social du travail qui relèverait d’ailleurs de l’ordre international public.

C’est bien ce que, pour le droit au brevet européen, l’article 60 (1) de la CBE prévoit pour imposer, lorsque l’invention a été réalisée par un employé, une seule loi applicable (celle du lieu de l’emploi principal ou, à défaut, celle du lieu de son attachement effectif à l’établissement de son employeur).

b) Mais rappelons néanmoins deux choses :

  • Le droit au brevet et le droit à la priorité sont des droits bien distincts, même si l’un peut dépendre de l’autre.

Le droit au brevet revient généralement à l’inventeur, alors que la priorité n’existe que sur la tête du déposant de la première demande et qu’elle expire au bout d’un temps assez court.

Si c’est à l’inventeur que revient naturellement le droit de déposer une demande de brevet, la commande de son invention peut lui imposer de transférer son droit au brevet à celui qui lui avait commandé cette invention et qui en devient son légitime « ayant-cause ».

Pour autant le régime des inventeurs sur commande, qui relève de ce droit au brevet, ne peut pas être automatiquement transposé au droit de priorité qui jusqu’à maintenant n’existe pas sur la tête de l’inventeur, même s’il en est le premier.

  • D’autre part, céder une demande (nationale ou régionale) de brevet ne confère pas nécessairement le droit d’en déposer de nouvelles hors de son territoire.

 

2/         A vrai dire, né de la CP, ce droit de priorité est destiné à être exercé à l’étranger, là où la demande ultérieure va pouvoir effectivement bénéficier de sa date de priorité.

Dans ces conditions, l’ayant cause du déposant, le cessionnaire de la priorité, devra respecter les conditions dans lesquelles ces deux conventions, l’une multilatérale (PCT), l’autre régionale (CBE), reconnaissent et mettent en œuvre ce droit de priorité ; tout comme les pays de la CBE reconnaissent leur obligation de protéger selon leurs propres modalités d’exercice, les inventions non-européennes des ressortissants de la CP, de la même manière que pour leurs propres nationaux.

C’est à ce titre que l’on peut ici évoquer non plus seulement la loi d’origine, mais également la loi du pays où la protection est réclamée :

  • ne pas violer l’ordre international public de ce pays destinataire, notamment en matière de droit social du travail ;
  • remplir convenablement les formalités locales pour revendiquer ce droit de priorité (copie, traduction, délais, taxes …).

En Europe, pour la cession de la demande de brevet européen, l’article 72 de la CBE impose un écrit signé par les parties contractantes, ce qui effectivement en facilite la preuve, si elle devient nécessaire.

Pour autant cette exigence de l’écrit n’est pas dans ce traité international expressément sanctionnée par la nullité de cette cession, contrairement à la loi française (CPI, L. 613-8 § 5) selon son principe « pas de nullité sans texte ».

Mais ni cette exigence formelle ni les autres droits de propriété prévus aux articles 71, 73 et 74 de la CBE ne sont prévus pour le droit de priorité et son ayant cause, surtout lorsque le brevet a été définitivement délivré.

C’est pourquoi la Cour de Paris a déjà pu apprécier la cession notamment du droit de priorité aux termes de conventions conclues selon le droit américain, entre des employés américains et leur employeur tous établis dans ce même pays.

Au vu de consultations émanant de juristes américains, cette Cour a même admis que la cession du droit de priorité pouvait en effet être implicite à condition qu’elle soit certaine ; tel serait le cas lorsqu’elle résulte notamment d’obligations de faire, quand bien même elles auraient été conclues avant que cette priorité ne naisse sur la tête des inventeurs premiers déposants aux USA.

Certes le droit de priorité est éphémère. Il paraît néanmoins sage de respecter le principe fondamental de l’autonomie de la volonté des parties qui peuvent être toutes d’accord pour céder et acquérir un droit à naître, quitte à se confirmer mutuellement un tel transfert, même lorsqu’il a expiré.

En définitive, le simple bon sens devrait semble-t-il imposer :

  • d’accorder aux inventeurs étrangers ressortissants de la CP un titre juridique comme à ses propres nationaux,
  • mais d’appliquer une seule loi pour régir et apprécier un contrat convenu entre plusieurs personnes sur l’un des attributs du droit conféré par le dépôt d’origine de la première demande, et ce pour le monde entier.

