Brevets,Propriété industrielle

Du bon usage des disclaimers : bien décrire ce qui est exclu

Par Maël BARBIER, Conseil en Propriété Industrielle, Mandataire près l’OEB et associé du Cabinet  CAMUS LEBKIRI

 

Dans sa décision T 0273/22 du 31 août 2023, la Chambre de Recours de l’Office Européen des Brevets a été amenée à se prononcer sur l’admissibilité d’un disclaimer dans la demande européenne telle que déposée n°14172437.7.

Historique

Ce n’est pas la première procédure de la famille de brevets à faire parler d’elle. Dans une famille comprenant 124 demandes, c’est peu étonnant. Une décision de la Cour Suprême de Grande-Bretagne avait ainsi fait grand bruit, en déclarant la nullité de la partie anglaise du brevet EP 1 360 287 (“EP 287”) et de sa divisionnaire EP 2 264 163, suite à une action en contrefaçon initiée par Regeneron Pharmaceuticals à l’encontre de Kymab. De façon générale, cette famille de brevets cherche à protéger la souris transgénique VelocImmune®, élément essentiel pour la fabrication d’anticorps particuliers qui constituent une bonne partie des ventes de Regeneron.

Comme indiqué dans le Communiqué de Presse de cette décision, « En 2001, Regeneron Pharmaceuticals Inc. a déposé des brevets pour un nouveau type de souris génétiquement modifiée. La technologie de Regeneron est une version hybride du gène qui produit les anticorps, combinant une partie du matériel génétique de la souris (la “région constante” de l’ADN) avec une partie du matériel génétique d’un être humain (la “région variable” de l’ADN). La souris ainsi obtenue peut être utilisée pour produire des anticorps qui conviennent au traitement médical chez l’homme, mais qui sont suffisamment semblables aux anticorps de la souris pour ne pas provoquer de maladie immunologique chez la souris. L’idée de combiner une région variable humaine avec une région constante de souris est une contribution majeure à la science. Lors de l’audience de février 2020, le tribunal a appris que les souris hybrides incorporant cette invention avaient une série d’utilisations médicales, notamment dans la course à la création de thérapies par anticorps contre les coronavirus » (Traduction).

Dans cette décision, la Cour Suprême a prononcé la nullité des deux brevets pour insuffisance de description, la description ne permettant pas, selon la Cour, à une personne du métier de reproduire l’invention sur l’ensemble de la portée revendiquée, et notamment de reproduire des souris transgéniques comportant davantage qu’une très petite partie de région variable humaine. Des souris avec une plus grande quantité de matériel génétique humain ont pu être fabriquées grâce à des développements scientifiques ultérieurs de Regeneron. Ainsi, au dépôt, selon la Cour, Regeneron revendiquait un monopole bien plus large que sa contribution à l’état de l’art.

La demande européenne n°14172437.7 sur laquelle porte la décision T 0273/22 concerne aussi de telles souris transgéniques. Cette demande est une demande divisionnaire de demande divisionnaire (demande « petite fille »).

La revendication 1 telle que déposée se lit comme suit :

« 1. A method of producing an antibody comprising a human variable region and a rodent constant region, comprising exposing to antigenic stimulation a rodent comprising one or more unrearranged hybrid immunoglobulin loci that can produce said antibody. »

Elle porte donc, au dépôt de la demande, sur une méthode de production d’anticorps comprenant une région humaine variable et une région constante de rongeur, en exposant à une stimulation antigénique un rongeur comprenant un locus de chaîne lourde d’immunoglobuline hybride qui produit ledit anticorps.

Durant la procédure d’examen devant l’OEB, deux modifications majeures sont intervenues. Une première modification, pour lever des objections de nouveauté et de fondement sur la description, a porté sur une précision concernant les segments géniques du locus hybride.

Une autre modification, qui nous intéresse particulièrement, est une caractéristique négative (retirant de la matière à la revendication, aussi appelé « disclaimer »), introduite pour s’éloigner d’un document cité. Ce disclaimer indique que « le rongeur ne produit pas d’anticorps pleinement humains ». Cette modification trouverait sa base, selon l’argumentation fournie, dans la demande telle que déposée, qui décrirait cette limitation négative. La base textuelle indiquée comprend la description d’avantages de l’invention et d’un art antérieur existant d’une souris ne comprenant pas d’anticorps pleinement humains, décrit comme « non optimal ». Selon le déposant, ces passages « divulguent que les souris décrites ne produisent pas des anticorps entièrement humains, mais plutôt des anticorps comprenant une région variable humaine et une région constante de rongeur ».

