« Politique et droit d’auteur – épisode 2 : Les secrets de la Pyramide »
par Stéphanie CARRE
Sans forcément le vouloir, les candidats invitent dans la campagne les droits de propriété intellectuelle, mais aussi, spécialement en ce qui concerne le clip de campagne de la candidate du Rassemblement national, le droit à l’image des domaines nationaux.
« C’est ici au Louvre, au grand Louvre »… Ainsi débute la vidéo réalisée pour la promotion de la candidature de Marine Le Pen, que le public a découvert mi-janvier. L’établissement public a aussitôt dénoncé un tournage sans autorisation devant la Pyramide de la part de l’équipe de la candidate.
La situation ressemble à un cas d’école.
La pyramide du Louvre, du point de vue du droit et des « protections immatérielles » dont elle fait l’objet est, d’une part, une œuvre architecturale et, en tant que telle, objet potentiel d’un droit d’auteur, et, d’autre part, un élément essentiel du domaine national du Louvre et des Tuileries et, en tant que tel, objet d’un régime juridique protecteur issu de la loi dite Création de 2016.
S’agissant de cette loi du 7 juillet relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, tout d’abord.
On peut penser que ce texte a forcément retenu l’attention de ceux en responsabilité de ce clip de campagne. En effet le Louvre est au cœur de cette communication à finalité électorale, en écho à n’en pas douter à l’utilisation passée de ce symbole par l’actuel Président … Or, le domaine du Louvre et des Tuileries constitue l’un des 6 premiers domaines nationaux qualifiés comme tels par le Code du patrimoine (art. R. 621-98 issu du décret du 2 mai 2017), et portés au nombre de 11 par un décret de 2021 (les monuments, parties de ce domaine et propriétés de l’Etat, sont également protégés au titre des monuments historiques). Ces domaines nationaux sont des ensembles immobiliers présentant un lien exceptionnel avec l’histoire de la Nation, dont l’image ne peut être utilisée librement à des fins commerciales. L’utilisation de l’image des immeubles qui constituent le domaine national du Louvre et des Tuileries, à des fins commerciales suppose, en effet, conformément à ce que prévoit l’art. L. 621-42 du Code du patrimoine, une autorisation préalable du gestionnaire de la partie concernée du domaine national et le paiement d’une redevance. Il est question ici d’une campagne politique, cela exclut-il toute finalité commerciale ? On pourrait penser que oui. Mais cela dépend de l’exploitation faite de la vidéo litigieuse. Si celle-ci est associée lors de sa diffusion à des publicités, ce qui n’est pas rare lors de la mise en ligne d’une vidéo sur Youtube ou Twitter, pour ne prendre que ces exemples au regard des canaux utilisés par la candidate ou son équipe de campagne, la finalité lucrative ne peut être exclue. Si la finalité commerciale devait être caractérisée, dans le cadre de ce régime, la méconnaissance de l’obligation de solliciter une autorisation pourrait constituer une faute de nature à engager la responsabilité de l’utilisateur à l’égard du propriétaire ou du gestionnaire des immeubles, action devant être portée devant la juridiction administrative.
Mais là n’est pas le seul point de droit.
Du point de vue du droit d’auteur, la situation parait plus problématique. En effet, la pyramide du Louvre constitue une œuvre architecturale susceptible d’être protégée par le droit d’auteur. La caractérisation de la seule condition d’originalité ne semble pas faire de doute. L’auteur, architecte de renom, Leoh Ming Pei, est décédé en 2019 : son œuvre ne peut donc pas être librement exploitée, sous réserve du bénéfice d’exceptions aux droits de l’auteur. Les droits patrimoniaux survivent à la mort de l’auteur, pendant soixante-dix à compter de celle-ci et le droit moral est perpétuel. L’une ou l’autre des exceptions aux droits prévues par la loi permettait-elle à la candidate, son équipe ou son parti de représenter l’œuvre architecturale au cœur du clip de campagne ? On peut songer à l’exception dite « de panorama » prévue à l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle et selon laquelle les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique ne peuvent être interdites par le titulaire des droits, lorsqu’elles sont réalisées par des personnes physiques et à l’exclusion de tout usage à caractère commercial (CPI, L. 122-5, 11°). Ici, se pose incontestablement la question de la personne ayant réalisé le clip : La candidate, personne physique ? Son parti, personne morale ? Par ailleurs, nous avons discuté plus haut du point de savoir si une campagne politique est vraiment dénuée de toute fin commerciale. Une chose est sûre, on s’éloigne dans cette situation de l’esprit du texte que le législateur a pensé pour permettre à des personnes physiques de prendre des photos de l’espace public, y compris des œuvres qui y sont placées, pour leur usage personnel en quelque sorte, ou à tout le moins à l’exclusion de tout usage commercial… L’exception légale est, en ce sens, plus étroite que « l’ancienne » exception prétorienne de libre reproduction ou représentation accessoire d’une œuvre située dans un lieu public. Outre ce doute relatif au bénéfice de l’exception, le droit moral de l’auteur pourrait être invoqué pour empêcher l’utilisation à des fins politiques de l’œuvre. Il est sur cette question, une décision importante de la Cour de justice s’agissant de l’utilisation revendiquée au titre de parodie, une autre exception aux droits de l’auteur, d’un dessin de bande dessinée. La prétendue parodie avait justement été utilisée dans le cadre d’une campagne politique par un parti d’extrême droite pour faire passer un message politique (arrêt « Deckmyn », CJUE, 3 sept. 2014, C-201/13). Or, la Cour, alors même que le droit moral n’a pas fait l’objet d’une harmonisation au niveau du droit de l’Union européenne, souligne que les auteurs concernés ont un intérêt légitime à ne pas voir leur œuvre associée au dit message. Les faits sont différents, certes, mais il ne semble pas exclu qu’une utilisation d’une œuvre à des fins politiques pourraient méconnaître le droit moral de l’auteur, droit qui lui permet de faire respecter l’intégrité de son œuvre, y compris son esprit.
Pour l’heure, le Louvre évoque une action, affaire à suivre ! Elle nous permettrait peut-être d’intéressants développements jurisprudentiels sur la notion d’utilisation à des fins commerciales ou lucratives, non définie par la loi …
« Politique et droit d’auteur – épisode 2 : Les secrets de la Pyramide » par Stéphanie CARRE, Maître de conférences HDR, Laboratoire de recherche du CEIPI (UR 4375)
Photo credits : A tv grab taken on January 15, 2022 from the Facebook page of the Rassemblement National shows France’s far-right party Rassemblement National (RN) candidate for the 2022 French presidential election Marine Le Pen delivering a speech by the Louvre Pyramid in Paris. RESTRICTED TO EDITORIAL USE – MANDATORY CREDIT “AFP PHOTO / RASSEMBLEMENT NATIONAL / FACEBOOK ” – NO MARKETING – NO ADVERTISING CAMPAIGNS – DISTRIBUTED AS A SERVICE TO CLIENTS