Combat de coqs Ă la barre : coups de bec gagnants pour la FFF
Par Thibault LACHACINSKI et Fabienne FAJGENBAUM, NFALAW Avocats, avocats Ă la Cour.
Si les combats de coqs ne rĂ©ussissent pas toujours Ă la FĂ©dĂ©ration Française de Football (FFF) (Elle avait Ă©tĂ© dĂ©boutĂ©e de ses demandes en nullitĂ© de marques “ALLEZ LES BLEUS” reprĂ©sentant entre autres le gallinacĂ© (CA Paris, 12 nov. 2003, RG 2002/14941, confirmĂ© par Com. 17 janv. 2006, Pourvoi n°04-10.710)), la victoire enregistrĂ©e le 15 janvier 2025 devant le Tribunal de l’Union europĂ©enne (TUE) n’en est que plus belle, les juges europĂ©ens ayant confirmĂ© l’existence d’un risque de confusion entre une demande de marque reprĂ©sentant un coq stylisĂ© de profil et l’une des marques antĂ©rieures de la FFF.
Marque antérieure de la FFF Demande de la marque contestée
I. Le coq, un animal en partie saisi par le(s) droit(s)
Tout roi de la basse-cour qu’il est, le coq n’en est pas moins un animal en danger. RĂ©gulièrement au cĹ“ur de conflits de voisinage pour ses envolĂ©es sonores, il bĂ©nĂ©ficie en tout cas du soutien des maires de France qui ont convaincu le lĂ©gislateur d’adopter la loi n°2021-85 du 29 janvier 2021 visant Ă dĂ©finir et protĂ©ger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises. L’article L. 110-1 du Code de l’environnement admet dĂ©sormais les “sons et odeurs” comme des caractĂ©ristiques des espaces, ressources et milieux naturels faisant partie du “patrimoine commun de la nation“. Leur protection et leur mise en valeur, notamment, sont donc d’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral.
Si le ramage du coq a inspirĂ© une loi Ă nos parlementaires, il en va diffĂ©remment de son plumage. Alors que la Constitution de la Ve RĂ©publique fixe comme emblème le drapeau tricolore bleu, blanc, rouge, dĂ©signe la “Marseillaise” comme hymne national et adopte “LibertĂ©, EgalitĂ©, fraternitĂ©” comme hymne national (art. 2), aucun texte lĂ©gislatif ou rĂ©glementaire n’a jusqu’Ă prĂ©sent officiellement intĂ©grĂ© le coq gaulois parmi les symboles de la RĂ©publique. Mieux lotie, l’effigie de Marianne avait Ă©tĂ© consacrĂ©e par le dĂ©cret du 22 septembre 1792 (La RĂ©publique sera reprĂ©sentĂ©e “sous les traits d’une femme vĂŞtue Ă l’antique, debout, tenant de la main droite une pique surmontĂ©e du bonnet phrygien ou bonnet de la LibertĂ©” ; la division d’opposition de l’OHMI avait mĂŞme intĂ©grĂ© Marianne parmi les “emblèmes officiels de l’Etat français” aux cĂ´tĂ©s du “monogramme RF, les armoiries de la RĂ©publique Française, le Grand Sceau de France” (11 nov. 2009, Affaire R 235/2009-1)).
Le site Internet de l’ElysĂ©e prĂ©cise malgrĂ© tout que “si le champ politique contemporain lui prĂ©fère Marianne, le coq reste l’emblème de la France aux yeux du monde, notamment lors des affrontements sportifs“. Le coq est effectivement traditionnellement adoptĂ© par les diffĂ©rentes Ă©quipes de France dans les compĂ©titions sportives internationales ; on situe d’ailleurs aux annĂ©es 1910 sa première utilisation sur les tuniques du football et du rugby ( https://www.chroniquesbleues.fr/Quand-le-coq-est-il-apparu) ; la mascotte officielle de l’Ă©quipe de France de football lors de l’Ă©popĂ©e victorieuse de 1998 Ă©tait d’ailleurs Jules, un jeune coq Ă bĂ©ret rouge. DĂ©sormais, le coq figure dans le logo de la plupart des fĂ©dĂ©rations françaises (Football, rugby, athlĂ©tisme, natation, handball, volley, tir, tennis de table, bowling, golf, boxe, pĂ©tanque, sports de glace, ski, etc.) mais Ă©galement du CNOSF (depuis les annĂ©es 1920), lequel reprĂ©sente l’ensemble du mouvement sportif français (C. sport, art. L. 141-1). Le tribunal de grande instance de Paris a eu l’occasion d’en dĂ©duire que le coq renvoie “dans l’esprit du public pertinent Ă la nation française indĂ©pendamment des produits sur lesquels il est apposĂ©” (TGI Paris, 7 juil. 2016, RG 16/01163 ; dans le mĂŞme sens, TGI Paris, 4 avr. 2019, RG 17/08127 ; EUIPO, B 3 091 308, 13 septembre 2021 ; INPI, OPP 05-1810 du 26 dĂ©c. 2005 ; en sens contraire : INPI, OPP 16-0965 du 29 juil. 2016.) tandis que, pour le TUE, il est “notoirement connu, au moins pour une partie non nĂ©gligeable des consommateurs europĂ©ens, qu’un coq gaulois est associĂ© Ă la France” (TUE, Aff. T-117/23, 13 mars 2024, §47.).