Quelques semaines après le dépôt de ces modifications, une observation de tiers soulevait déjà que l’introduction de ce disclaimer n’était pas admissible, notamment, car ce disclaimer ne trouvait aucune base ni littérale ni implicite dans la description, et en ce qu’il ne remplissait pas l’une des trois conditions des décisions de la Grande Chambre G1/03 et de G2/03, à savoir :

  • le disclaimer rétablit la nouveauté par rapport à une divulgation selon l’A54(3) CBE
  • le disclaimer rétablit la nouveauté par rapport à une divulgation fortuite
  • le disclaimer exclut un mode de réalisation non-brevetable pour des raisons non techniques (A52 à A57 CBE).

Il était aussi avancé que ce disclaimer produirait un effet technique et serait donc pertinent pour l’analyse de l’activité inventive, le rendant non autorisé selon G1/03 et G2/03.

La Division d’Examen n’a pas pris position sur cet argumentaire et a finalement délivré le brevet.

Suite à cette délivrance, six opposants ont formé opposition (A99 CBE), toutes les oppositions portant sur le motif d’extension de l’objet au-delà du contenu de la demande (A100(c) CBE), notamment sur le fait que l’introduction de ce disclaimer n’était pas admissible.

La Division d’Opposition a rejeté la requête principale de la Titulaire (maintenant la revendication 1 délivrée) pour extension de l’objet au-delà du contenu de la demande telle que déposée, et a rejeté les 14 requêtes auxiliaires pour sensiblement les mêmes raisons. La Division d’Opposition a en revanche basé son argumentaire, non pas sur la non-admissibilité du disclaimer, mais sur la non-admissibilité de l’ajout d’autres caractéristiques de la revendication 1. En fait, la Division d’Opposition avait même considéré le disclaimer admissible (point 4.3.2.3 de la décision de la Division d’Opposition).

La Décision

La Décision T 0273/22 fait suite à un recours, formé par la Titulaire, à l’encontre de la décision de la Division d’Opposition et, notamment, à l’encontre de la décision de rejeter la requête principale. La Chambre de Recours n’a pas suivi l’approche de la Division d’Opposition et a basé son rejet du brevet sur la non-admissibilité du disclaimer, présent dans toutes les requêtes (car nécessaire pour lever l’objection de nouveauté).

Disclaimers non divulgués

De manière constante lors de l’examen, de l’opposition et du recours, la Titulaire n’a jamais contesté que le disclaimer n’était pas divulgué en tant que mode de réalisation (positif) de l’invention dans la demande antérieure “grand-mère” telle que déposée. Des souris produisant des anticorps pleinement humains ne sont décrites que dans un art antérieur de la demande grand-mère et cet art antérieur est dit « non-optimal ». La Titulaire avançait principalement que cet art antérieur était une divulgation implicite du disclaimer, car la personne du métier comprendrait que l’invention cherche à ne pas reproduire l’art antérieur.

La position de la Chambre sur les disclaimers est la suivante : selon la Chambre, il y a une différence fondamentale entre une divulgation implicite dans la demande telle que déposée de l’absence d’une caractéristique basée sur une comparaison de l’invention avec l’art antérieur et la rédaction d’une revendication qui spécifie l’absence explicite de caractéristiques, les retirant de l’objet revendiqué (point 7 de la décision). La Chambre rappelle donc que, même si la divulgation implicite peut être au mieux vague et imprécise, la rédaction de la revendication doit être claire et précise. La problématique ici est que la divulgation implicite, décrivant un art antérieur, est tellement vague et imprécise qu’elle soulève de nombreuses questions. La Chambre considère donc que ce disclaimer est un « disclaimer non divulgué » (point 10).

Tout d’abord, la Chambre conclut, comme la Titulaire et comme les Opposants, que le critère de G2/10 n’est pas respecté, car ce disclaimer ne retire pas de matière divulguée positivement dans la demande. La Chambre conclut aussi que ce disclaimer ne respecte aucun des trois critères de G1/03 et G2/03, rappelés plus tôt.

