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“Métamorphose : Facebook mue en META” par Frédéric GLAIZE

De façon analogue à la mutation de Google en Alphabet en 2015 face à la diversification de ses activités, la société Facebook Inc. qui exploite le réseau social éponyme ainsi que WhatsApp, Instagram et Oculus, a annoncé le 28 octobre 2021 l’adoption d’un nouveau nom, META, associé à un logo constitué d’une double boucle.

Facebook n’en n’était pas à sa première évolution identitaire. Née Thefacebook dans une chambre d’Harvard le 2 février 2004, la société perd son article définitivement en 2005 (après l’achat du nom de domaine facebook.com pour 200 000 USD). L’identité du plus gros des réseaux sociaux évoluera ensuite uniquement sur le plan visuel, via un travail typographique : la police de caractères Klavika créée par Eric Olson est remplacée en 2015 par une police plus aseptisée.

(source : Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Facebook#Identit%C3%A9_visuelle )

Le passage à META est, cependant, un changement qui relève d’une toute autre dimension.

Quoi que l’on puisse penser du nom choisi, du logo ou de l’intérêt réel d’un métavers tel que présenté comme la nouvelle orientation de la société de Mark Zuckerberg, l’annonce d’un changement d’identité de cette ampleur ne peut laisser indifférent lorsqu’on envisage l’opération sous le prisme du droit des marques. En fait, le choix du nom et la simplicité du logo ne peuvent que susciter un certain vertige chez le juriste qui cherche à imaginer ce que représentent des recherches d’antériorité dans un tel contexte. En octobre 2018, Facebook indiquait que son réseau social avait 2,27 milliards d’utilisateurs actifs par mois dans le monde. La plateforme est accessible dans plus d’une centaine de langues. Et ce vertige ne peut que s’accentuer si l’on considère la pression qui accompagne cette mutation.

Un amoncellement de difficultés qui place la barre très haut

Le changement d’identité d’un groupe d’envergure mondiale est une recette bien plus difficile à réussir qu’un soufflé : trouver un nom qui soit à la fois intelligible, sans connotation négative locale[1] et juridiquement disponible dans tous les territoires d’intérêt est un exercice périlleux. Sa complexité est proportionnelle à l’étendue géographique de l’opération. Facteurs optionnels pour corser l’exercice : le fait que l’entité en mue soit une société cotée (en l’occurrence au NASDAQ) ou que le changement intervienne pour faire évoluer une image de marque controversée (les révélations de Frances Haugen succédant à l’affaire Cambridge Analytica), au point que la marque « Facebook » serait perçue en interne comme un fardeau.

Pour corser le tout, le nom retenu est un terme qui est à la fois convoité et largement employé. Le préfixe d’origine grecque (μετά) qui, selon le contexte sera compris comme signifiant profond, grand ou faisant référence à un niveau d’abstraction supérieur (tels les méta-tags et autres métadonnées). Ce terme a donc connotation positive, dont la signification est aisément comprise dans plusieurs langues. Mais cela signifie également qu’il est usuellement employé comme préfixe de nombreux termes du langage courant ou scientifique (métaphysique, métalangage, métamorphose…) et apparait au sein de divers signes distinctifs (on peut penser au célèbre site américain de synthèse de tests Metacritic et pour la quantité pure, on notera que la méta-base Global Brand Database de l’OMPI renvoie 1531 occurrences lors d’une recherche sur « meta* »[2]).

En bref, Facebook pouvait difficilement donner à son équipe juridique une mission plus périlleuse et ardue que de sécuriser l’adoption de cette nouvelle identité.

Dresser un plan de bataille

Pour des opérations d’une telle envergure, une stratégie bien balisée doit impérativement être établie à l’avance afin de déterminer la portée et les modalités des recherches d’antériorités à mener (idéalement sur plusieurs noms-candidats en shortlist), dresser un retro-planning (dont le point de mire sera le jour de l’annonce publique, ou « reveal ») et tracer des voies de repli, en pilotant un budget qui devra prévoir une réserve rapidement disponible pour les actions de libération.

L’évolution des services de consultation de bases de données des Offices n’enlève rien à la délicatesse de l’exercice consistant à procéder à des recherches d’antériorité, de par la multiplicité des facteurs à prendre en compte pour analyser sérieusement la pertinence des résultats identifiés. Aussi stéréotypé que cela puisse paraître en l’énonçant ainsi, l’exercice requiert de faire preuve d’esprit d’analyse puis d’esprit de synthèse.

Lorsque, comme en l’espèce, la tâche est d’une ampleur peu commune, on se doute qu’il faudra une équipe expérimentée s’appuyant sur un réseau afin de mener les recherches requises. Le volume des données à traiter s’avère sans cesse croissant (selon les statistiques synthétiques de l’OMPI, 15,2 millions de demandes de marques ont été déposées dans le monde en 2019 et pour prendre le seul exemple des marques nationales française, la barre des 100.000 dépôts annuels a été allégrement franchie en 2020 malgré la crise sanitaire), spécialement dans les classes de produits et services pertinentes pour dans le domaine des technologies de l’information.

Avancer masqué

Toute fuite peut compromettre la viabilité du projet.

Pour une opération aussi sensible, le secret doit être étroitement gardé. Comme pour les M&A, on tombe alors dans les opérations connues en interne sous des noms de code.

