“L’Occitane condamnée pour contrefaçon
par Jean-Charles De Castelbajac” par Matthieu BERGUIG
TJ, 3e ch., 1re sect., 18 nov. 2021, n° RG 18/13549, J-C. De Castelbajac c/ Sté L’Occitane International SA, Sté M&L Distribution France
Il n’est pas rare que le dirigeant d’une société confie à cette dernière le droit d’exploiter certains éléments de sa personnalité, en particulier son prénom et son nom. Lorsque ce dirigeant est également l’auteur d’œuvres de l’esprit, il peut même laisser à sa société le soin d’exploiter ses créations, par le biais d’une licence ou bien d’une cession de ses droits patrimoniaux d’auteur. Personne physique et personne morale partagent alors un certain nombre d’éléments immatériels communs : prénom, patronyme, image, entre autres.
La situation ne va pas sans poser certaines difficultés une fois que le dirigeant décide de quitter la société. La question se pose alors de savoir si cette dernière peut continuer à exploiter les éléments immatériels qui avaient été mis à sa disposition, qu’il s’agisse notamment du nom du créateur et/ou de ses œuvres.
Cette problématique a été récemment abordée par le Tribunal judiciaire de Paris dans le cadre d’une affaire originale opposant le fameux créateur Jean-Charles de Castelbajac à une société dont il avait été le directeur artistique et qui avait autorisé un tiers à exploiter son nom et certaines de ses créations.
En l’occurrence, Monsieur de Castelbajac avait créé en 1978 une société « Jean-Charles de Castelbajac », spécialisée dans la création de vêtements et d’accessoires de mode, dont les actifs avaient été acquis en 2011, après redressement judiciaire et plan de cession, par une société dénommée PMJC. Aux termes du contrat de cession d’actifs, PMJC avait acquis le droit d’exploiter le nom « Castelbajac » ainsi qu’une marque Castelbajac, qui appartenaient initialement à la société Jean-Charles de Castelbajac.
PMJC avait également eu recours aux services de Jean-Charles de Castelbajac en tant que directeur artistique. Le contrat conclu prévoyait la cession des œuvres créées par Charles de Castelbajac dans le cadre de ses fonctions de directeur artistique au profit de PMJC. Ce contrat fut résilié en 2015, sans effet sur la cession passée.
En 2018, la société PMJC avait conclu un partenariat avec le fabricant de cosmétiques L’Occitane, en vue de la commercialisation de certains produits reproduisant le nom et les oeuvres de Castelbajac. Mais le pouvait-elle réellement ? Ces œuvres faisaient-elles partie du patrimoine de PMJC ? Et cette dernière pouvait-elle ainsi concéder à un tiers le droit d’utiliser le nom Castelbajac ? Le créateur le contestait et avait assigné à la fois PMJC et L’Occitane pour contrefaçon et concurrence déloyale.
Par un jugement du 18 novembre 2021, le Tribunal judiciaire de Paris a fait droit aux demandes du créateur. Les juges ont tout d’abord estimé que L’Occitane avait bien commis des actes de contrefaçon de droit d’auteur en reproduisant des œuvres dont PMJC n’était pas titulaire. Et pour cause, ces œuvres avaient été créées par Jean-Charles de Castelbajac en dehors de ses fonctions de directeur artistique. Elles ne faisaient pas partie des œuvres dont les droits avaient été cédés à PMJC, qui ne pouvait exploiter que les créations réalisées dans le cadre des activités de la société, par opposition à celles créées dans le cadre des autres activités de Jean-Charles de Castelbajac (activités dites « dérogatoires »).
Il est intéressant de relever que, pour sa défense, PMJC soulevait des arguments assez surprenants. Elle prétendait notamment que Jean-Charles de Castelbajac ne rapportait pas la preuve de sa qualité d’auteur des dessins litigieux. Elle soutenait également que ces œuvres n’étaient pas originales. Si ce type d’argument peut se comprendre dans le cadre d’un procès en contrefaçon « classique », entre deux sociétés concurrentes par exemple, il est beaucoup plus étonnant dans un contexte opposant un créateur à une société dont il a été le dirigeant ou, comme en l’espèce, le directeur artistique.
De son côté, L’Occitane soulevait des éléments inopérants, notamment « l’apparence de régularité » du contrat par lequel elle avait été autorisée à exploiter les créations. Non seulement la bonne foi est inopérante en matière de contrefaçon, selon la formule consacrée, mais le Tribunal relève que le parfumeur avait été prévenu très tôt de l’opposition de Jean-Charles de Castelbajac à l’exploitation de ses œuvres. La collection est pourtant encore en vente aujourd’hui !
Et dans cette affaire, non seulement les défenderesses ont été condamnées pour contrefaçon de droits d’auteur, mais le Tribunal a fait preuve également d’une particulière sévérité en ce qui concerne le grief de concurrence déloyale et parasitaire. Retenant que PMJC avait trompé les consommateurs en laissant croire que le créateur aurait été associé à cette collection, les juges ont estimé que PMJC avait « profit, de façon injustifiée, du travail du demandeur et de la signature d’un artiste connu du grand public».
Sur un plan non pécuniaire, L’Occitane s’est logiquement vu interdire de commercialiser la collection litigieuse. Les condamnations prononcées sont, pour leur part, à la hauteur de la légèreté avec laquelle les défenderesses ont agi, puisque Jean-Charles de Castelbajac s’est vu accorder 940.000 euros pour l’atteinte aux droits patrimoniaux d’auteur, 60.000 euros pour l’atteinte au droit moral, ainsi que 100.000 euros au titre de la concurrence déloyale et parasitaire. On notera d’ailleurs que le Tribunal ne s’embarrasse pas d’une qualification plus précise (concurrence déloyale ou parasitisme ?). On relèvera enfin les 90.000 euros d’article 700.