Droit d'auteur,Propriété intellectuelle

Le droit d’auteur ne mord pas à l’hameçon : la difficile protection des photographies culinaires par le droit d’auteur

Par Matthieu Pacaud, Avocat au Barreau de Paris.

Le Tribunal judiciaire de Rennes rappelle, dans une décision logique, que l’accès à la protection par le droit d’auteur pour les photographies culinaires n’est pas automatique (TJ Rennes, 31 mars 2024, RG n° 23/05205). 

La demanderesse exploite une banque d’images culinaires. 

En 2021, elle constate l’utilisation non autorisée de deux clichés sur le site internet d’un traiteur-pêcheur.

Elle décide alors d’agir en justice afin de poursuivre ce dernier pour contrefaçon de droit d’auteur et parasitisme. 

Si l’utilisation des photographies litigieuses n’est pas contestée par ce dernier, le débat porte essentiellement sur leur originalité et sur leur provenance.

En refusant de reconnaître l’originalité de deux clichés de plats, le Tribunal judiciaire de Rennes rejette l’ensemble des demandes fondées sur la contrefaçon et rappelle que le critère d’originalité n’est pas acquis. 

La solution adoptée par le Tribunal judiciaire de Rennes s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle constante, qui n’est pas favorable à la protection des photographies dites “utilitaires”. Ce jugement illustre la frontière nette entre les photographies purement illustratives et celles qui sont protégeables au titre du droit d’auteur.

Le Tribunal judiciaire de Rennes apporte également un éclairage intéressant pour les banques d’images, sur la difficulté pour le diffuseur officiel d’une photographie non protégée à démontrer que la photographie a bien été extraite de sa banque d’images, pour opposer le parasitisme.

L’application des critères classiques de l’originalité en matière de photographie à la photographie culinaire

Selon l’article L. 112-2 9° du Code de la propriété intellectuelle (CPI), les œuvres photographiques sont expressément reconnues comme des œuvres de l’esprit. Leur protection est classiquement subordonnée à leur caractère original, correspondant à l’empreinte personnelle de son auteur, démontrant ainsi un apport créatif spécifique de sa part. L’œuvre doit exprimer les choix libres et créatifs de l’auteur.

En matière de photographie, le caractère original est apprécié au regard des choix effectués par le photographe à trois moments, selon la jurisprudence en vigueur (notamment CJUE 1er déc. 2011, aff. C-145/10, Eva-Maria Painer) :

    • au stade de la phase préparatoire : le photographe doit expliquer son rôle dans la composition éventuelle de la scène photographiée, dans le choix de mise en scène (comme l’agencement des éléments dans l’image ou le choix des couleurs et des contrastes), éclairage, cadrage, angle de vue, choix de l’appareil et de l’objectif, consignes données aux sujets ;
    • au stade de la prise de la photographie : choix de l’instant, angle de prise de vue, réglages (ouverture, vitesse…) cadrage, captation d’une expression ou d’une atmosphère ;
    • au stade du développement de la photographie : choix de la photographie parmi les clichés, incidence du photographe sur le résultat, travail sur les couleurs et contrastes, flou de l’arrière-plan, utilisation de techniques spécifiques. 

La protection des photographies culinaires

Les photographies culinaires peuvent également être protégées par le droit d’auteur, sous réserve de remplir cette condition d’originalité. 

Ainsi, un photographe qui fait des choix créatifs dans la mise en scène des plats (par exemple, le dressage, l’éclairage ou l’angle de vue) peut revendiquer la protection au titre du droit d’auteur.

Ce genre de photographie répondant toutefois à des codes très courants, il est plus rare de réussir à remplir le critère d’originalité. Une mise en scène complexe ou une scénarisation évidente est un bon indice d’éligibilité à la protection.

Si la photographie est une simple reproduction fidèle du plat, sans apport créatif, elle ne pourra pas être protégée. Par exemple, une photographie prise dans un but purement documentaire pour illustrer un catalogue, sans choix esthétique ou technique particulier, ne sera pas considérée comme originale.

C’est ce raisonnement que le Tribunal applique logiquement aux photographies concernées.

Photographie n°1 : plat de rougets

La photographie représente « deux rougets entiers cuisinés avec des oignons et tomates cerise dans un plat blanc posé sur un plateau en fer, légèrement abîmé, lui-même posé sur un plan de travail clair avec, en arrière-plan, un mur clair qui semble composé de lattes de bois ».

