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“Moonboots : this is Luxembourg calling!” par Stefan MARTIN

TUE, 19 janv. 2022, aff. T-483/20, Tecnica Group SpA c/ EUIPO, :EU:T:2022:11

Bref rappel des faits

Créée en 1969 par Giancarlo Zanatta, inspirée par les bottes des astronautes de la mission « Apollo 11 » qui ont résidé sur la lune du 20 au 21 juillet 1969, devenue un objet iconique de la pop culture, figure de proue du rétrofuturisme exposée au Louvre en 2000 et au MoMa en 2018, la Moonboot s’est trouvée au cœur d’un litige qui a cheminé de Venise à Luxembourg en passant par Alicante.

Le 2 août 2011, Tecnica Group SpA, une société de droit italien, a présenté à l’EUIPO une demande d’enregistrement de la marque de forme reproduite ci-après en relation avec inter alia des chaussures. La marque contestée a été enregistrée le 20 mars 2012. Le 28 juillet 2014, Zeitneu GmbH, une société de droit suisse a saisi le tribunal de Venise d’une action en déclaration de non-contrefaçon. Par jugement du 22 novembre 2016, le tribunal de Venise a débouté la société suisse et statué qu’il existait un risque de confusion entre la marque contestée et les chaussures fabriquées par cette dernière. Le jugement a été confirmé par un arrêt de la Cour d’appel de Venise rendu le 7 mars 2019. Dans l’intervalle, la société suisse a introduit devant l’EUIPO une demande en nullité de la marque contestée, laquelle a été accueillie partiellement par une décision de la division d’annulation pour les produits suivants « Chaussures, semelles, premières, talonnettes pour chaussures, empeignes ». La décision a été confirmée par la chambre de recours (EUIPO, ch. rec., 18 mai 2020, 1093/20191, Shoes (3D)).

Pour l’essentiel, la chambre a jugé que la marque contestée ne divergeait pas d’une manière significative des normes du secteur, c’est-à-dire des modèles de bottes après-ski. En ce qui a trait à l’arrêt de la Cour d’appel de Venise du 7 mars 2019, la chambre a jugé qu’elle n’était pas liée par ses conclusions dès lors que la Cour avait statué dans le cadre limité d’une action en déclaration de non-contrefaçon et ne s’était pas prononcée sur la question de la validité de la marque. La société italienne a saisi le tribunal de l’Union d’une demande de nullité de la décision de la première chambre. Pour l’essentiel, la société italienne fait valoir que la chambre ne pouvait se saisir de la question de la validité de la marque en raison de l’autorité de la chose jugée se rattachant à l’arrêt de la Cour d’appel de Venise. L’argument n’a pas eu l´heur de séduire le tribunal qui rejette le recours. Sur le fond, la facture du jugement est classique. La marque reproduit une botte dont la forme ne diverge pas d’une manière significative de l’apparence d’une botte après-ski (TUE, 19 janv. 2022, aff. T-483/20, Tecnica Group SpA c/ EUIPO, :EU:T:2022:11, points 99-101). En revanche, les réponses apportées par le tribunal aux questions procédurales sont plus intéressantes.

De la prétendue violation du principe de l’autorité de la chose jugée

Par son premier moyen, la société italienne soutient que la chambre a méconnu l’autorité de la chose jugée de l’arrêt de la Cour d’appel de Venise. Le principe de l’autorité de la chose jugée (res judicata) est reconnu par le droit des marques de l’Union : « En outre, il y a lieu de rappeler l’importance que revêt, tant dans l’ordre juridique de l’Union que dans les ordres juridiques nationaux, le principe de l’autorité de la chose jugée. En effet, en vue de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que des décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour ces recours ne puissent plus être remises en cause » (CJUE, 21 juill.2016, aff. C-226/15P, Apple and Pear Australia and Star Fruits Diffusion v EUIPO (ENGLISH PINK), EU:C:2016:582, point 51).

