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“Une association peut-elle valablement détenir une marque française ?”

par Coraline FAVREL

Un récent arrêt de la Cour d’appel de Lyon (2 mars 2022 – RG 21/05219) expose qu’une marque déposée par une association déclarée, qui, en réalité, n’avait pas encore été publiquement déclarée au jour dudit dépôt, ne présente aucun intérêt juridique.

Les faits soumis à la Cour étaient les suivants.

La société WIMBI BOATS est un constructeur européen de bateaux de plaisance, personnalisables. Sur son site internet et ses pages de réseaux sociaux, elle expose actuellement détenir plusieurs marques enregistrées éponymes, dont au moins une aurait été accordée par l’INPI.

En réalité, fin 2020, WIMBI BOATS devenait cessionnaire d’une marque éponyme semi-figurative enregistrée par l’administration française en 2014, à la demande d’une prétendue association. La société WIMBI BOATS brandissait alors cet actif quelques semaines plus tard, à l’encontre de son partenaire et le sommait brutalement de cesser toute utilisation dudit nom, à quelque titre que ce soit. Considérant que la réponse qui lui avait été apportée n’était pas pleinement satisfactoire, WIMBI BOATS initiait rapidement une procédure d’heure à heure en contrefaçon à son encontre devant le Tribunal de Lyon. Cette première action était jugée irrecevable.

WIMBI BOATS formait alors appel et la Cour de Lyon était parvenue à la même conclusion, au terme d’un raisonnement limpide.

Un dépôt de marque comprend l’identification du déposant (art. R. 712-3 CPI). Ce dépôt ne peut être que le fait d’une personne morale ou physique ayant la personnalité juridique. Qu’en est-il de l’association ?

Deux situations sont à distinguer, selon que le déposant est une association déclarée ou une association non déclarée.

  1. Si le déposant de marque est une association déclarée

Concernant l’affaire analysée par les magistrats lyonnais, lors du dépôt de la marque acquise par la demanderesse, en décembre 2014, une association THE WIMBI FOUNDATION était mentionnée en tant que déposant.

Juridiquement, l’association est définie par la loi du 1er juillet 1901 comme la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices.

Le contrat d’association se forme par la rencontre des volontés des parties exprimées au sein de statuts. Ceux-ci sont librement rédigés par les fondateurs ; l’exigence légale se limitant aux mentions qui identifient l’association (dénomination, siège social, objet).

Pour obtenir la capacité juridique et pouvoir contracter en son nom ou agir en justice, une association doit être rendue publique par ses fondateurs, qui doivent la déclarer au représentant de l’État (un greffe des associations) dans le département où l’association aura son siège social, et solliciter une insertion au journal officiel, selon l’article 5 de cette Loi 1901. Les fondateurs réceptionnent alors un récépissé de la déclaration dans le délai de 5 jours. Et l’association est rendue publique par l’insertion au JO, qui lui permet d’acquérir la personnalité juridique.

Or, concernant la marque en cause, au jour du dépôt, aucune association dénommée THE WIMBI FOUNDATION n’avait été déclarée à la Préfecture, relevait la défenderesse. Il n’y avait pas d’annonce publiée au journal officiel. L’association n’avait donc pas de capacité juridique lors du dépôt de la marque.

Dès lors, la Cour conclut à une absence de personnalité juridique de ce déposant.

Et la Cour poursuit : ce vice initial ne peut pas être régularisé.

Aussi, toute action fondée sur cette marque menée par un tel déposant, juridiquement inexistant, est irrecevable, pour défaut de qualité au sens de l’article 122 du Code de procédure civile. Et tout transfert de propriété d’une telle marque détenue par un groupement de fait, sans capacité, est nul.

  1. Si le déposant de marque est une association non déclarée

Déposants de structures non encore créées : soyez vigilants !

 Pour reprendre les termes du Professeur Henri Hovasse, il existerait « un droit commun de la personnalité morale, imposé par la nécessité ; toutes personnes morales devant faire face aux mêmes impératifs d’identification, de représentation, de gestion du patrimoine et de liquidation ».

 Il est admis, et usuel, que des marques soient déposées au nom d’une société qui n’est pas encore immatriculée au registre du commerce et des sociétés, par un fondateur « agissant au nom et pour le compte de la société, dénommée, en cours de formation ». Une fois la société immatriculée, le déposant procède à la régularisation de sa marque, en transmettant à l’INPI un K-Bis, complété soit d’une copie des statuts exposant la reprise par la société des engagements souscrits pour son compte dont ledit dépôt de marque, soit d’un procès-verbal d’assemblée générale ordinaire relatant cette même reprise. Sans ces formalités, la marque n’est pas reprise par la personne morale, et appartient au déposant, personne physique.

Si l’association n’est pas encore déclarée, le formulaire de dépôt doit être établi au nom d’une « entité en cours de formation » et une régularisation similaire doit être apportée, une fois l’association déclarée publiquement.

Plus d’un million d’associations sont déclarées sur le territoire français actuellement, l’enjeu est de taille.

“Une association peut-elle valablement détenir une marque française ?” par Coraline Favrel, avocat au barreau de Lille spécialiste en propriété intellectuelle, associée de Carmen avocats

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Crédit photo: Jeremy Bezanger on Unsplash

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