« Brexit et procédure d’opposition : l’arrêt Basmati du TUE »
par Julien DELUCENAY
- TUE, Basmati, 6 octobre 2021 (T-342/20)
Deux ans après l’accord de retrait conclu entre l’UE et le Royaume-Uni, les questions liées aux conséquences du Brexit sur les marques de l’UE continuent d’apparaître. C’est en matière de procédure d’opposition exclusivement basée sur un droit britannique antérieur que le Tribunal de l’Union européenne a récemment eu à se prononcer.
- Les faits :
Une opposition est formée en 2017 contre une marque de l’UE portant sur un signe figuratif incluant le terme « Basmati ». Cette opposition est basée exclusivement sur un droit britannique antérieur au sens de l’article 8(4) du RMUE, à savoir une marque non-enregistrée « Basmati ».
La division d’opposition en 2019, puis la chambre de recours en avril 2020, rejettent l’opposition au motif que l’une des conditions de l’article 8(4) du RMUE n’était pas remplie.
En juin 2020, un recours est formé par la requérante devant le Tribunal.
La procédure devant le Tribunal est encore en cours le 31 décembre 2020, date à laquelle la période de transition prévue dans l’accord de retrait entre l’UE et le Royaume-Uni a pris fin. A cette date, le droit de l’Union a cessé de s’appliquer au Royaume-Uni, désormais pays tiers.
Dans son arrêt du 6 octobre 2021, le Tribunal a eu à se prononcer sur la question de savoir si l’expiration de la période de transition n’avait pas fait perdre à cette affaire son objet et à la requérante son intérêt à agir, comme le soutenait l’EUIPO.
- Arguments de l’EUIPO :
L’EUIPO soutenait que, dans la mesure où l’opposition était fondée exclusivement sur un droit antérieur valable au Royaume-Uni, l’expiration de la période de transition prévue dans l’accord de retrait privait la procédure d’opposition et le recours de leur objet.
En effet, à partir du 31 décembre 2020, le RMUE a cessé de s’appliquer au Royaume-Uni, de sorte que :
- La marque demandée ne produit plus aucun effet au Royaume-Uni ;
- Le droit invoqué par la requérante ne constitue plus un « droit antérieur » au sens de l’article 8(4) du RMUE ;
- Aucun conflit ne peut émerger entre les marques, la marque demandée n’étant plus protégée au Royaume-Uni, alors que le droit antérieur est protégé exclusivement sur ce territoire.
L’EUIPO soutenait ensuite que la requérante n’avait plus d’intérêt à agir, dans la mesure où l’annulation de la décision de la chambre de recours attaquée ne lui procurerait plus aucun bénéfice.
En effet, même si sa demande de marque de l’UE était rejetée, le demandeur aurait la possibilité de la transformer en demandes de marques nationales dans tous les pays de l’UE, en conservant la priorité de sa demande. Il serait ainsi en mesure d’obtenir la même protection que si l’opposition était rejetée.
Enfin, même si le Tribunal annulait la décision attaquée, l’affaire serait renvoyée devant la chambre de recours. Or, selon l’EUIPO, celle-ci ne pourrait que rejeter le recours faute de marque antérieure protégée par le droit d’un Etat membre.
- Décision du Tribunal :
Les arguments avancés par l’EUIPO sont écartés par le Tribunal.
S’agissant de l’argument selon lequel le présent litige aurait perdu son objet, le Tribunal rappelle que son rôle est de contrôler la légalité des décisions des chambres de recours. Il doit ainsi se placer, dans le cadre de ce contrôle de légalité, à la date de la décision attaquée. Les motifs apparus postérieurement à cette dernière n’ont pas vocation à affecter son bien-fondé (§19).
En l’espèce, la décision de la chambre de recours a été rendue en avril 2020, soit avant l’expiration de la période de transition. A cette date, les dispositions du RMUE s’appliquaient au Royaume-Uni, de sorte que le droit invoqué par la requérante était bien susceptible de fonder l’opposition.
S’agissant de l’argument tenant à la perte d’intérêt à agir de la requérante au motif que le demandeur aurait la possibilité de transformer sa marque en demandes de marques nationales, celui-ci est rejeté d’emblée par le Tribunal. Il indique en effet que cette possibilité de transformation existe pour toute procédure d’opposition (§26).
Le Tribunal ajoute enfin que s’il devait annuler la décision attaquée, la chambre de recours devrait statuer en fonction de la situation qui se présentait au moment de l’introduction du recours, celui-ci redevenant pendant au même stade auquel il se trouvait avant la décision attaquée (§27).