Le principe est visé par l’article 63, paragraphe 3, du RMUE qui dispose qu’« une demande en déchéance ou en nullité est irrecevable lorsqu’une demande ayant le même objet et la même cause a été tranchée sur le fond entre les mêmes parties soit par l’Office soit par un tribunal des marques de l’Union européenne visé à l’article 123 et que la décision de l’Office ou de ce tribunal concernant cette demande est passée en force de chose jugée ». En l’espèce, le tribunal de l’Union constate que les juridictions italiennes n’ont pas été saisies et au demeurant ne pouvaient être saisies de la validité de la marque en raison de l’article 127, paragraphe 2, du RMUE qui dispose que : « La validité d’une marque de l’Union européenne ne peut être contestée par une action en déclaration de non-contrefaçon ». Le texte fait écho à l’article 59, paragraphe 1, du RMUE qui précise que la nullité d’une marque de l’Union européenne ne peut être soulevée que dans le cadre « d’une demande présentée auprès de l’Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon ». On notera que cette absence de compétence a été reconnue par la Cour d’appel de Venise : « Ainsi, en l’espèce, des lors que Zeitneu a déposé une action en déclaration de « non-contrefaçon » et que Tecnica n’a pas engagé d’action en contrefaçon, la validité de la marque tridimensionnelle de Tecnica ne peut être discutée » (Cour d’appel de Venise, Division de la propriété intellectuelle, 7 mars 2019, aff. 1925/2017, page 16 (notre traduction))

De l’obligation de prendre en considération la jurisprudence émanant des États membres portant sur des marques identiques ou similaires

Par son second moyen, la titulaire de la marque reproche à la chambre de recours de ne pas avoir suivi l’arrêt de la Cour d’appel de Venise et d’avoir manqué à son obligation de motivation. Il y a près de quinze ans, la Cour de justice avait retoqué l’argument en jugeant que « le régime du droit de l’Union des marques est un système autonome, constitué d’un ensemble de règles et poursuivant des objectifs qui lui sont spécifiques, son application étant indépendante de tout système national. Par conséquent, le refus d’enregistrement doit être apprécié uniquement sur le fondement de la réglementation de l’Union pertinente et les décisions nationales antérieures ne sauraient en toute hypothèse remettre en cause ni la légalité de la décision litigieuse ni celle de l’arrêt attaqué » (CJCE, 25 oct. 2007, aff. C238/06, Develey/OHM, EU:C:2007:635, points 65 et 66).

Cinq plus tard, la Cour nuançait sa position. Dans une affaire mettant en cause la renommée de la marque « Botox » au Royaume Uni, la Cour a statué qu’une décision rendue par l’Office britannique peut être pertinente quant aux constatations de faits susceptibles d’établir la renommée de la marque dans cet État (CJUE, 10 mai 2012, aff. C100/11, L’Oréal SA c/ OHMI, EU:C:2012:285, point 78). On notera que cette position avait précédemment été adoptée par le Tribunal : « Si les chambres ne sont pas liées par les jugements rendus par les juridictions des États membres, ces dernières décisions, sans être contraignantes ou même décisives, peuvent néanmoins être prises en considération par l’OHMI, en tant qu’indices, dans le cadre de l’appréciation des faits de la cause » (TPICE, 21 avr. 2004, Concept/OHMI (ECA), T127/02, EU:T:2004:110, point 70 ; TPICE, 9 juill. 2008, Reber/OHMI – Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (Mozart), T304/06,  EU:T:2008:268, point 45 ; TUE, 13 sept. 2010, T-292/08, Inditex v OHMI – Marín Díaz de Cerio (OFTEN), EU:T:2010:399, 84-85 ; 15/7/2011, T-108/08, Zino Davidoff v EUIPO – Kleinakis kai SIA (GOOD LIFE), EU:T:2011:391, 22-25 ; TUE, 25 oct. 2012, riha/OHMI – Lidl Stiftung (VITAL&FIT), T552/10, EU:T:2012:576, point 66 :  TUE, 18 mars 2016, aff. T‑501/13, KarlMayVerlag GmbH c/ OHMI, EU:T:2016:161, point 36).

Examiner ne veut pas dire suivre aveuglement. Ainsi, le tribunal a censuré une décision de la première chambre qui avait adopté la solution retenue par un arrêt de la Cour suprême allemande portant sur la même marque « Winnetou » et la même cause (le caractère descriptif du signe pour les produits de l’imprimerie, la production de films, la publication et l’édition de livres et de magazines) (TUE, 18 mars 2016, aff. T 501/13, KarlMayVerlag GmbH c/ OHMI, EU:T:2016:161, point 42). Le tribunal a jugé que la chambre pouvait certes s’inspirer de la décision de la juridiction suprême allemande, mais qu’elle ne pouvait pas l’endosser sans autre forme analyse : « Dès lors, ces éléments contreviennent à la jurisprudence rappelée aux points 34 à 36 ci‑dessus en ce que la chambre de recours a accordé aux décisions des juridictions allemandes non pas une valeur indicative en tant qu’indices dans le cadre de l’appréciation des faits de la cause, mais une valeur impérative quant au caractère enregistrable de la marque contestée » (Ibid., point 42).

