Retour d’expérience sur la première affaire plaidée et jugée au fond par la Division Locale de Paris de la JUB
Par François Pochart, Jeanne Morel-Fourrier, Antoine Lerond, Océane Millon de la Verteville.
François Pochart a eu la chance de plaider, aux côtés de Christian Dekoninck, associé de Taylor Wessing, la première affaire au fond devant la Division Locale de Paris (« DL de Paris ») dans une affaire opposant Abbott à Dexcom concernant le brevet EP 3 435 866 (case ID: ACT_546446_2023, UPC_CFI_230/2023).
Équipes paneuropéennes
Chaque partie bénéficiait d’une équipe paneuropéenne de plusieurs avocats, celle consacrée à la défense d’Abbott étant composée d’avocats belges, allemands et néerlandais de Taylor Wessing et d’avocats français de l’équipe brevets d’August Debouzy (François Pochart, Jeanne Morel-Fourrier et Antoine Lerond). Cette diversité, de cultures juridiques et de cabinets, a grandement contribué à la richesse des échanges, chaque praticien apportant son angle de vue sur les différents aspects du dossier.
Déroulé de la procédure
Dexcom a déposé son mémoire en demande le 7 juillet 2023. En défense, les entités Abbott ont formé une demande reconventionnelle en nullité. Dexcom a déposé deux requêtes auxiliaires. Les parties ont déposé trois mémoires chacune en moins d’un an.
La langue de la procédure était l’anglais.
La conférence de mise en état s’est tenue le 16 mai 2024 et l’audience au fond le 24 mai 2024. La décision a été rendue le 4 juillet 2024. L’objectif des 12 mois à compter du dépôt du mémoire en demande est donc tenu – malgré les difficultés liées à la signification du mémoire en demande à dix défendeurs différents dans des pays étrangers et les difficultés techniques liées au CMS. S’agissant du CMS, on notera toutefois que des améliorations ont d’ores et déjà été apportées et que le greffe de la DL de Paris a toujours été très aidant.
Magistrats et greffe très coopérants à la DL de Paris
Magistrats et greffe de la DL de Paris ont fait preuve d’adaptabilité et de coopération avec les représentants des parties pour rendre la procédure efficace. À titre d’exemple : en amont de la conférence de mise en état, le juge-rapporteur a proposé un ordre du jour pour l’audience de plaidoiries, avec un temps alloué à chaque sujet. Sur cette base, les représentants ont pu échanger et faire des suggestions lors de la conférence de mise en état.
Audience de plaidoiries
Elle a duré 4h45 (3h45 le matin, 1h l’après-midi). Les avocats plaidants sont assis, comme à l’OEB, et parlent dans un micro puisque l’audience est enregistrée.
Une seule question a été posée par le juge qualifié sur le plan technique. Mise à part une répartition un peu plus précise des questions abordées, le déroulé n’était donc pas fondamentalement très différent de celui d’une audience de plaidoiries « à la française ».
Par contraste, lors de l’audience relative au brevet EP’685 (divisionnaire du brevet EP’866) dans un litige opposant les mêmes parties devant la DL de Munich, de nombreuses questions ont été posées et les échanges étaient plus interactifs, ce qui se rapproche plus de la pratique allemande. La décision est attendue à la fin du mois de juillet.
La décision
Sur l’interprétation des revendications : la DL de Paris indique qu’elle adopte les principes d’interprétation énoncés par la cour d’appel de la JUB dans ses décisions UPC_CoA_335/2023 et UPC_CoA 1/2024, sur la base de l’article 69 de la CBE et de son Protocole d’interprétation. Elle rappelle en outre que l’interprétation doit rester la même pour la contrefaçon et la validité. À noter que, même si les points d’interprétation étaient plutôt destinés à l’appréciation de la contrefaçon, qui n’a finalement pas été abordée, la DL de Paris les a tout de même tranchés (en donnant aussi une indication sur un argument présenté lors des plaidoiries – non retenu). Cela permettra aux parties, en cas d’appel, de débattre sur ces points sur la base de la décision de première instance.
Sur la compétence de la JUB pour connaître de la demande reconventionnelle en nullité s’agissant de la partie allemande du brevet : Dexcom avait exclu de ses demandes devant la JUB les actes de prétendue contrefaçon de la partie allemande de son brevet qu’auraient commis trois des défenderesses, car ils faisaient déjà l’objet d’une action en cours devant la Cour régionale de Mannheim. Dexcom demandait donc à la JUB de se déclarer partiellement incompétente pour connaître de la demande reconventionnelle en nullité pour la partie allemande du brevet EP’866. La JUB rejette tous les arguments de Dexcom et se déclare compétente sur l’intégralité du brevet, en particulier parce qu’il n’y a pas identité des parties et que la situation en cause relève donc de l’article 30(2) du règlement Bruxelles I bis et non de son article 29(3).
Sur la validité : Abbott invoquait la nullité du brevet EP’866 pour extension de son objet au-delà du contenu de la demande telle que déposée, défaut de nouveauté et défaut d’activité inventive. Les deux premiers motifs de nullité ont été rejetés. C’est finalement sur le troisième motif que la JUB déclare le brevet nul dans son intégralité. Après avoir exposé les différences entre l’invention et l’art antérieur le plus proche (§23.5) et s’être attachée à formuler un problème technique objectif (§23.6), la JUB juge que l’invention aurait été évidente au regard du document D1 combiné avec les connaissances générales de l’homme du métier.
On notera que, pour son appréciation de la validité, la DL de Paris et le Bundespatentgericht ont des positions très proches – sans toutefois être identiques.
Les requêtes subsidiaires sont également rejetées.
Sur les revendications dépendantes, la JUB note que Dexcom n’a pas fourni d’arguments spécifiques sur la validité de chacune d’elles. La JUB ne s’étend donc pas sur ces revendications et les annule pour défaut d’activité inventive à l’instar de la revendication 1. On peut noter que, dans les décisions du 16 juillet dans les affaires Sanofi c. Amgen (ACT_459505/2023) et Regeneron c. Amgen (CC_586764/2023), la Division centrale rejette de la même manière les demandes de modification du brevet soulignant que le titulaire se contente de déclarer que ses revendications modifiées seraient inventives pour les mêmes raisons que le brevet tel que délivré sans développer d’arguments spécifiques permettant de défendre leur validité.
En conclusion, un an après l’entrée en vigueur de la JUB, et au regard de cette première expérience de procédure au fond devant la DL de Paris, nous faisons le constat que la JUB – en tout cas cette division – est une juridiction efficace qui s’attache à coopérer avec les représentants des parties pour peu que ces derniers soient eux-mêmes dans cet état d’esprit.
Retour d’expérience sur la première affaire plaidée et jugée au fond par la Division Locale de Paris de la JUB
Par François Pochart, Jeanne Morel-Fourrier, Océane Millon de la Verteville.