« 22 juillet 2022 – Le Conseil d’Etat a su, une nouvelle fois, ne pas se montrer « coulant » vis-à-vis de la mention « fabriqué en Normandie » portant atteinte à la protection de l’appellation d’origine protégée (AOP) « Camembert de Normandie » ! »
par Nathalie MARTY-HOUPERT
Par trois décisions rendues en plein cœur de l’été, le Conseil d’Etat a rejeté, le 22 juillet 2022, les trois recours en annulation initiés par le syndicat normand des fabricants de camembert -SNCF- (n° 447234), la société Lactalis (n° 448 526) et la Coopérative Isigny Sainte Mère (n° 452140) à l’encontre de l’avis aux opérateurs de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), publié au Bulletin officiel de cette dernière le 9 juillet 2020, relatif à la protection de la dénomination enregistrée en AOP « camembert de Normandie ».
Ces décisions s’inscrivent dans le sillage de l’ordonnance du 24 décembre 2020 (n° 447234) de rejet du référé-suspension prise par le juge des référés du Conseil d’Etat pour défaut de doute sérieux quant à la légalité de l’avis aux opérateurs.
Elles marquent une étape importante dans la gestion de ce dossier interministériel, ayant mobilisé tant la DGCCRF, que le ministère en charge de l’agriculture et l’INAO.
La « guerre du camembert » qui a pu, par moments, défrayer la chronique trouve son origine dans une scorie réglementaire datant du décret n° 83-778 du 31 août 1983 reconnaissant la dénomination « camembert de Normandie » en tant qu’appellation d’origine contrôlée. L’article 7 alinéa 2 de ce décret disposait en effet que : « Sous réserve des dispositions qui précèdent, l’emploi de la mention “Fabriqué en Normandie” est autorisé pour l’indication du lieu de fabrication prévu par la réglementation relative aux fromages, sur l’étiquetage des camemberts ne bénéficiant pas de l’appellation d’origine ».
Par la suite, les modifications successives, tant du décret de l’AOC que du décret « fromages », afin de se mettre en conformité avec la réglementation européenne intervenue depuis (règlement (CEE) n°2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, puis le règlement (CE) 510/2006 et enfin règlement (UE) 1151/2012), n’ont pas permis que les étiquetages de camembert portant la mention « fabriqué en Normandie » cessent.
Après l’échec d’une grande AOP et quelque peu aiguillonnés par les services de la Commission européenne, les départements ministériels concernés furent amenés à publier un avis aux opérateurs afin qu’un terme soit mis, le 31 décembre 2020, à ces atteintes à la protection de la dénomination géographique « Camembert de Normandie ».
Cet avis aux opérateurs a fait l’objet d’une publication concomitante aux bulletins officiels du ministère en charge de l’agriculture et de la DGCCRF le 9 juillet 2020.
Les trois recours en annulation déposés de manière échelonnée se sont concentrés sur l’avis aux opérateurs de la DGCCRF et ont donné lieu à une défense coordonnée et conjointe de la part de l’Administration.
Les moyens soulevés par les trois requêtes étant peu ou prou similaires, l’architecture des décisions du Conseil d’Etat l’est tout autant.
Les requérants ont pu, tout d’abord, soutenir que l’avis attaqué serait illégal en ce qu’il énonce que la mention « fabriqué en Normandie » associée au nom « camembert » serait contraire à l’article 13 du règlement UE n° 1151/2012 sur les appellations d’origine.
Ce moyen est rejeté par le Conseil d’Etat qui, après un rappel de la réglementation et de la protection large dont bénéficient les AOP (article 13 du règlement (UE) 1151/2012 et jurisprudence afférente), délimite, dans le cas d’espèce, le champ des possibles pour les opérateurs par rapport à la dénomination géographique composée que constitue l’AOP « camembert de Normandie », qui combine d’une part un terme générique « camembert », dont l’utilisation est libre et un nom géographique « Normandie », dont l’utilisation est réservée aux fromages respectant le cahier des charges de l’appellation d’origine protégée « camembert de Normandie ».
« La dénomination ” camembert de Normandie ” constitue, ainsi qu’il a été rappelé précédemment, une appellation d’origine protégée au sens du titre II du règlement (UE) n° 1151/2012. Elle bénéficie, par suite, de la protection résultant des dispositions citées au point 2. Si tout fromage répondant aux prescriptions du décret du 27 avril 2007 concernant le produit dénommé ” camembert ” peut, conformément au dernier alinéa du paragraphe 1 de l’article 13 de ce même règlement, utiliser la dénomination ” camembert “, dont il est constant qu’elle présente un caractère générique, il résulte de ces dispositions qu’il ne peut le faire que dans des conditions qui ne sont pas de nature à porter atteinte à la protection attachée à la dénomination ” camembert de Normandie “. En particulier, il ne saurait être fait mention, en association avec le terme générique ” camembert “, de l’origine ” Normandie “, laquelle ne constitue pas un terme générique, d’une manière telle que cette association de termes, en reprenant l’essentiel de la dénomination protégée, conduise le consommateur à avoir directement à l’esprit, à la lecture de cette mention, le fromage bénéficiant de l’appellation d’origine. Par suite, contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, c’est sans méconnaître l’article 13 du règlement (UE) n°1151/2012 que l’avis litigieux, qui n’a pas édicté une interdiction générale et absolue dispensant d’un examen au cas par cas, a énoncé que la ” mise en exergue ” de la mention ” fabriqué en Normandie ” sur l’étiquette de fromages ne répondant pas au cahier des charges de l’AOP ” Camembert de Normandie ” était susceptible de porter atteinte à la protection accordée à cette AOP, et a enjoint aux opérateurs concernés, sous le contrôle de l’administration et le cas échéant du juge, de proscrire l’usage de cette mention dans des conditions qui, par son agencement ou ses modalités concrètes d’apposition, conduiraient à constituer une évocation répréhensible de la dénomination protégée. ».
Les autres moyens soulevés par les requérants connaissent un sort similaire : le Conseil d’Etat constatant l’absence de droit acquis au maintien de la mention « fabriqué en Normandie » pour les requérants, ainsi que l’absence d’atteinte au principe d’égalité entre opérateurs ».
« 22 juillet 2022 – Le Conseil d’Etat a su, une nouvelle fois, ne pas se montrer « coulant » vis-à-vis de la mention « fabriqué en Normandie » portant atteinte à la protection de l’appellation d’origine protégée (AOP) « Camembert de Normandie » ! » par Nathalie MARTY-HOUPERT, Responsable du service juridique et international, INAO