Il conclut ainsi que la présente affaire n’a pas perdu son objet et que l’intérêt à agir de la requérante perdure (§28).
- Commentaire:
Il est de jurisprudence constante, rappelée par le Tribunal (§25), que l’objet du litige, tout comme l’intérêt à agir de la requérante, doit perdurer jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle sous peine de non-lieu à statuer.
Selon cette jurisprudence, l’intérêt à agir de la requérante est apprécié par rapport au bénéfice que pourrait lui procurer la décision du Tribunal prononçant l’annulation de la décision attaquée.
Or, comme l’a exposé l’EUIPO, si la demande de marque de l’UE devait être rejetée, la requérante aurait la possibilité de la transformer en demandes de marques nationales.
Pour écarter cet argument, le Tribunal indique que cette possibilité de transformation existe pour toute procédure d’opposition. Il oublie néanmoins de rappeler que la transformation ne peut pas avoir lieu en vue d’une protection dans un État membre où, selon la décision de l’Office, la demande de marque de l’UE est frappée d’un motif de refus d’enregistrement (art. 139.2.b) RMUE).
Ainsi, dans une procédure d’opposition classique, la transformation ne peut pas être obtenue dans tous les pays, mais uniquement dans ceux dans lesquels le(s) droit(s) antérieur(s) ayant conduit au rejet de la demande de marque de l’UE ne produi(sen)t pas d’effet. La transformation permet dès lors de protéger le caractère unitaire de la marque de l’UE.
Or, la situation est ici tout à fait différente puisque le demandeur aurait la possibilité de demander la transformation de sa demande de marque de l’UE en demandes de marques nationales dans tous les Etats membres de l’UE sans aucune exception, le Royaume-Uni n’en faisant plus partie.
Le demandeur aurait même la possibilité de déposer par la suite une marque de l’UE en revendiquant l’ancienneté des marques nationales issues de la transformation. Sa protection serait donc exactement la même que si sa demande de marque de l’UE avait été enregistrée.
Une décision du Tribunal prononçant l’annulation de la décision attaquée ne procurerait donc aucun bénéfice à la requérante, sauf peut-être la satisfaction de voir le demandeur devoir initier dans chaque Etat membre une coûteuse procédure de transformation.
La requérante a bien perdu son intérêt à agir en cours d’instance et le Tribunal aurait parfaitement pu le constater, sans qu’il lui soit reproché de prendre en compte des motifs apparus postérieurement à la décision attaquée.
Le Tribunal a déjà eu l’occasion de se prononcer en ce sens dans des circonstances comparables.
Par exemple, dans une Ordonnance du 4 juillet 2013 (affaire T-589/10), le Tribunal a eu à connaître d’une procédure d’opposition où la marque antérieure avait été frappée de déchéance pour non-usage en cours d’instance, après la décision de la chambre de recours faisant droit à l’opposition. Sans procéder à un contrôle de la légalité de la décision attaquée, mais en se limitant à constater que l’intérêt à agir de la requérante avait disparu en cours d’instance, le Tribunal a prononcé un non-lieu à statuer (§37, 38, 39).
Le Tribunal est arrivé à la même conclusion dans une Ordonnance du 26 novembre 2012 (affaire T-549/11, §28):
“In that regard it is indeed perfectly correct that the Courts of the European Union may not annul or alter a Board of Appeal decision on grounds which come into existence subsequent to the adoption of that decision (order of 30 June 2010 in Case C448/09 P Royal Appliance International v OHIM and Bosch und Siemens Hausgeräte, not published in the ECR, paragraph 44). However, by the present order, the Court is not in fact carrying out a review of the lawfulness of the contested decision but is merely establishing that the subject-matter of the proceedings has ceased to exist”.
De la même manière, le Tribunal aurait ici sans doute dû constater que la fin de la période de transition prévue dans l’accord de retrait avait fait perdre à cette affaire son objet et à la requérante son intérêt à agir, ce qui aurait conduit à un non-lieu à statuer.
La disparition du droit antérieur en cours de procédure est une question qui revient souvent et une clarification de la Cour de Justice sur ce point serait très salutaire. L’introduction d’un éventuel pourvoi sera donc à surveiller de près.
En tout état de cause, cet arrêt démontre que le Brexit continue à faire parler de lui et que les questions liées à ses conséquences demeurent pleinement d’actualité, en droit des marques comme ailleurs.