MARQUE ET CONCURRENCE DÉLOYALE : CONDAMNATION SALÉE POUR AVOIR CONTREFAIT L’ÉTUI DES BONBONS « TIC-TAC »
Par Pierre TRUSSON, Avocat Counsel au Cabinet JP Karsenty & Associés, avec l’aide de Margaux SANCHEZ-BALTAZAT
CA Paris, pôle 5 ch. 2, 16 févr. 2024, n° 22/03977 : La société Ferrero a obtenu la condamnation d’une société tchèque pour contrefaçon de l’étui des Tic-Tac protégé par deux marques, ainsi que pour concurrence déloyale et parasitisme.
Le groupe italien Ferrero fabrique et commercialise en France les célèbres « Tic-Tac » depuis le début des années 1970, avec un étui ayant la particularité de permettre de transporter les bonbons grâce à son format « poche », ainsi que de servir facilement les bonbons grâce à son embout distributeur.
Plusieurs marques protègent ce produit :
– Le signe « Tic-Tac » est protégé par une marque verbale internationale visant la France enregistrée en 1968.
– L’étui caractéristique de ces bonbons est protégé par deux marques :
o La marque tridimensionnelle internationale n° 405177 visant la France déposée en 1974 :
o La marque tridimensionnelle française n°07 3 485 937 déposée en 2007 :
En 2018, lors du Salon International de l’Agroalimentaire situé en France, la société tchèque Mocca a présenté les produits « Mira Peppermints », lesquels n’étaient pas commercialisés en France :
La société Ferrero a fait procéder à une saisie-contrefaçon sur le lieu même du Salon, puis a assigné la société Mocca en contrefaçon de ses marques, en concurrence déloyale et en parasitisme devant le Tribunal judiciaire de Paris qui a fait droit à ses demandes par une décision du 4 novembre 2021.
La société Mocca a interjeté appel de cette décision et sollicité notamment la nullité des marques, en soulignant également l’absence de tout préjudice compte tenu du fait qu’aucune vente des produits litigieux sur le territoire français n’avait été réalisée.
1. L’étui des Tic-Tac peut-il être protégé au titre des marques tridimensionnelles ?
La société Mocca a sollicité la nullité des marques protégeant l’étui des bonbons « Tic-Tac » en invoquant, d’une part, leur caractère générique et usuel à l’époque du dépôt et, d’autre part, la forme imposée par la fonction du produit.
S’agissant du caractère générique
De nombreux éléments étaient produits pour tenter de démontrer le caractère générique, notamment une boîte commercialisée au Japon, des brevets américains ou encore des dessins et modèles français et étrangers.
(de gauche à droite) Bonbons Choco Baby par Meiji ; Epices McCormick, années 1970 ; Dessin et modèle français n° 97624
Malgré l’abondance des pièces produites, les juges d’appel les ont écartées sous plusieurs motifs, dont notamment leur datation incertaine, l’absence de reprise des caractéristiques de l’étui, le fait que les conditionnements ne concernaient pas le secteur de la confiserie ou encore qu’ils n’étaient pas connus du public français qui est le public pertinent en l’espèce pour apprécier la validité de la marque.
La Cour en a conclu qu’« Il n’est donc pas démontré que la norme des habitudes du secteur, à la date de dépôt de la marque en cause, était de conditionner des confiseries dans un tel emballage ».
La société Ferrero réussit donc à protéger son étui là où avait échoué la société Mocca puisque celle-ci avait déposé un dessin et modèle communautaire qui a été rejeté par l’EUIPO en 2013 faute de… caractère individuel.
S’agissant de la forme imposée par la fonction du produit.
La société Mocca soutenait qu’un modèle « utilitaire » et des brevets avaient été déposés par la société Ferrero qui protégeaient notamment l’ouverture de taille étroite permettant de distribuer les bonbons.
Selon elle, le bandeau blanc visible sur le visuel du dépôt était en réalité une pièce encastrée permettant l’intégration de ce système d’ouverture et donc un attribut strictement fonctionnel, ce dont témoignerait l’existence d’un brevet sur l’étui Tic-Tac détenu par la société Ferrero.