Même une fois que les recherches ont été effectuées, l’obtention de résultats intelligibles n’est qu’une première étape : il est rarissime qu’aucun obstacle n’ait été identifié. En l’espèce, les facteurs évoqués plus hauts rendent cette hypothèse optimiste particulièrement improbable.

Une deuxième phase pourra intervenir, pour sécuriser juridiquement la situation en amont du reveal : il s’agira généralement de racheter des droits ou d’en libérer par des actions en nullité ou en déchéance. Conserver le secret de l’opération reste impératif tout en prenant une tournure plus délicate.

Le moyen le plus évident de protéger une marque sans être rapidement repéré lors de son inéluctable publication réside dans un recours opportun au système de Priorité prévu par la Convention d’Union de Paris. Mais des stratégies allant bien au-delà d’un premier dépôt dans un pays n’ayant pas de base facilement ou rapidement accessible ont été imaginées (cf. les pistes données par Marty Schwimmer).

En l’espèce, l’orientation vers le « métavers » était bien soulignée dans un article de The Verge publié quelques jours avant l’annonce de Mark Zuckerberg (The Verge, 19 octobre 2021), qui précisait que le nouveau nom était un secret bien gardé même à l’égard de hauts dirigeants. L’article pariait sur le nom « Horizon ».

Une marque déjà dans l’escarcelle

Certains droits des marque sur le terme META étaient déjà dans le giron des Zuckerberg : en 2017, Chan Zuckerberg Initiative LLC avait acquis la société canadienne META Inc, détentrice d’une marque américaine déposée en 2015 et enregistrée sous le n°5548121 pour certain services des classes 35 et 42[3]. Le transfert de propriété de la marque elle-même est intervenu par un contrat de cession du 16 avril 2021.

Un nouveau logo

Cerise sur le gâteau, le changement porte également sur l’adoption d’un nouveau logo.  Intuitivement, on peut penser que plus le graphisme se veut simple, et plus le risque de ne pas sortir du lot est grand. Depuis un certain temps, les recherches parmi les marques figuratives sont techniquement facilitées par des méthodes d’intelligence artificielle, qui peuvent compléter le recours à la Classification de Vienne au travers de laquelle sont indexés les éléments figuratifs des marques. Il en va de même pour les recherches qu’il convient de mener parmi les dessins et modèles, au moins pour ceux enregistrés dans la Classe de Locarno 32, dans les pays qui le permettent.

Moins simple, mais à ne pas négliger en pareil cas, des recherches documentaires hors des bases des Offices auront vocation à traquer les motifs identiques ou proches afin de cerner les risques liés au droit d’auteur. La difficulté particulière de l’espèce tient non seulement à la simplicité du motif mais également à la très forte exposition de l’ex-Facebook, lesquelles risquent de faire naître des griefs chez ceux qui peuvent employer des graphismes analogues sans les avoir déposés.

Metaverse et douche froide ?

Pour des opérations d’acteurs aussi exposés, le risque de voir ses choix contestés est amplifié par les réactions circulant sur les réseaux sociaux. Le paradoxe pour Meta sera de ne pouvoir utilement répliquer en faisant valoir des points de droits face aux réactions souvent plus épidermiques que bien fondées.

Parmi les réactions et effets qui ont suivi le dévoilement du nom Meta et du logo l’accompagnant, on a ainsi pu noter :

Tout bien considéré, quelques jours après l’annonce, cela reste fort modeste et peu gênant.

Et au-delà ?

Sans doute plus compliquée sera la capacité de Meta à construire les marques de ses futurs produits et services selon une structure basée sur l’usage de META en préfixe, comme cela semble être son intention.

L’acronyme GAFAM qui identifie les géant du web dont cette société fait partie est-il amené à évoluer ? Les paris restent ouverts, étant rappelé que le G de Google n’y a pas été remplacé par le A d’Alphabet.

Métamorphose : Facebook mue en META de Frédéric GLAIZE, conseil en propriété industrielle chez Plasseraud IP

[1] En hébreu, le terme meta évoque la mort : https://www.bbc.co.uk/news/world-59090067

[2] Au premier novembre 2021, sans aucun autre filtrage.

[3] La demande de marque américaine n°97097363 déposée le 28 octobre 2021 par Facebook Inc. vise des produits et services des classes 9, 28, 35, 38, 41, 42 et 45.

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TeamBLIP!

4 thoughts on ““Métamorphose : Facebook mue en META” par Frédéric GLAIZE

  1. Merci Gabriel!

    Quelques compléments et mises à jour :
    – l’assembleur de PC américain dénommé META PC se dit prêt à se délester de sa marque pour 20 millions de dollars (https://twitter.com/ZackShutt/status/1455140339069558791)
    – en Polynésie, le cabinet d’avocats Metal.legal propose ses services en matière de PI et en lien avec le métaverse (https://twitter.com/LeoPeuillot/status/1456500851128750082)
    – statistiques relatives au nombre de dépôts de marques : l’OMPI indique qu’entre 2019 et 2020 le nombre de dépôts de demandes d’enregistrement de marques a cru de 13,7% pour dépasser 17 millions ( https://www.wipo.int/pressroom/fr/articles/2021/article_0011.html?utm_source=Bulletins+d%E2%80%99actualit%C3%A9s+de+l%E2%80%99OMPI )

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