“Revisiter n’est pas (toujours) faire preuve d’originalité”
par Laetitia NICOLAZZI et Elise ROMELLY
Le simple choix de matériaux et de couleurs pour ‘revisiter’ un genre ne peut suffire à conférer aux bijoux invoqués l’empreinte de la personnalité de leur auteur et justifier le bénéfice de la protection du droit d’auteur.
Dans une récente décision (CA Paris, 15 février 2022, n° 19/12641), la Cour d’appel de Paris a rejeté une action en contrefaçon de droit d’auteur opposant deux créatrices de bijoux au motif que l’originalité des œuvres invoquées au soutien de l’action n’était pas démontrée.
Si la solution ne surprend pas, car elle s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle constante (II), sa motivation mérite notre attention en ce qu’elle illustre la difficulté à apprécier l’originalité en matière de bijoux (I).
I. La notion d’originalité en matière de créations saisonnières
L’appelante fondait son action sur trois modèles de bracelets décrits par la créatrice comme « tressés » pour les deux premiers et « tissé » pour le dernier modèle.
La Cour d’appel commence par rappeler qu’en application de l’article L. 112-2-14° du Code de la propriété intellectuelle, les créations des industries saisonnières de l’habillement et la parure sont considérées comme des œuvres de l’esprit protégeables par le droit d’auteur. La jurisprudence a ainsi reconnu à plusieurs reprises que des bijoux pouvaient faire l’objet d’une telle protection à condition d’être originaux (voir par exemple parmi les décisions récentes : pour une bague, CA Paris, 29 juin 2021, n° 18/05368 et pour un collier et un bracelet, CA Paris, 11 janvier 2022, n° 20/15934).
La Cour d’appel énonce ensuite le test d’originalité qu’elle propose d’appliquer :
« Si la notion d’antériorité est indifférente en droit d’auteur, celui qui se prévaut de cette protection devant plutôt justifier de ce que l’œuvre revendiquée présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique reflétant l’empreinte de la personnalité de son auteur, l’originalité doit être appréciée au regard d’œuvres déjà connues afin de déterminer si la création revendiquée s’en dégage d’une manière suffisamment nette et significative, et si ces différences résultent d’un effort de création, marquant l’œuvre revendiquée de l’empreinte de la personnalité de son auteur ».
A première lecture, la Cour d’appel prend ses distances – et c’est heureux – par rapport à un courant jurisprudentiel désormais tari, qui confondait les notions d’originalité et de nouveauté. Elle exclut ainsi, sans ambiguïté, l’analyse d’antériorités de l’appréciation de l’originalité, recentrée uniquement sur l’empreinte de la personnalité de l’auteur. Cependant, la clarté du principe est quelque peu brouillée par l’affirmation ultérieure selon laquelle l’originalité s’apprécie par rapport aux différences « nette[s] et significative[s] » entre l’œuvre en cause et les œuvres « déjà connues » (soit… des antériorités). Le test tel que proposé par la Cour semble donc conserver une certaine filiation avec celui de la nouveauté en propriété industrielle.
Que retirer de cette apparente contradiction ? Une approche pragmatique de l’originalité en matière de bijoux – et plus largement d’articles de mode – invite nécessairement à tenir compte du fonds commun et des tendances dans lesquelles s’inscrit la création en cause. L’appréciation de l’originalité implique une comparaison avec des antériorités pertinentes, non pas dans l’objectif d’identifier une antériorité destructrice de nouveauté, mais davantage – comme le préconise la Cour – d’apprécier le réel apport créatif de l’auteur. Une telle approche est d’autant moins critiquable que l’originalité implique forcément une certaine nouveauté (C. Caron, Droit d’auteur et droits voisins, Lexis Nexis, 2013).
