Responsabilité solidaire du dirigeant pour contrefaçon de droits d’auteur
Par Maître Simon Rolin.
Aux termes d’un jugement du 7 janvier 2025, le Tribunal judiciaire de Lyon a condamné solidairement une société et son dirigeant pour des faits de contrefaçon de droits d’auteur. Assignée par l’entreprise de luxe Hermès, la société avait en effet fait fabriquer et commercialiser des vêtements reproduisant des motifs présents sur des modèles de ses célèbres carrés de soie. Rare, cette décision engageant la responsabilité personnelle du dirigeant nous invite à revenir sur les conditions de sa mise en œuvre.
Une responsabilité dégagée par la jurisprudence
Si le dirigeant représente sa société, il n’est en principe pas personnellement responsable des faits qui peuvent être imputés à la personne morale. Mais dans le sillage de la jurisprudence administrative, distinguant la faute de service, qui n’engage que la personne morale, de la faute personnelle, détachable des fonctions et qui permet la mise en cause de son auteur, la Cour de cassation a forgé un régime jurisprudentiel permettant la mise en œuvre de la responsabilité des dirigeants sociaux. Initiée à l’occasion d’un arrêt du 22 janvier 1991 (Cass. com., 22 janv. 1991, no 89-11.650), la mise en œuvre de la responsabilité du dirigeant pour une faute détachable de ses fonctions a été précisée par l’arrêt de la chambre commerciale Seusse-Sati du 20 mai 2003 (Cass. com., 20 mai 2003, no 99-17.092).
Cet arrêt pivot énonce que « la responsabilité personnelle d’un dirigeant à l’égard des tiers ne peut être retenue que s’il a commis une faute séparable de ses fonctions ; qu’il en est ainsi lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales ». Il convient dès lors de démontrer, d’une part, que la faute du dirigeant a été commise intentionnellement, c’est-à-dire en ayant conscience de ses conséquences dommageables pour le tiers et, d’autre part, qu’elle est d’une particulière gravité, c’est-à-dire une faute lourde notamment en raison de l’importance de ses conséquences. Ces deux éléments rendent alors le comportement du dirigeant incompatible avec l’exercice normal de ses fonctions.
La jurisprudence recèle plusieurs exemples dont certains concernent le domaine de la création artistique. La responsabilité du dirigeant d’une maison d’édition aux côtés de celle-ci avait ainsi été recherchée pour la conclusion d’un contrat d’édition avec un médecin qui dévoilait au sein d’un ouvrage l’état de santé d’un président de la République française, violant ainsi le secret médical. La Cour d’appel de Paris avait néanmoins décidé de ne pas faire droit à cette demande (CA, Paris, 1re ch., 1, 27 mai 1997, SA Les éditions Plon c/ François M., RG no 97/46669). A contrario, un dirigeant d’une société ayant commercialisé des DVD de deux films de Pier Paolo Pasolini sans autorisation a vu sa responsabilité personnelle engagée. Il avait en effet fait porter son nom sur les jaquettes de DVD afin de faire croire au public qu’il était le producteur du film(Cass. civ. 1re, 3 juin 2015, no 14-14.144 : « Mais attendu qu’après avoir relevé que M. Y avait fait porter sur la jaquette des vidéogrammes la mention, “Y … présente”, en laissant ainsi croire au public qu’il était le producteur du film, la cour d’appel a pu retenir que celui-ci avait commis des actes de contrefaçon de manière délibérée, d’une particulière gravité et incompatibles avec l’exercice normal de ses fonctions sociales, comme tels détachables de celles-ci et engageant sa responsabilité personnelle. »). Le comportement était pour le moins audacieux.
Une décision d’espèce sévère
Dans son jugement du 7 janvier 2025, le Tribunal judiciaire de Lyon relève, quant à lui, que le président de la société poursuivie pour contrefaçon de trois carrés Hermès, « participe nécessairement personnellement à l’activité de la société ». Cette participation personnelle se « déduit » de « la taille très modeste de la société ». Et, ainsi qu’il l’admettait au sein de correspondances, il « avait lui-même fait réaliser les produits contrefaisants à partir de photographies trouvées sur Internet ». En outre, les trois motifs dont l’atteinte était alléguée appartenaient à la même collection. Il était donc « peu contestable » que le dirigeant connaisse nécessairement la titularité de la maison de luxe sur ces modèles, mais il ne s’était pourtant pas assuré « qu’ils étaient libres de droit » (sic). Enfin, il avait été le destinataire des mises en demeure de la société Hermès, mais n’avait pourtant pas retiré les produits litigieux des sites Internet sur lesquels s’opéraient la commercialisation des vêtements contrefaisants. Il ressort de ces faits – et des déductions des magistrats – que la responsabilité personnelle du dirigeant devait être engagée en raison de son comportement incompatible avec l’exercice normal de ses fonctions.
