“Le bouton SAV de la Bbox rapporte 60 000 € au salarié inventeur”
par Eddy PROTHIERE
La Cour d’appel de Paris a rendu, le 22 octobre 2021 (RG 19/20941), une décision abordant plusieurs questions relatives aux inventions de salariés :
- elle estime qu’un salarié a déposé, en fraude des droits de son employeur, une demande de brevet portant sur une invention réalisée au sein de l’entreprise ;
- elle estime que l’employeur a légalement déposé une demande de brevet sur cette même invention en désignant le salarié comme inventeur ;
- elle fixe à 60 000 € la rémunération supplémentaire due au salarié au titre de sa contribution à l’invention, jugeant insuffisantes les dispositions de la politique de rémunération de l’employeur.
Les faits peuvent être résumés comme suit :
- début 2016, Monsieur X, salarié de Bouygues Télécom, réalise avec d’autres salariés une invention consistant à faciliter l’accès du client au service technique en cas de panne par un « bouton SAV » sur la box internet ;
- Bouygues Télécom propose à Monsieur X une rémunération supplémentaire de 3 000 € conformément à sa politique interne « de protection et de valorisation des inventions», pour cette invention qu’elle qualifie d’invention de mission ;
- Monsieur X saisi la CNIS en août 2016 afin de contester la qualification d’invention de mission et la rémunération supplémentaire accordée ;
- le 11 octobre 2016, Monsieur X dépose, sous son seul nom, une demande de brevet couvrant l’invention, suivi de peu par Bouygues Télécom qui dépose, le 21 octobre 2016, une demande de brevet couvrant la même invention avec comme inventeurs Monsieur X et deux autres salariés ;
- Monsieur X est licencié le 10 avril 2017.
Non satisfait de la proposition de conciliation (normalement confidentielle !) émise par la CNIS, le 13 mars 2018, qualifiant l’invention de mission et proposant une rémunération supplémentaire à 60 000 €, Monsieur X assigne Bouygues Télécom devant le Tribunal Judiciaire de Paris afin de faire juger qu’il est le seul inventeur de l’invention, qu’il a agi en dehors de toute mission inventive et qu’il doit recevoir la somme de 300 000 € à titre de juste prix, outre des dommages-intérêts et le remboursement de ses frais.
Bouygues Télécom demande, quant à elle, que l’invention soit qualifiée d’invention de mission, que la demande de brevet déposée par Monsieur X soit jugée frauduleuse et que sa propriété lui soit transférée et que la rémunération supplémentaire due à Monsieur X soit fixée à la somme de 3 000 €, conformément à sa politique interne de rémunération des inventeurs salariés.
En première instance, par un jugement du 27 septembre 2019, le Tribunal a jugé que l’invention était une invention de mission et que Monsieur X avait déposé une demande de brevet la concernant en fraude des droits de Bouygues Télécom, transférant ainsi à cette dernière la propriété de cette demande, et a alloué à Monsieur X une rémunération supplémentaire de 60 000 €.
Les deux parties ont interjeté appel de ce jugement.
L’arrêt commenté confirme le jugement en toutes ses dispositions.
Dans sa décision, la Cour d’appel commence par examiner la qualification de l’invention. Elle retient que Monsieur X, dont le contrat de travail ne comporte pas de mission inventive, a présenté à son employeur, dès avril 2015, l’idée d’une alerte du service après-vente via les technologies basses fréquences, mais sans qu’elle soit formalisée au niveau technique. Monsieur X a ensuite intégré une équipe afin de développer et de mettre au point cette idée ; cette équipe mettra plus de dix-huit mois pour parvenir à une solution technique. La Cour retient ainsi que l’invention a été élaborée par un groupe de travail, comprenant Monsieur X, auquel une mission d’études avait été confiée. Ce faisant, elle doit recevoir la qualification d’invention de mission.
La Cour en déduit que le dépôt d’une demande de brevet par Bouygues Télécom désignant Monsieur X comme co-inventeur est exempt de toute faute. Elle relève en revanche que Monsieur X connaissait depuis le mois de juin 2016 la position de son employeur sur la qualification de l’invention et sa volonté de déposer un brevet et que c’est par conséquent de manière fautive qu’il a déposé une demande de brevet en son nom seul. Elle ordonne donc le transfert de la propriété de la demande de brevet à Bouygues Télécom.
La Cour examine enfin le montant de la rémunération supplémentaire due à Monsieur X. Elle rappelle qu’une somme de 3 000 € a été accordée par Bouygues Télécom, conformément à sa politique interne en la matière, arrêtée depuis 2002. Elle relève ensuite que la convention collective des télécommunications applicable indique que le salarié doit bénéficier d’une prime forfaitaire de dépôt, puis d’une seconde rémunération qui doit être le fruit d’une appréciation in concreto,prenant en compte notamment les missions confiées au salarié, ses fonctions réelles, son salaire, les circonstances de l’invention, ses difficultés de mise au point pratique ou encore sa contribution personnelle à l’invention, ainsi que l’avantage que l’entreprise retire de l’invention.
La Cour indique que Monsieur X, bien que n’étant pas l’unique inventeur, a été à l’initiative du projet et « a largement contribué à son développement technique ». Elle retient également que l’invention présente un intérêt commercial pour l’employeur qui la présente comme une innovation et la commercialise à partir de 19 € par mois.
La Cour semble donc d’avis que le montant fixé conformément à la politique de l’entreprise n’est pas conforme à la Convention collective et est insuffisant. Partant, elle confirme la somme de 60 000 € allouée par le Tribunal à titre de rémunération supplémentaire.
Cette décision rappelle que la politique interne d’une entreprise, relative à la rémunération des inventions de salariés, peut être remise en cause devant le Juge si elle est contraire à la convention collective applicable, a fortiori lorsqu’elle semble insuffisante.
Précisons, enfin, que le salarié est condamné à verser à son ancien employeur une somme totale de 8 000 € à titre de participation à ses frais de justice.