Dès lors, appliquant le principe ainsi dégagé, la Cour indique que les trois bracelets revendiqués évoquent « fortement » les bracelets dits « brésiliens » tressés ou tissés traditionnellement fabriqués en Amérique latine à partir de fils de coton. Si elle constate que les bijoux de la créatrice se différencient de ces bracelets en ce qu’ils sont réalisés dans des matières plus nobles (en argent et en soie par exemple) et dans des couleurs que la Cour considère « plus chics » ou « féminines », celle-ci juge que « le simple choix de matériaux et de couleurs pour ‘revisiter’ un genre ne peut suffire à conférer aux trois bijoux invoqués l’empreinte de la personnalité de leur auteur et justifier le bénéfice de la protection du droit d’auteur ». Ainsi, la Cour d’appel estime que les bracelets invoqués « appartiennent à une même tendance « bohème chic » et à un fonds commun de l’accessoire de mode » et ne sont donc pas originaux. La défaillance de ce critère suffit à faire un sort aux demandes en contrefaçon de droit d’auteur de l’appelante.
II. Une solution classique en matière de bijoux
La solution adoptée par la Cour d’appel de Paris ne surprend pas.
En effet, si une œuvre est généralement composée d’éléments connus qui sont empruntés à un fonds commun, elle ne sera considérée comme originale que si elle reflète la personnalité de son auteur, laquelle s’exprime à travers des partis pris esthétiques et des choix arbitraires (voir par exemple, également en matière de bijoux, TGI Paris, 19 novembre 2010, n° 08/14779, CA Paris, 10 février 2012, n° 10/21952 ou encore TGI Paris 10 mars 2017, n° 14/17981).
L’originalité est particulièrement difficile à démontrer lorsque le modèle de bijoux ou l’article de mode en question s’inscrit dans un style existant et ne s’en distingue que par le choix des matériaux et des couleurs, comme dans l’espèce discutée. La Cour d’appel de Lyon a, par exemple, eu l’occasion récemment de rejeter l’originalité de bijoux inspirés de colliers de style Malas (des colliers spirituels hindous et bouddhistes faits de perles ou de graines et de pompons) dont la demanderesse soutenait qu’ils constituaient des créations originales en raison des choix notamment faits pour les combinaisons de couleurs et de matériaux. La Cour a en effet considéré que les colliers invoqués ne constituaient que des « des déclinaisons d’un ornement ancestral, sans parti pris esthétique et sans réel apport créatif » (CA Lyon, 01, 25 mars 2021, n° 18/07364).
En revanche, l’originalité pourra être reconnue lorsque le modèle en cause s’inspire d’un fonds commun qui n’appartient pas à l’univers de la joaillerie puisque la transposition des caractéristiques en cause en matière de bijoux traduit un processus créatif propre à son auteur. C’est ce que vient de juger, dans une affaire Hermès, la même chambre de la Cour d’appel de Paris qui s’est prononcée dans la décision commentée :
« Z A ayant fait œuvre de création en modifiant de façon substantielle tant la taille, la matière que les caractéristiques mêmes de la tige interne qui est perpendiculaire chez C et non évasée de chaque côté comme pour les chaînes de navire, transformant pour la première fois les chaînes de l’industrie marine en bijou en les combinant avec un fermoir spécifique en forme de T ne répondant pas seulement à une nécessité technique et fonctionnelle mais résultant d’un choix créatif » (CA Paris, 11 janvier 2022, n° 20/15934).
De même, la création sera jugée digne de protection par le droit d’auteur si elle constitue une véritable réinterprétation d’un style préexistant (CA Paris, 23 mars 2021, n° 18/28435).
Au vu des difficultés rencontrées par les créateurs de bijoux à démontrer l’originalité de leurs créations en cas de contentieux, les auteures de ces lignes leur recommandent d’effectuer un véritable travail d’archivage du processus de création (par exemple en conservant tous croquis, travaux préparatoires, carnets de travail, recherches, échanges préliminaires). L’originalité d’une œuvre pouvant en effet être démontrée par tous moyens, l’accumulation de ces éléments de preuve aidera leur conseil à fournir au tribunal des éléments justifiant des choix arbitraires et/ou des partis pris esthétiques adoptés et dépasser, ainsi, la simple description des œuvres invoquées, insuffisante pour démontrer l’originalité alléguée et bénéficier de la protection du droit d’auteur (TGI Paris, 12 janvier 2017, n° 15/03944).