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Arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 26 mars 2025 dans l’affaire Thalès

Arrêt de la cour d’appel – pourvoi en cassation – recours – rejet – non invention – présentation d’informations – solution technique à un problème technique

Le deuxième arrêt de la cour d’appel très attendu dans le litige opposant le directeur général de l’INPI à la société Thalès, a été rendu le 26 mars 2025 (Arrêt du 26 mars 2025 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 1), n° 23/07392)

La cour d’appel de Paris définit dans ce deuxième arrêt le cadre d’appréciation de l’exclusion de la brevetabilité d’une demande de brevet, selon les dispositions de l’article L. 611-10 du code de la propriété intellectuelle (CPI). Ainsi, la cour juge qu’: « il convient d’examiner si les moyens exposés dans les revendications apportent une solution technique à un problème technique, distinct de la simple présentation d’informations, permettant de répondre au problème technique posé par l’invention, établissant ainsi l’existence d’une contribution technique ».

Ce deuxième arrêt fait suite à l’arrêt de la cour de cassation du 11 janvier 2023 (Arrêt de la cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, du 11 janvier 2023, Arrêt n° 29 F-D, pourvoi n° M 19-19.567 contre l’arrêt rendu le 21 mai 2019 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 1), dans le litige opposant l’INPI et la société Thalès) cassant en toutes ses dispositions, le premier arrêt rendu le 21 mai 2019 (Arrêt du 21 mai 2019 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 1), n° 18/19669) par la cour d’appel de Paris qui avait annulé la décision du Directeur général de l’INPI du 17 juillet 2018 (Décision du Directeur général de l’INPI de rejet de la demande de brevet FR 2 969 124 A1) rejetant la demande de brevet de la société Thalès. 

Pour bien comprendre les enjeux de cette affaire, il convient de revenir successivement sur la demande de brevet déposée par Thalès (Demande de brevet FR 2 969 124 A1 déposée par Thalès le 17 décembre 2010), le premier arrêt de la cour d’appel du 21 mai 2019 (Arrêt du 21 mai 2019 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 1), n° 18/19669), l’arrêt de la cour de cassation du 11 janvier 2023 (Arrêt de la cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, du 11 janvier 2023, Arrêt n° 29 F-D, pourvoi n° M 19-19.567 contre l’arrêt rendu le 21 mai 2019 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 1), dans le litige opposant l’INPI et la société Thalès) et enfin l’arrêt de la cour d’appel de renvoi autrement constituée du 26 mars 2025 (Arrêt du 26 mars 2025 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 1), n° 23/07392).

Sur la demande de brevet 

Le 17 décembre 2010, la société Thalès a déposé la demande de brevet n° FR 10 04947, intitulée « Procédé d’affichage temporel de la mission d’un aéronef ». Cette demande a été publiée le 22 juin 2012 sous le numéro FR 2 969 124 (A1 Demande de brevet FR 2 969 124 A1 déposée par Thalès le 17 décembre 2010)

L’objectif de cette demande de brevet est d’améliorer l’affichage d’informations dans les cockpits afin de faciliter, pour les opérateurs, la lecture et la corrélation des données relatives aux étapes d’une mission d’aéronef. 

Généralement, pour l’accomplissement de la mission de vol, les systèmes de visualisation comportent entre autres deux types de fenêtres qui sont d’une part, une fenêtre appelée « Navigation Display » ou « ND », offrant une vue graphique et géographique de la situation de l’avion, et d’autre part une fenêtre affichant sous une forme de tableau la liste des points de passage « waypoints » ou « WL » du plan de vol de l’aéronef (description de la demande p1, lignes 9 à 14, voir figure 1).

Dans l’état de l’art, la fenêtre « WL » permet de représenter sous forme tabulaire la liste des points caractéristiques du plan de vol, ainsi qu’un certain nombre d’informations concernant le plan de vol comme l’heure de passage à un point de passage, la vitesse de l’appareil et l’altitude audit point de passage (description de la demande p2, lignes 17 à 31, voir la partie gauche de la figure 2).

