Quand le parasitisme vient au secours du droit d’auteur : illustration au travers de l’exemple du personnage d’Amélie Poulain
(Tribunal judiciaire de Paris, 3ème chambre, 1ère section, 19 décembre 2024, n° 22/13834)
Par Maître Dune Gerin.
Le Tribunal judiciaire de Paris s’est récemment penché sur la question de savoir si le personnage d’Amélie Poulain déguisée en Zorro pouvait ou non prétendre à une protection par le droit d’auteur.
- Faits et procédure
Le film « Le fabuleux destin d’Amélie Poulain », sorti en salles en avril 2001, a rencontré un important succès, réalisant 8 millions d’entrées et remportant quatre prix aux Césars.
L’une des scènes emblématiques du film porte sur la confection par le personnage d’Amélie d’une photographie d’elle-même, masquée et chapeautée tel le personnage de Zorro, et la reconstitution de ladite photo par l’un des protagonistes du film.
La Société ME group France, qui a pour activité l’exploitation de photomatons, a diffusé en juillet 2022 une campagne publicitaire intitulée « Tu veux ma photo ? » accessible sur son site internet, sur les réseaux sociaux, ainsi que sur de nombreuses cabines de photomatons.
Dans cette campagne, apparaît une femme masquée en personnage de Zorro, dans un photomaton, appelée « Amélie 2.0 ».
Les auteurs, scénaristes et réalisateurs du film « Le fabuleux destin d’Amélie Poulain » ont attaqué cette société sur le fondement de la contrefaçon de droits d’auteur et du parasitisme, leur reprochant d’exploiter le personnage d’Amélie Poulain sans en avoir sollicité l’autorisation.
- La décision du Tribunal
2.1. Rappel des principes juridiques
Pour rappel, l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle définit l’œuvre protégée comme une œuvre de l’esprit sur laquelle l’auteur jouit, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.
Selon l’article L. 112-1 du même code, ce droit appartient aux auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.
En application de la jurisprudence, pour qu’un objet puisse être regardé comme original, il est à la fois nécessaire et suffisant que celui-ci reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier (voir, en ce sens, arrêts de la Cour de Justice du 1er décembre 2011, Painer, C-145/10, points 88, 89 et 94, ainsi que du 7 août 2018, Renckhoff, C-161/17, point 14).
Il ne doit pas, comme le rappelle en l’espèce le Tribunal, être « la banale reprise d’un fonds commun non appropriable ». Aussi, « il appartient à celui qui se prévaut d’un droit d’auteur dont l’existence est contestée de définir et d’expliciter les contours de l’originalité qu’il allègue ».
Enfin, conformément à l’article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite.
Dans cette affaire, le Tribunal indique ainsi qu’un « personnage de fiction est susceptible, sous la condition de constituer une œuvre originale, de protection, et sa reproduction, faute d’autorisation de son auteur, de constituer, notamment en cas d’identification immédiate, une contrefaçon ».
Afin de déterminer si le personnage est protégeable par le droit d’auteur, le tribunal précise qu’il est nécessaire de se livrer à « une appréciation globale » du personnage, prenant notamment en compte :
- Ses aspects physiques ;
- Ses attitudes comportementales ;
- Ses caractéristiques propres et récurrentes.
L’idée est ici de dégager une impression d’ensemble de la création et non de procéder à un examen détaillé élément par élément du personnage en question.
2.2. Le refus de la protection par le droit d’auteur du personnage d’Amélie Poulain déguisée en Zorro
Selon le Tribunal, le personnage d’Amélie Poulain a une apparence banale, ne disposant d’aucun attribut reconnaissable hormis sa coupe de cheveux avec une frange courte.
Aussi, « le fait qu’elle se dissimule parfois derrière de grosses lunettes, un foulard dans les cheveux, une paire de lunettes de soleil, ou encore derrière un masque noir qui dissimule le haut de son visage à l’exception des yeux et un chapeau noir à large rebord, ne saurait caractériser un comportement récurrent de l’héroïne […] ».
S’agissant des accessoires caractéristiques de Zorro, le Tribunal considère qu’ils ne sont pas appropriables et que, pris séparément, ils appartiennent au fonds commun de l’univers vestimentaire du déguisement. Ces accessoires ne révèlent, « même combinés à l’univers très particulier des cabines photographiques automatiques, aucun parti pris esthétique, ni une quelconque recherche qui traduirait un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de leur créateur en conférant à ce personnage une personnalité propre identifiable ».
Il résulte de ce qui précède que le personnage d’Amélie Poulain déguisée en Zorro est dépourvu de caractère original et n’est donc pas protégeable au titre du droit d’auteur. Les demandes formées en contrefaçon sont donc rejetées.
2.3. Sauvetage de l’affaire sur le fondement du parasitisme
A titre subsidiaire, les demandeurs faisaient valoir que les faits dénoncés étaient constitutifs de parasitisme. Selon eux, la campagne publicitaire litigieuse se caractériserait par la reprise d’éléments évocateurs du film « Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain », dont la notoriété et le pouvoir attractif étaient exploités sans bourse délier.
Le Tribunal s’appuie sur le succès considérable du film, jamais démenti, et en conclut qu’il revêt une valeur économique indéniable, même plus de vingt ans après sa sortie.
Il en conclut que, en reproduisant un personnage de jeune femme brune aux yeux foncés, habillée, masquée et chapeautée de noir dans un photomaton, tout en revendiquant expressément son emprunt au personnage du film Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain, la société ME group France s’est délibérément placée dans le sillage des demandeurs et a tiré indûment profit de la notoriété du film et de son héroïne. La société ME group France est donc condamnée à verser la somme de 25.000 euros de dommages-intérêts et à supprimer le spot publicitaire litigieux.
Cette décision illustre une certaine tendance jurisprudentielle actuelle consistant en un affaiblissement de la protection octroyée par le droit d’auteur, au profit de la concurrence déloyale et du parasitisme.
Quand le parasitisme vient au secours du droit d’auteur : illustration au travers de l’exemple du personnage d’Amélie Poulain : (Tribunal judiciaire de Paris, 3ème chambre, 1ère section, 19 décembre 2024, n° 22/13834)
Par Maître Dune Gerin.