La demanderesse évoque une mise en scène, un jeu de lumière et un décor dépouillé. Elle y ajoute une scénarisation en expliquant que la photographie représente l’annexe de travail d’un pêcheur, qui prend une pause pour cuisiner et déguster les poissons qu’il a pêché, tout en mettant en avant la simplicité du plat. 

Cet argumentaire n’est pas suffisant pour convaincre le Tribunal, qui y voit une composition utilitaire, dépourvue de choix libres et créatifs, représentant un plat traditionnel de la cuisine provençale, sans trace d’intention artistique ou de parti pris esthétique distinctif. Le cadrage vise uniquement à montrer l’ensemble du plat, sans empreinte personnelle. Le fond de l’image est neutre et banal.  

Photographie n°2 : limande sur fond blanc

Le second cliché montre une « limande photographiée entière, sur sa face dorsale sur fond blanc ». 

La banque d’images indique que le cadrage et la lumière ont vocation à mettre en avant la fraîcheur du poisson, sa forme et ses couleurs.  

Le Tribunal relève l’absence totale de mise en scène. Le choix du fond blanc, le cadrage et la lumière servent une finalité descriptive sans qu’un choix créatif susceptible de refléter la personnalité de son auteur puisse transparaître.

L’interprétation du critère d’originalité par le Tribunal est classique et démontre la difficulté de protéger les photographies culinaires par le droit d’auteur. 

Une image, même techniquement réussie, ne saurait être protégée si elle ne traduit pas un apport créatif identifiable. Le caractère illustratif, la neutralité du décor ou l’absence de parti pris esthétique suffisent à exclure l’application du droit d’auteur en l’espèce.

Il est intéressant de noter que le Tribunal judiciaire de Rennes s’était prononcé de la même manière dans une décision similaire relative à une photographie d’un plat de couscous (Tribunal judiciaire de Rennes, 25 mars 2024, 22/04933), qui reprenait « les codes habituels de représentation photographique du plat de couscous qui se sert de manière traditionnelle et courante dans des assiettes creuses en terre cuite selon une organisation des ingrédients assez convenue, la semoule au fond étant recouverte des ingrédients, ainsi qu’en attestent d’ailleurs plusieurs photographies similaires visibles sur Internet versées aux débats par la société défenderesse ».

Cette jurisprudence constante envoie donc un signal clair aux banques d’images spécialisées dans ce type de photographies utilitaires, qui souhaitent protéger leurs droits de manière active. 

L’originalité ne peut être présumée. Seules les photographies les plus créatives sont susceptibles de pouvoir être protégées par le droit d’auteur. Il convient pour cela de comparer les photographies réalisées avec les codes et standards de la photographie culinaire, pour vérifier si elles expriment une véritable démarche artistique et pas une simple illustration.

Difficulté pour les banques d’images de démontrer l’origine des photographies reprises

Cette décision rappelle également utilement que si la demanderesse souhaite faire reconnaître que la reprise des photographies constitue un acte de parasitisme sur la base de l’article 1240 du Code civil, elle doit pouvoir démontrer que les photographies concernées proviennent bien de son site.

En l’espèce, les photographies n’étaient pas estampillées. La banque d’image, qui supporte la charge de la preuve, ne démontre pas qu’elles ont bien été reprises de son site internet. 

Il est techniquement envisageable de faire une telle démonstration au moyen des métadonnées des photographies, mais cela ne semble pas avoir été le cas en l’espèce.

Le traiteur-pêcheur indique qu’il les aurait reprises des images apparaissant sur Google.

Cette décision invite les banques d’images à bien intégrer un filigrane au sein de leurs images, dès lors qu’elles sont en libre accès sur leur plateforme.

A défaut, il leur sera difficile de démontrer le lien entre celle-ci et un usage non autorisé par un tiers. 

Cette décision démontre à nouveau que l’évaluation de l’originalité en matière de photographie culinaire est soumise à des critères stricts, et que seules les photographies les plus créatives peuvent bénéficier de la protection du droit d’auteur.

Le droit d’auteur ne mord pas à l’hameçon : la difficile protection des photographies culinaires par le droit d’auteur

Par Matthieu Pacaud, Avocat au Barreau de Paris.



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