3/         Reste la délicate question de compétence et de pouvoir de l’autorité pour apprécier le fond (dont le contenu) et la forme (dont le mode de preuve) de cette cession, dont la sanction n’est en principe que la perte de la date de priorité, mais non la nullité de son titre.

a) Les juges français se sont heureusement et depuis longtemps considérés compétents pour statuer sur ces cessions de priorité, quitte à appliquer effectivement la loi d’origine, convaincus de la réalité, même seulement implicite, de la volonté des parties de convenir du transfert effectif entre elles – non seulement du droit de déposer à l’étranger – mais également du droit de priorité, surtout du temps de son existence telle que prévue par nos conventions internationales.

b) Le défaut de priorité ne constituant pas un motif d’opposition, l’OEB n’est pas compétent pour statuer sur le contenu et la portée de la convention invoquée pour le transfert de ce droit, l’un des attributs de cette propriété incorporelle opposable à tous y compris après la délivrance définitive du brevet.

Pourtant les offices sont en général compétents pour statuer sur le défaut de nouveauté ou d’activité inventive d’un brevet non encore définitivement délivré.

Et pour cela, l’office doit naturellement connaître la date à laquelle se termine l’état de la technique opposable à la demande pour savoir si un document intercalaire peut en détruire sa brevetabilité.

Mais, faut-il pour autant admettre qu’un office a le pouvoir d’aller au-delà du simple contrôle formel de la régularité de la revendication sur son territoire ?

On pourrait imaginer de suivre la règle admise devant plusieurs offices, selon laquelle le demandeur est réputé habilité à exercer le droit invoqué devant lui [voir par exemple, CPI, art. L. 611-6 CPI et CBE,art. 60 (3)].

Il n’en serait autrement que si de manière manifeste et évidente, ce demandeur n’a pas droit au bénéfice d’une priorité.

C’est bien le cas lorsque le déposant PCT et CBE n’est pas le même que l’inventeur déposant de la première demande aux Etats-Unis.

L’inexistence du transfert de la priorité invoquée apparaît d’autant plus manifeste et évidente, lorsque l’entreprise déposant ses demandes PCT et CBE a elle-même déclaré à l’OEB qu’aucun contrat de cession ou de travail n’existait avec son employé déposant aux Etats-Unis.

Dans ces conditions, s’il une existe une antériorité pertinente entre cette priorité américaine et le dépôt en Europe, il apparaît intéressant ne serait-ce que sur le plan pratique et dans l’intérêt de tous, de connaître l’avis d’un tel office sur la date exacte dont la demande en Europe peut en réalité bénéficier.

Puis, si l’office décide de révoquer la délivrance d’un tel brevet notamment pour défaut de nouveauté au vu de l’antériorité intercalaire, une révision judiciaire devrait encore être offerte à la victime de cette révocation [voir ADPIC, art. 32 et 41.4].

S’agissant de l’INPI, la Cour de Paris devrait pouvoir connaître d’un tel recours, cette fois-ci judiciaire, pour apprécier pleinement le fond et la forme de la cession, même étrangère.

Qu’en sera-t-il de l’OEB dont la Grande Chambre va bientôt donner son avis ?

Qu’en sera-t-il de la JUB où le défaut du transfert de la priorité qui entraîne le défaut de brevetabilité, serait une défense relevant alors de sa compétence « exclusive » [voir l’art. 32-1. a) de l’Accord] ?

On pourrait imaginer, suivant le principe équitable, que le juge de l’action est aussi celui de l’exception, que la JUB doive se saisir de ce moyen de défense, quitte à se contenter de débouter le demandeur en contrefaçon, sans pour autant accorder un effet « erga omnes » ni une autorité de la chose jugée (res judicata) à son appréciation sur la cession de la priorité.

c) Enfin, la décision du premier juge saisi de cette cession devrait sinon s’imposer, du moins être retenue et prise en considération par toutes les autres juridictions.

C’est la même question qui se pose en matière de licence FRAND.

4/         C’est bien là que le droit international privé, connu notamment dans les Conventions de Vienne et de Rome pour tous les contrats, devrait avec bon sens être retenu, ne serait-ce que parce que ce droit international privé est accepté et pratiqué par la plupart des pays, au moins en Europe.

A suivre

« Le droit de priorité, son ayant cause : un bon sens international à suivre … » par Thierry MOLLET-VIEVILLE, Avocat à la Cour – DTMV, Ancien président de l’AIPPI et de l’AFPPI.

 

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