Au fil du temps, la jurisprudence du tribunal a évolué vers davantage de considération pour les jugements des juridictions des États membres.  Ce qui n’était à l’origine qu’une faculté est devenu une obligation. L’Office, y compris les chambres, est tenue dans la mesure où les parties y ont fait référence, de prendre connaissance et d’examiner le jugement ou l’arrêt provenant d’une juridiction d’un État membre. Ainsi, dans le contexte de l’affaire Lv Bet  Zaklady Bumkacherskie, le Tribunal a statué que si la chambre entend s’écarter de la solution adoptée par un tribunal ou une cour de l’un des États membres, elle doit motiver la ou les raisons justifiant cette divergence (TUE, 29 nov. 2018, aff T-373/17, Louis Vuitton Malletier c/ EUIPO, EU:T:2018:850, points 44, 50, 51). Fondée sur le principe de « bonne administration », cette obligation avait été reconnue par la Cour quelques mois plus tôt à l’égard de la prise en compte de décisions antérieures de l’Office reconnaissant la renommée de la marque antérieure : « Dès lors que ces instances décident de retenir une appréciation différente de celle adoptée dans de telles décisions antérieures, il leur appartient, eu égard au contexte dans lequel elles adoptent leur nouvelle décision, l’invocation de telles décisions antérieures faisant partie dudit contexte, de motiver explicitement cette divergence par rapport auxdites décisions » (CJUE, 28 juin 2018, aff. C564/16, EUIPO c/ Puma S.E. , EU:C:2018:509. point 66). Il demeure que les chambres conservent tout latitude décisionnelle, et comme le constatent régulièrement la Cour et le Tribunal, « aucune disposition du [RMUE] n’oblige l’[EUIPO] à parvenir à des résultats identiques à ceux atteints par les administrations ou juridictions nationales dans une situation similaire ». Il n’est d’ailleurs pas exclu « qu’en raison de différences linguistiques, culturelles, sociales et économiques, une marque qui n’est pas protégée dans un État membre le soit dans un autre État membre ou à l’échelle de l’Union » (TUE, 26 fév.. 2016, aff. T-210/14, Gummi Bear-Rings, EU:T:2016:105, point 83).

Cette obligation de motivation est rappelée par le tribunal dans le jugement rapporté : « l’EUIPO doit prendre en considération les décisions prises sur des demandes similaires et s’interroger avec une attention particulière sur le point de savoir s’il y a lieu ou non de décider dans le même sens » (TUE, 19 janv. 2022, aff. T-483/20, Tecnica Group SpA c/ EUIPO, :EU:T:2022:11, points 47-48). Or, en l’espèce, le tribunal constate que la chambre a pris connaissance des jugements et arrêt italien et a constaté qu’ils ne s’étaient pas prononcés sur la question du caractère distinctif intrinsèque de la marque contestée à la date de son dépôt. Quant à l’argument soulevé par la titulaire que la chambre aurait omis de considérer les constations de la Cour d’appel de Venise relatives à la renommée et au caractère distinctif de la marque contestée, le tribunal note que la renommée de la marque n’est pas pertinente dans le cadre de l’examen du caractère distinctif inhérent de la marque (Ibid, point 49).

Conclusions

On retiendra du jugement commenté que l’époque où les chambres de recours pouvaient ignorer la jurisprudence des États membres en répétant inlassablement que « le régime des marques de l’Union européenne est un système autonome avec ses propres objectifs et règles spécifiques et qu’il s’applique indépendamment de tout système national » (EUIPO, ch. rec., R 2924/2019-4, We do good, point 29) est désormais révolue. L’Office est aujourd’hui tenu de prendre en considération ces jugements, mais également de motiver toute divergence par rapport à la solution laquelle est parvenu le tribunal d’un État membre. Cette solution doit être approuvée. La sapience a rejoint la courtoisie.

” Moonboots :  this is Luxembourg calling!” – TUE, 19 janv. 2022, aff. T-483/20, Tecnica Group SpA c/ EUIPO, :EU:T:2022:11 – commenté par Stefan Martin, Membre des chambres de recours, EUIPO, Membre associé du laboratoire de recherche du CEIPI (UR 4375)
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