Droit d'auteur,Propriété intellectuelle,Propriété littéraire et artistique

“Peut-on reprendre partiellement les paroles d’une chanson pour les utiliser à titre de slogan publicitaire ?” par Katia BEIDER

Dans cette brève, nous allons revenir sur une récente décision rendue par le Tribunal Judiciaire de Paris en matière de droit d’auteur (Tribunal judiciaire de Paris, 3ème ch. – 2ème sec., jugement du 21 janvier 2022).

Tout démarre en 2004, lorsque la société d’assurance MAAF, par l’intermédiaire de son agent publicitaire, signe un contrat d’exploitation avec Universal Musical Publishing, société d’édition musicale et titulaire de droits patrimoniaux sur la chanson « C’est la ouate ».

Ce contrat d’exploitation autorise la MAAF à adapter la chanson « C’est la ouate » à des fins publicitaires.

C’est ainsi que nait le fameux slogan « Efficace et pas chère, c’est la MAAF que je préfère… C’est la MAAF ».

Les campagnes publicitaires de la MAAF reprennent l’univers « comédie musicale » de la chanson « C’est la ouate » (inspiré de la saga « Palace »), tandis que les personnages chantent le slogan de la MAAF sur l’air musical de la chanson « C’est la ouate ».

Cette campagne publicitaire connaît un franc succès puisque l’année de sa sortie elle arrive en tête du classement IPSOS des publicités qui ont le plus marquées les Français.

Le contrat avec Universal Music Publishing est renouvelé deux fois puis prend fin en 2019.

L’autorisation d’utilisation de la chanson atteignait, en fin de contrat, la somme de 186 340 euros hors taxes.

En parallèle, en 2017, la MAAF a souhaité marquer un nouveau tournant dans sa communication.

Elle a alors lancé une nouvelle campagne publicitaire et a créé un nouveau slogan inspiré du premier, mais sans reprendre ni l’air musical de la chanson « C’est la ouate », ni l’univers « comédie musicale ».

Dans cette nouvelle campagne, parodiant les films d’espionnage, l’un des personnages dit :
« Rien à faire, c’est la MAAF qu’il préfère ! ».

Les co-auteurs de la chanson « C’est la ouate » et Universal Music Publishing assignent alors la MAAF et son agent devant le Tribunal Judiciaire de Paris, pour adaptation non autorisée du refrain de leur œuvre sur le terrain de la contrefaçon et du parasitisme.

Ledit refrain :

« De toutes les matières c’est la ouate qu’elle préfère ».

La MAAF et son agent considèrent que la nouvelle campagne publicitaire de la MAAF n’est pas une adaptation de ce refrain.

  1. Sur l’originalité du refrain litigieux et la matérialité des actes de contrefaçon

1.1. Les règles applicables

i.Originalité du refrain litigieux

Pour qu’une action en contrefaçon soit recevable, encore faut-il qu’elle ait pour fondement la reprise d’une œuvre de l’esprit, protégée par le droit d’auteur.

L’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle (CPI) dispose que l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.

Pour être protégeable, cette création doit être originale.

L’article L. 112-2 du CPI précise que les compositions musicales avec ou sans paroles peuvent être considérées comme des œuvres de l’esprit.

ii.Matérialité des actes de contrefaçon

Conformément aux articles L. 122-1 et L. 122-4 du CPI, l’auteur dispose d’un droit de représentation et de reproduction de son œuvre, ensemble appelés « droits patrimoniaux ».

Ainsi, toute représentation ou reproduction sans son consentement porte atteinte à ses droits patrimoniaux et constitue une contrefaçon.

Conformément à la jurisprudence, la contrefaçon s’apprécie au regard des ressemblances entre les deux œuvres dès lors que l’une des œuvres reproduit les caractéristiques spécifiques rendant la première originale.

1.2. Les arguments des parties

Les coauteurs revendiquent l’originalité du refrain en s’appuyant sur « la combinaison du rythme de la mélodie et de la succession de rimes qui, de par les choix qu’elle suppose, traduit nécessairement la personnalité de leurs auteurs ».