Il sera toutefois souligné que ni le dirigeant, ni la société n’avaient constitué avocat pour défendre leurs droits. Leur défaillance expliquant peut-être la décision favorable à l’engagement de la responsabilité du dirigeant, aucun élément ou argument n’étant soulevé pour sa défense. La portée de cette décision de première instance est donc à relativiser. Néanmoins, la caractérisation de la faute du dirigeant pour des faits de contrefaçon de droit d’auteur soulève un lien intéressant entre l’engagement de la responsabilité personnelle du dirigeant et la sanction pénale de la contrefaçon prévue par le Code de la propriété intellectuelle.
Une faute personnelle liée à une infraction pénale intentionnelle ?
En effet, la Cour de cassation a pu dégager une deuxième définition de la faute d’un dirigeant séparable de ses fonctions lorsqu’il commet « une infraction pénale intentionnelle » (Cass. com., 28 sept. 2010, no 09-66.255). Tel est le cas des crimes et de la majorité des délits. Tel est également le cas du délit de contrefaçon prévu aux articles L. 335-3 et L. 335-4 du Code de la propriété intellectuelle. L’automaticité entre la qualification de faute pénale intentionnelle et la responsabilité personnelle du dirigeant reste toutefois incertaine eu égard à la spécificité des litiges ayant donné lieu aux arrêts de la Cour suprême (Après une divergence avec la chambre commerciale (Cass. com., 28 sept. 2010, no 09-77. 255), la troisième chambre civile s’est finalement alignée sur sa position (Cass. civ. 3e, 10 mars 2016, no 14-16.326). Ces litiges portaient en effet sur le délit de défaut de souscription des assurances obligatoires de dommages et de responsabilités pour les personnes morales (Code des assurances, article L. 111-34). L’application de cette définition en matière de propriété intellectuelle est plus nuancée.
Une étude des jurisprudences rendues par les juridictions en matière de propriété intellectuelle semble exclure une telle assimilation. Le Tribunal judiciaire de Paris a ainsi rejeté la responsabilité personnelle d’un dirigeant pour contrefaçon d’une marque malgré les mises en demeure en raison de la « faible ampleur des faits en cause » (TJ, Paris, 3e ch., 2e sect. 17 févr. 2023, RG no 21/05343) ou, dans une autre affaire, en raison de l’exploitation postérieure de deux marques contrefaisants la marque Canada Goose malgré l’existence d’un différend antérieur et la conclusion d’une transaction aux termes de laquelle la société s’engageait à cesser tout usage de signe similaire (TJ Paris, 3e ch., 2e sect., RG no 18/12513).
Mais un contentieux spécifique relatif au refus de versement de la redevance à la SPRE, organisme de collecte des rémunérations des artistes-interprètes et des producteurs de photogrammes, met également en œuvre cette responsabilité (CA Rennes, 1re ch., 13 déc. 2023, RG no 22/01803 ; voir également CA Paris, Pôle 5, ch. 1, 9 mars 2022, RG no 20/95658 ; CA Nancy, 1re ch., 13 juin 2022, RG no 21/02666 ; CA Paris, Pôle 5, ch. 1, 11 mai 2021, RG no 11 mai 2021, RG no 17/19511 ; CA Paris, Pôle 5, ch. 1, 10 nov. 2020, RG no 20/04766 ; CA Bordeaux, 5e ch. civ., 15 déc. 2016, RG no 16/01346). La Cour d’appel de Rennes a ainsi récemment énoncé qu’ « une jurisprudence constante retient qu’en refusant en toute connaissance de cause de s’acquitter des redevances dues pour la diffusion de musique dans l’établissement exploité, et ce sur une longue période, un dirigeant commet une faute détachable de ses fonctions d’une particulière gravité en ce qu’elle est susceptible de revêtir une qualification pénale et qu’elle dépasse les simples conséquences d’une mauvaise gestion, engageant dès lors sa responsabilité personnelle à l’égard de l’organisme collecteur solidairement avec la société exploitante ».
Le jugement commenté ne s’inscrit pas dans le cadre de ces litiges spécifiques au recouvrement de créances par un organisme. Mais la solidarité de la condamnation prononcée par le Tribunal judiciaire de Lyon entre la société et le dirigeant au titre de la contrefaçon permettra au titulaire des droits d’obtenir la réparation intégrale de ses préjudices soit auprès de la société, soit sur le patrimoine de son gérant. Une telle solution peut s’avérer intéressante lorsque la société fait l’objet d’une procédure collective, le créancier pouvant ainsi directement obtenir la condamnation auprès du dirigeant.
Responsabilité solidaire du dirigeant pour contrefaçon de droits d’auteur
Par Maître Simon Rolin.