Emblème non officiel du sport français, aucun texte n’octroie aux fĂ©dĂ©rations sportives françaises une exclusivitĂ© d’exploitation similaire Ă celle dont elles disposent sur les appellations “Equipe de France de…” et “Champion de France de…” (C. sport, art. L.131-17). C’est ainsi qu’un Ă©quipementier sportif (Le coq sportif, dont la marque la plus ancienne reproduisant un coq a Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e le 30 septembre 1968. https://www.lecoqsportif.com/pages/notre-histoire?srsltid=AfmBOoql0LKlisSL60woV3Lc4A-mDcHThixeq2IjJG2-C-RZrxBLYlxC.), partenaire des Jeux Olympiques de Paris 2024, en fait son emblème depuis 1948.
II. Une décision sans fausse note
Les versions du logo de la FFF font rĂ©gulièrement l’objet d’enregistrements Ă titre de marque. DĂ©posĂ©e le 16 avril 2019, sa marque de l’Union europĂ©enne n° 18 052 020, dĂ©signe notamment les “vĂŞtements, chaussures et chapellerie” en classe 25.
Le 11 mai 2021, la sociĂ©tĂ© espagnole KOKITO a procĂ©dĂ© au dĂ©pĂ´t d’une demande de marque figurative de l’Union europĂ©enne n° 18 469 266 pour dĂ©signer “chapellerie, articles chaussants, vĂŞtements” en classe 25 ( La demande de marque a fait l’objet d’une cession en cours de procĂ©dure.). La FFF s’y est opposĂ©e sur le fondement de sa marque antĂ©rieure prĂ©citĂ©e, invoquant l’existence d’un risque de confusion au sens de l’article 8 §1 sous b du règlement 2017/1001. Par un arrĂŞt du 15 janvier 2025, le TUE a pleinement approuvĂ© la chambre de recours de l’EUIPO d’avoir elle-mĂŞme approuvĂ© sans rĂ©serve la division d’opposition prĂ©cĂ©demment saisie, laquelle avait intĂ©gralement fait droit Ă cette opposition (EUIPO, Div. Opp. B 3 155 022, 1er mars 2023 ; EUIPO, Ch. Rec. R 901/2023-4, 13 dĂ©c. 2023 ; TUE, Aff. T-104/24, 15 janvier 2025.). Des dĂ©cisions tout Ă fait classiques et orthodoxes dans leur motivation.
ProcĂ©dant tout d’abord Ă une analyse de la marque antĂ©rieure, le TUE retient le caractère secondaire de la mention “FFF”, en petits caractères et en position latĂ©rale, par rapport Ă l’élĂ©ment figuratif reprĂ©sentant un coq stylisĂ© de façon impressionniste, dominant par sa taille et sa position. Ă€ noter que, dans une autre affaire, les initiales “FFR” avaient au contraire Ă©tĂ© jugĂ©es essentielles (TGI Paris, 7 juil. 2016, prĂ©c.).
