Droit des marques,Propriété industrielle

“Le risque de confusion mis au tapis par un personnage de film” par Pierre COPPIN

La neutralisation conceptuelle du risque de confusion a encore frappé et a récemment conduit à rejeter, par KO, deux oppositions formées contre des dépôts de marque de l’Union européenne incluant le terme « ROCKY ».

Les demandes de marque de l’Union européenne « ROCKY » n°018203110 et  n°018203438, déposées le 28 février 2020, ont fait l’objet d’oppositions, vis-à-vis des boissons non alcoolisées et bières couvertes en classe 32.

Ces deux oppositions ont été rejetées par la Division d’opposition de l’EUIPO à la fin de l’année 2021 :

  • Non pas au titre de la comparaison des produits qui étaient identiques ou similaires (classe 32) ;
  • Non pas au titre de l’absence de ressemblances, les similitudes ayant été établies entre les signes à degré moyen sur le plan phonétique et à degré faible sur le plan visuel ;
  • Mais du fait de la différence conceptuelle née de la connaissance par le public, du personnage de film « Rocky ».

Il est un principe jurisprudentiel bien établi, au sein des arrêts du Tribunal de l’Union Européenne (TUE), que les différences conceptuelles entre deux signes peuvent neutraliser des similitudes visuelles et phonétiques entre eux, pour autant qu’au moins l’un de ces signes a, dans la perspective du public pertinent, une signification claire et déterminée, de telle sorte que ce public est susceptible de la saisir directement.

Dans ce contexte, le TUE et la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) ont estimé qu’une demande de marque peut être différente conceptuellement lorsqu’elle sera associée par le public au nom d’une personnalité célèbre et qu’une telle différence peut, dans certaines circonstances, neutraliser les similitudes visuelles et phonétiques des signes comparés.

Tel a été le cas tout d’abord dans les arrêts du TUE n°T554/14 du 26 avril 2018 et de la CJUE n°C449/18 P – C474/18 P du 17 septembre 2020, à l’issue desquels le risque de confusion a été rejeté entre la demande de marque opposée et des marques de l’Union européenne antérieures MASSI, au motif de la différence conceptuelle créée par l’association, par une partie significative du public pertinent, du terme « MESSI » au nom du célèbre joueur de football, ce malgré les similitudes visuelles / phonétiques des signes et l’identité / la similarité des produits d’habillement et d’appareils de protection respectivement couverts.

Plus récemment, le TUE a statué dans un arrêt n°T368/20 du 16 juin 2021 que la demande de marque MILEY CYRUS « est dotée, pour le public pertinent, d’un contenu sémantique clair et déterminé étant donné que celle-ci fait référence à un personnage public de renommée internationale [chanteuse et actrice] connu par la plupart des personnes informées, raisonnablement attentives et avisées », de façon à créer des différences conceptuelles pouvant neutraliser les similitudes visuelles et phonétiques avec la marque antérieure , pour le public concerné.

Cette neutralisation conceptuelle n’est pas sans limite pour autant et l’EUIPO a ainsi statué dans une décision d’opposition SPARK / STARCK en 2021, que l’arrêt du TUE n°T554/14 (MASSI / MESSI) ne peut s’appliquer à cette opposition en ce que « la prétendue renommée du demandeur, Philippe Starck, comme une star du design ne peut s’étendre automatiquement à la marque verbale ‘STARCK’ ».

S’agissant des demandes de marque « ROCKY » et  , la référence conceptuelle des signes ne portait pas sur une personnalité réelle, à l’instar des chanteuse et footballeur précités, mais sur un personnage de fiction.

Selon la Division d’opposition de l’EUIPO, la grande majorité du public concerné (si ce n’est la totalité) percevra l’élément “Rocky” comme le personnage principal d’une série de films de renommée internationale, à savoir le boxeur Rocky Balboa incarné par Sylvester Stallone.

Cette référence claire et spécifique (renforcée par le graphisme d’un boxeur dans le signe semi-figuratif), a été jugée suffisante pour contrebalancer les similitudes visuelles / phonétiques entre les signes et pour participer à écarter le risque de confusion avec la marque antérieure (qui connaissait également une différence de nombre de lettres).

Nous pouvons nous questionner sur la limite du principe jurisprudentiel de la neutralisation conceptuelle du risque de confusion, dans la mesure où la référence intellectuelle touche, dans ces décisions d’opposition, à la culture filmographique du public consommant des boissons non alcoolisées et des bières.

Ces décisions démontrent en tout état de cause que le personnage « Rocky » ne manque pas de punch, plus de 45 ans après la sortie du premier opus cinématographique.

“Le risque de confusion mis au tapis par un personnage de film” par Pierre COPPIN, CPI – French and European Trademark Attorney chez NOVAGRAAF FRANCE

L’article a été publié sur le Novagraaf.com/fr le 14 mars 2022

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