La Titulaire argumentait qu’un disclaimer ne tombant dans aucune des définitions fournies par G1/03, G2/03, G2/10 et G1/16, pouvait tout de même être admissible, en appliquant le test de référence (« gold standard ») en matière d’admissibilité des modifications.

« Gold standard » d’admissibilité des modifications

La Chambre de Recours rappelle que ce gold standard, défini dans les décisions G2/10 et G1/16, indique qu’une modification, pour être admissible, doit se baser sur « ce qu’un homme du métier déduirait directement et sans ambiguïté, en utilisant les connaissances générales courantes, et vu objectivement et par rapport à la date de dépôt, de l’ensemble des documents de la demande tels qu’ils ont été déposés ». C’est le gold standard appliqué pour évaluer si une modification contrevient à l’A123(2) CBE.

En appliquant ce test, la Division d’Opposition avait considéré le disclaimer admissible, au motif qu’ « au vu de la demande dans son ensemble, ce n’est qu’avec un esprit réticent à comprendre la revendication 1 que l’on pourrait interpréter la revendication – en faisant abstraction du disclaimer – comme englobant également les anticorps “pleinement humains”. En d’autres termes, étant donné que même en faisant abstraction du disclaimer, les anticorps pleinement humains ne sont pas couverts par la revendication, le disclaimer n’a pas d’effet technique sur la revendication ». La Division d’Opposition concluait alors que le disclaimer était déductible directement et sans ambiguïté de la demande telle que déposée, passant alors le test de référence, et rendant le disclaimer admissible.

La Chambre de Recours rejette cette interprétation, en rappelant que le terme « comprenant » ne limite pas la revendication à la production d’anticorps comprenant une région humaine variable et une région constante de rongeur. Sans le disclaimer, la revendication 1 n’exclut donc pas la possibilité que la souris comprenne d’autres modifications génétiques de façon à produire des anticorps pleinement humains par un autre mécanisme. La Chambre est donc de l’avis que l’ajout du disclaimer modifie l’objet de la revendication en excluant, par sa présence, toutes les méthodes dans lesquelles les souris produisent également des anticorps pleinement humains.

Concernant l’argumentaire consistant à dire que, dans un art antérieur présenté comme « non-optimal », l’homme du métier comprendrait que l’invention cherche à ne pas reproduire l’art antérieur, rendant ainsi le disclaimer déductible directement et sans ambiguïté de la demande telle que déposée, la Chambre répond que, d’une part, il n’est indiqué nulle part dans la description que l’art antérieur ne doit pas être reproduit, ou qu’il n’est pas compatible avec l’invention, et que, d’autre part, l’indication que l’art antérieur n’est pas optimal ne permet pas de conclure que l’art antérieur a complètement échoué.

Ainsi, le disclaimer est considéré comme non-admissible par la Chambre de Recours en ce qu’il étend l’objet de la demande au-delà du contenu de la demande grand-mère telle que déposée (A76(1) CBE).

Conclusion

Il est intéressant de noter que la Division d’Opposition avait initialement considéré le disclaimer admissible, au motif que l’enseignement global de la demande ne mènerait pas l’homme du métier à produire des anticorps pleinement humains à partir d’une souris, c’est-à-dire, qui mènerait l’homme du métier à utiliser une souris ne produisant que des anticorps comprenant une région humaine variable et une région constante de rongeur. Cette limitation (disclaimer) n’étant pas présente dans la demande telle que déposée, la Chambre de Recours n’a pas suivi cette interprétation.

On pourrait cependant se demander si la décision de la Chambre aurait été différente si l’art antérieur décrit avait été présenté comme « à éviter », ou encore s’il avait été indiqué que cet art antérieur était un échec pour atteindre le résultat escompté.

Enfin, on retiendra que, même si un disclaimer ne respecte aucun des critères de G1/03, G2/03, G2/10 et G1/16, la Chambre de Recours a tout de même appliqué le « gold standard » en matière d’admissibilité des modifications (la déductibilité directe et sans ambiguïté de la modification par l’homme du métier, à partir de la demande telle que déposée), laissant entendre qu’un disclaimer ne respectant aucun des critères habituels pourrait tout de même être admissible.


« Du bon usage des disclaimers : bien décrire ce qui est exclu » 

Par Maël BARBIER, Conseil en Propriété Industrielle, Mandataire près l’OEB et associé du Cabinet CAMUS LEBKIRI

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