ProcĂ©dant Ă la comparaison visuelle des signes, le TUE retient ensuite l’existence d’une impression d’ensemble similaire, alors que le consommateur moyen n’a que rarement la possibilitĂ© de procĂ©der Ă une comparaison directe des diffĂ©rents signes et doit se fier Ă l’image imparfaite qu’il en a gardĂ©e en mĂ©moire (CJUE, Aff. C-412/05 P, 26 avr. 2007, § 60.). Or, les coqs en conflit font l’objet d’une stylisation très similaire : leur plumage constitue la reprĂ©sentation des corps des coqs, les plumes Ă©tant reprĂ©sentĂ©es au moyen d’une sĂ©rie de courbes, disposĂ©es de la mĂŞme manière dans les deux signes. Leurs tĂŞtes sont Ă©galement reprĂ©sentĂ©es de façon semblable, ne contenant aucun contour et Ă©tant constituĂ©es de quatre Ă©lĂ©ments dessinĂ©s de manière assez Ă©lĂ©mentaire : un point indiquant l’œil, une forme de chevron reprĂ©sentant le bec ouvert ainsi que des dessins du barbillon et de la crĂŞte caractĂ©ristiques d’un coq (§41).
Si les ressemblances sont importantes, une analyse en creux des signes rĂ©vèle Ă nouveau des partis pris esthĂ©tiques similaires. Constatant que “certaines caractĂ©ristiques gĂ©nĂ©riques communes aux coqs ne sont mĂŞme pas reflĂ©tĂ©es“, le TUE relève que les coqs ne contiennent pas de pattes bien visibles, dans la mesure oĂą le corps des coqs semble tenir en Ă©quilibre sur une plume (§42).
En dĂ©finitive, les diffĂ©rences entre les signes en cause – le triple “F” ainsi que le fond hexagonal bleu limitĂ© par un contour dorĂ© – ne sauraient compenser la similitude des Ă©lĂ©ments figuratifs et ce, quand bien mĂŞme ceux-ci prĂ©sentent certaines diffĂ©rences. Alors que la chambre de recours avait conclu Ă une similitude visuelle “infĂ©rieure Ă la moyenne“, le TUE retient pour sa part une similitude moyenne sur le plan visuel, outre une identitĂ© conceptuelle entre des signes qui renvoient au mĂŞme concept “Ă savoir celui d’un coq très stylisĂ© et reprĂ©sentĂ© de façon impressionniste” (§58).
Eu Ă©gard Ă ces circonstances, Ă l’impossibilitĂ© de comparer les signes sur le plan phonĂ©tique, Ă l’identitĂ© des produits en cause et au caractère distinctif moyen de la marque antĂ©rieure (DĂ©pourvue de signification par rapport aux produits visĂ©s et possĂ©dant donc un caractère distinctif intrinsèque moyen ; la FFF ne semblait pas avoir produit d’Ă©lĂ©ments de preuve de la notoriĂ©tĂ© acquise par l’usage.), le TUE approuve la chambre de recours d’avoir retenu l’existence d’un risque que le public pertinent, qui fait preuve d’un niveau d’attention moyen, puisse ĂŞtre amenĂ© Ă croire que les produits concernĂ©s proviennent de la mĂŞme entreprise ou d’entreprises liĂ©es Ă©conomiquement (§67). L’existence d’un risque de confusion Ă©tant caractĂ©risĂ©e, l’opposition de la FFF Ă©tait bien fondĂ©e.
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Emblème non officiel du sport français, la figure du coq suscite des convoitises chez des acteurs économiques désireux de profiter de sa symbolique forte. Si aucune fédération sportive ne peut revendiquer de droits exclusifs sur le gallinacé, le droit des marques offre néanmoins une protection efficace en cas de risque de confusion.
En l’espèce, il nous semble que la solution retenue par le TUE doit ĂŞtre d’autant plus approuvĂ©e que la dĂ©marche poursuivie par la dĂ©posante est manifestement mal intentionnĂ©e. La sociĂ©tĂ© KOKITO a en effet procĂ©dĂ© au dĂ©pĂ´t de près de trente marques figuratives de l’Union europĂ©enne (Pour des produits en classe 25.), dont la quasi-intĂ©gralitĂ© prend la forme d’un Ă©cusson auquel sont associĂ©s, notamment, les couleurs de pays europĂ©ens ou encore les Ă©lĂ©ments figuratifs de grands clubs de football (Juventus de Turin, Bayern Munich, AS Rome, PSG etc.). Des oppositions sont actuellement pendantes ; KOKITO pourrait y laisser des plumes…
Combat de coqs Ă la barre : coups de bec gagnants pour la FFF
Par Thibault LACHACINSKI et Fabienne FAJGENBAUM, NFALAW Avocats, avocats Ă la Cour.