Dans cette représentation existante de la fenêtre « WL », l’heure n’est qu’une information qui n’a pas plus de valeur ou d’autre rôle que les autres informations fournies. Pour disposer d’informations dans l’espace temporel les opérateurs doivent effectuer des calculs mentaux en fonction des distances et de la vitesse courante ou future de l’aéronef (description de la demande p4, lignes 1 à 9).

Ainsi l’objectif de la demande est d’améliorer l’affichage de la fenêtre WL en remplaçant la représentation sous forme de tableau, selon l’état de l’art tel que montré dans la partie gauche de la figure 2, par un affichage en regard de l’horaire appelé la « timeline », tel que décrit dans la partie droite de la figure 2. Ce nouveau type d’affichage rend facilement visible les moments de calme entre les points caractéristiques du plan de vol, ainsi que les périodes d’intense charge de travail, ce qui a pour avantage de permettre aux opérateurs de savoir à quels moments ils peuvent et doivent anticiper les tâches et se préparer à l’augmentation de la charge de travail à venir.

Fig. 1 Écran situé dans la partie centrale du cockpit (figure 4 de la demande)
Fig. 2 Comparaison des affichages de la fenêtre « WL » dans l’état de l’art à gauche et selon la demande de brevet à droite (figures 5 et 6 de la demande)

Il est important de noter que les données affichées ne sont pas mesurées en temps réel, mais préenregistrées ou calculées en amont du vol.

Le 17 juillet 2018, l’INPI a rejeté la demande de brevet en application des articles L. 612-12 5° et 6° du CPI pour les motifs suivants : d’une part, l’objet de la demande de brevet consiste en une présentation d’informations en tant que telle qui ne peut donc manifestement être considérée comme une invention au sens de l’article L. 611-10 (2) CPI ; d’autre part, l’objet de la demande ne permet pas l’établissement d’un rapport de recherche conformément aux dispositions de l’article L. 612-14 CPI.

Sur le premier arrêt de la cour d’appel de Paris du 21 mai 2019

La société Thalès a formé un recours le 16 août 2018 contre cette décision de rejet. Le premier arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 21 mai 2019 (Arrêt du 21 mai 2019 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 1), n° 18/19669) annule la décision du directeur général de l’INPI concernant le rejet de la demande FR 10 04947.

Concernant l’absence d’invention, la cour relève que la nouvelle revendication n°1 qui fusionne les revendications n°1 et 2 du dépôt de la demande de brevet comporte deux caractéristiques.

La revendication indépendante n°1 rejetée par l’INPI, s’énonce comme suit :

« Procédé d’affichage des étapes d’une mission d’un aéronef sur un écran d’un dispositif de visualisation, la mission étant un plan de vol, chaque étape correspondant à un point de passage du plan de vol ou « waypoint », caractérisé 

    • [Caractéristique 1] en ce que les différentes étapes sont affichées dans une première fenêtre graphique comportant une échelle graduée en temps ou « timeline » (TL), les différentes étapes étant affichées au regard de l’horaire correspondant à leur accomplissement ; 
    • [Caractéristique 2] la longueur de la « timeline » est supérieure à la longueur de la première fenêtre graphique, la fenêtre graphique n’affiche alors qu’une partie de la « timeline », partie imposée par l’utilisateur du dispositif de visualisation» 

La première caractéristique [Caractéristique 1], selon la cour, revendique la fenêtre comportant la « timeline », laquelle affiche les différentes étapes du vol en regard de l’horaire correspondant à leur accomplissement. Cette première caractéristique concerne, effectivement, une transmission d’information au pilote de l’aéronef, visant à la fois le contenu cognitif de l’information (heures de passage et les points de passage) et la manière dont celle-ci est présentée (en fonction d’une ligne des temps). Dès lors, elle ne revendique aucune caractéristique technique distincte et n’est donc pas par elle-même brevetable.