Ils considèrent que le nouveau slogan de la MAAF en reprend les caractéristiques principales.

L’agent de la MAAF considère au contraire que la combinaison de ces mots et de cette mélodie est d’une telle banalité que cette combinaison est fréquemment utilisée et qu’elle n’est donc pas originale.

La MAAF précise que son nouveau slogan est une phrase totalement banale, prononcée dans une incise parlée et non chantée, avec une tonalité de l’expression qui diffère totalement du refrain de la chanson « C’est la ouate » et qu’ainsi il n’y a pas contrefaçon.

1.3. La décision du Tribunal judiciaire

Le Tribunal judiciaire va comparer les ressemblances entre la chanson et le nouveau spot publicitaire.

Il reconnait l’originalité de la chanson « C’est la ouate ».

Néanmoins, il rejette la demande en contrefaçon en considérant que :

– Il n’y a pas de reprise de l’air musical de « C’est la ouate » ;

– Sur le plan textuel, il n’y a pas de reprise de la phrase « Efficace et pas chère c’est la MAAF que je préfère …. c’est la MAAF » autorisée par le contrat d’exploitation dans un premier temps.

Seul le verbe « préférer » est repris par le nouveau slogan publicitaire. Or, le Tribunal indique que la reprise de la chute d’une phrase d’une chanson sans la musique ne constitue pas une contrefaçon.

  1. Sur le parasitisme lié à la reprise du refrain litigieux

2.1. Les règles applicables

Le parasitisme est sanctionné sur le fondement de l’article 1240 du code civil comme tout comportement fautif « visant à tirer profit sans bourse délier d’une valeur économique d’autrui lui procurant un avantage concurrentiel injustifié, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements ».

2.2. Les arguments des parties

Les coauteurs font valoir que la chanson « C’est la ouate » est le fruit de l’important travail qu’ils ont fourni et « qu’elle connaît encore à ce jour un succès conséquent », pour lequel les demandeurs ont réalisé d’importants investissements.

Ils considèrent que la reprise du refrain par les défendeurs est « un agissement parasitaire visant à entretenir un risque de confusion dans l’esprit du public, lequel est maintenu dans l’idée que la MAAF continue d’exploiter la chanson litigieuse ».

L’agent de la MAAF réplique que le refrain litigieux n’a pas de valeur économique, car son souvenir s’est estompé.

La MAAF précise en parallèle qu’elle a changé son identité visuelle, textuelle et mélodique afin de capter une nouvelle clientèle et, donc, que son nouveau spot publicitaire ne s’inscrit pas du tout dans le sillage et l’univers de la chanson « C’est la ouate ».

2.3. La décision du Tribunal judiciaire

Le Tribunal considère que le refrain litigieux a bien une valeur économique puisque son adaptation avait donné lieu à la signature d’un contrat d’exploitation dont le montant atteignait 186 340 euros hors taxes en fin de contrat.

Néanmoins, le Tribunal rejette la demande en parasitisme aux motifs que :

– La MAAF a repris son slogan dans sa nouvelle campagne car son précédent slogan avait acquis une très forte notoriété grâce à ses propres investissements, et non grâce aux auteurs de la chanson « C’est la ouate » ;

– La MAAF n’a pas voulu se mettre dans le sillage de la chanson « C’est la ouate » puisqu’elle a changé son univers publicitaire en faisant une campagne parodiant les films d’espionnage et a ainsi cherché un nouveau positionnement.

Le Tribunal Judiciaire condamne les demandeurs à payer à la MAAF et à son agent publicitaire ensemble une somme totale de 4000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les condamnent aux entiers dépens.

Les demandeurs ont indiqué qu’ils souhaitaient interjeter appel. Affaire à suivre !

“Peut-on reprendre partiellement les paroles d’une chanson pour les utiliser à titre de slogan publicitaire ?” par Katia BEIDER, Avocate, fondatrice du cabinet éponyme Beider Avocat www.beideravocat.fr

Crédit photo : extrait de la nouvelle campagne publicitaire de la MAAF, 2017

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