Toutefois, la cour d’appel a écarté l’argument en retenant notamment que « le système d’ouverture ou de fermeture du conditionnement représenté n’est pas apparent » dans les marques déposées et que ledit brevet ne fait pas « référence à un scellement de sécurité assuré par un bandeau, lequel résulte dès lors notamment d’un choix arbitraire ».
Elle a conclu en soulignant la notoriété des produits « Tic-Tac » sur la base de sondages qui « ont révélé une renommée constante supérieure à 90% » en 2006, 2007, 2010 et 2016.
Les marques de la société Ferrero sont donc validées par la cour d’appel.
2. Le produit exposé par la société Mocca est-il contrefaisant des marques Tic-Tac ?
La société Ferrero considérait que les produits exposés par la société Mocca étaient des contrefaçons de ses marques tridimensionnelles. Les produits revendiqués étant strictement identiques, en l’occurrence des bonbons, l’analyse de la cour d’appel de Paris a porté sur la comparaison des signes.
Produits de la société Ferrero
Produit de la société Mocca
La comparaison visuelle des contenants a révélé que ceux-ci sont très similaires. Les différences pointées par la cour d’appel de Paris concernaient uniquement les bords incurvés de l’étui de la société Mocca, la couleur et la dimension de l’étiquette.
Plus précisément, la cour a relevé que « les quelques différences relevées, qui tiennent essentiellement aux bords incurvés ou arrondis des boîtes litigieuses selon leur contenance, lesquels ne sont au demeurant pas visibles lorsque lesdites boîtes sont vues de face, à la dimension plus grande de l’étiquette, à la couleur ou aux mentions « MIRA MINT » ainsi qu’à la forme des sucreries n’altèrent pas la même impression visuelle dégagée par les signes en présence et n’apparaîtront pas immédiatement aux yeux du consommateur concerné ».
Un risque de confusion par le public est donc caractérisé, et ce tout particulièrement au regard du faible niveau d’attention pour ce type de produits et de la notoriété des « Tic-Tac » depuis plusieurs années.
3. Ces agissements sont-ils constitutifs de concurrence déloyale et de parasitisme ?
Malgré l’absence de ventes effectives sur le territoire français, la cour d’appel a retenu l’existence d’actes de concurrence déloyale consistant en la « détention, l’exposition, la promotion et l’offre en vente des produits » qui auraient entraîné un « préjudice propre constitué par le risque de voir sa propre clientèle se détourner de ses produits au profit de l’offre proposée par la société Mocca ».
Le simple risque de perte de clientèle suffit donc, selon la cour, à retenir l’existence d’un préjudice au sens de l’article 1240 du Code civil, ce qui paraît particulièrement favorable aux titulaires de droits, ce d’autant qu’il n’est ici pas détaillé en quoi ce préjudice serait « propre » et distinct de ceux invoqués au titre des actes de contrefaçon pour lesquels la société Mocca a déjà été condamnée.
Concernant les faits de parasitisme, la cour a retenu qu’ils étaient également constitués du fait de l’imitation des confiseries (forme, taille, couleur) ainsi que du contenant, témoignant de la volonté de la société Mocca de « tirer profit à la fois de la forte reconnaissance de ces produits par le public français (…) ainsi que des efforts et investissements consentis par les sociétés Ferrero pour promouvoir leurs produits ».
La société Mocca a finalement été condamnée au paiement de la somme globale de 22.000 euros (respectivement 10.000 euros au titre de la contrefaçon des marques et de la concurrence déloyale, et 2.000 euros au titre du parasitisme).
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Les juridictions françaises confirment leur appréciation de la validité des marques Tic-Tac puisqu’elles avaient déjà condamné une société polonaise pour avoir exposé ses produits présentés dans un étui similaire au même salon (Cour d’appel de Paris, 15 février 2022 n° 19/21858).
Produits commercialisés par la société polonaise
Elles expriment ainsi une position divergente des juridictions tchèques qui avaient rejeté l’action initiée par la société Ferrero à l’encontre de la société Mocca pour les mêmes produits.
MARQUE ET CONCURRENCE DÉLOYALE : CONDAMNATION SALÉE POUR AVOIR CONTREFAIT L’ÉTUI DES BONBONS « TIC-TAC »
Par Pierre TRUSSON, Avocat Counsel au Cabinet JP Karsenty & Associés, avec l’aide de Margaux SANCHEZ-BALTAZAT