En revanche, la deuxième caractéristique [Caractéristique 2], selon la cour, concerne un moyen technique distinct du contenu des informations elles-mêmes, étant précisé que ce moyen, aidant le pilote à sélectionner, parmi celles-ci, les plus pertinentes, produit aussi un effet technique tel que défini ci-dessus. La Cour d’appel en a déduit que la revendication n°1, prise dans son ensemble, n’est pas exclue de la brevetabilité.

Sur l’arrêt de la cour de cassation du 11 janvier 2023

Le directeur général de l’INPI a formé un pourvoi devant la cour de cassation contre le premier arrêt de la cour d’appel rendu le 22 novembre 2019 (Arrêt du 21 mai 2019 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 1), n° 18/19669).

La cour de cassation casse le premier arrêt de la cour d’appel. En effet, « en se bornant à reproduire les termes de la revendication n°1, sans établir l’existence d’une contribution technique apportée par la demande de brevet ni expliquer en quoi les moyens revendiqués dans cette demande avaient le caractère de moyens techniques distincts de la simple présentation d’informations, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

En conséquence, la cour de cassation casse et annule, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 21 mai 2019 par la cour d’appel de Paris. Elle remet également l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée. 

Sur le deuxième arrêt de la cour d’appel de Paris du 26 mars 2025

La cour d’appel statuant après cassation, rejette le recours formé par la société Thalès à l’encontre de la décision du directeur général de l’Institut national de la propriété industrielle du 17 juillet 2018 (Décision du Directeur général de l’INPI de rejet de la demande de brevet FR 2 969 124 A1).

Selon la cour, la revendication 1 comporte bien une deuxième caractéristique [Caractéristique 2] qui prévoit que : « la longueur de la « timeline » étant supérieure à la longueur de la première fenêtre graphique, le pilote peut n’afficher qu’une partie de la « timeline » dans la fenêtre graphique, et a ainsi la possibilité de « zoomer » sur l’information mais ne décrit ni n’explique en quoi le moyen revendiqué a le caractère de moyen technique, distinct de la simple présentation d’informations pour ce dernier, ni au demeurant la tâche technique qui s’en trouve ainsi facilitée et pas davantage les moyens d’interaction homme-machine ».

La société Thalès affirme que l’affichage partiel de la « timeline » implique nécessairement des moyens techniques (trackball, écran tactile, etc.). Toutefois, la cour constate qu’aucun de ces dispositifs n’est décrit dans la demande de brevet. En l’absence de précision sur les moyens techniques mis en œuvre et sans démonstration d’un effet technique résultant de l’interaction homme-machine, la cour conclut, à l’instar du directeur de l’INPI, que la revendication ne présente pas de solution technique à un problème technique, et relève donc de la présentation d’informations en tant que telle, exclue de la brevetabilité.

Selon la cour, la société Thalès ne peut se contenter d’affirmer que la personne du métier par ses connaissances générales, sait réaliser cette fonction technique, car cela relève d’un autre critère que celui de la brevetabilité. Elle rappelle que l’examen de la demande de brevet portait uniquement sur la notion de l’invention et non sur l’activité inventive, la nouveauté ou la suffisance de l’exposé.

Elle conclut que « faute pour la société Thalès d’expliciter en quoi cet affichage partiel de la « timeline » sur un écran constitue une solution technique à un problème technique distinct de la simple présentation d’informations fournies au pilote, c’est à juste titre que le directeur de l’INPI a retenu son défaut de brevetabilité ».

Ainsi, avec ce deuxième arrêt de la cour d’appel se termine un long chapitre judiciaire permettant aujourd’hui d’établir de manière certaine le critère d’examen pour les exclusions de brevetabilité en France. Aujourd’hui, pour être qualifiée d’invention, la revendication doit constituer une solution technique à un problème technique distinct de l’exclusion de brevetabilité en tant que telle. 

Arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 26 mars 2025 dans l’affaire Thalès

Par Vicky Rouss-Douchy, Responsable de la cellule opposition au département des brevets de l’INPI et Hanane El Harrak, Responsable du pôle réseaux et traitement de données au département des brevets de l’INPI

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