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Saisie-contrefaçon et secret des affaires : la Cour de cassation écarte la mise sous scellés au profit de la mise sous séquestre provisoire par Pierre Trusson et Katia Freiszmuth, Avocats au Cabinet JP Karsenty & Associés

Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 1 février 2023, 21-22.225, Publié au bulletin – Dans un arrêt du 1er février 2023

La Cour de cassation écarte la possibilité pour le juge d’ordonner une mise sous scellés des documents qui doit lui préférer le placement sous séquestre provisoire afin de préserver le secret des affaires.

 

  • Mise sous séquestre et mise sous scellés, quelle différence ?

Les mesures de placement sous séquestre et de mise sous scellés poursuivent en principe un but similaire, à savoir la conservation des biens saisis, tout en empêchant le requérant à la saisie d’en prendre connaissance immédiatement.

Cela garantit un équilibre entre, d’une part, le droit à la preuve du requérant et, d’autre part, le droit au secret des affaires du saisi, tout particulièrement lorsque ce dernier n’a pas pu faire valoir ses arguments dans le cadre d’une ordonnance rendue de manière non contradictoire.

Si la mise sous scellés implique, comme son nom l’indique, l’apposition d’un sceau empêchant toute manipulation de l’objet saisi, la mise sous séquestre désigne, quant à elle, la remise d’un bien entre les mains d’un tiers, par exemple un huissier, en vue de le rendre momentanément indisponible.

En pratique, la mise sous scellés se double généralement d’une « mise sous séquestre » lorsque l’huissier ayant réalisé les saisies conserve les scellés en son étude, généralement jusqu’à ce qu’une décision de justice soit rendue.

Il n’existe pas de disposition spécifique dans le Code de la propriété intellectuelle prévoyant le régime de ces deux notions, contrairement à d’autres domaines du droit.

Par exemple, la mise sous scellés est régie en matière de successions aux articles 1307 à 1315 du Code de procédure civile. En matière pénale, la mise sous scellés est également strictement encadrée par l’article 434-22 du Code pénal, qui sanctionne le bris de scellés apposés par l’autorité publique et tout détournement d’objet placé sous scellés, par deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

Une mesure de séquestre est également prévue aux articles 1955 et suivants du Code civil, mais concerne l’acquisition de la propriété et n’est donc pas pertinente ici.

 

  • Faits et procédure

La société TEOXANE est titulaire d’un brevet européen EP 3027186 (EP 186) délivré le 19 juin 2019, portant sur un procédé de préparation d’une composition injectable.

La société Laboratoires VIVACY, commercialisant une composition constituée des mêmes substances mettant en œuvre son brevet EP 3049091, a assigné la société TEOXANE en annulation des revendications 1 à 4 de la partie française de son brevet EP 186.

Soutenant que le produit commercialisé par les Laboratoires VIVACY contrefaisait son brevet EP 186, la société TEOXANE a obtenu deux ordonnances sur requêtes du 7 janvier 2020 l’autorisant à faire procéder à des saisies-contrefaçons au siège de la société VIVACY, ainsi que dans une unité de production.

Celles-ci se sont déroulées le 8 janvier 2020 et ont donné lieu à la mise sous scellés de documents appréhendés, les scellés étant conservés par les huissiers en leur étude.

La société VIVACY a, par la suite, assigné le 6 février 2020 la société TEOXANE en rétractation des deux ordonnances. Après avoir ordonné la jonction des procédures, le juge de la rétractation a débouté la société VIVACY de sa demande en rétractation et ordonné la levée des scellés par ordonnance du 12 juin 2020.

L’ordonnance exigeait la remise d’une partie des documents en constatant un accord entre les parties sur une version censurée et, pour d’autres documents, une version censurée sur décision du juge (avec notamment l’anonymisation de l’identité des clients sur les factures).

Un appel était interjeté par la société VIVACY qui se fondait, principalement, sur l’ajout par le magistrat signataire des deux ordonnances de saisie-contrefaçon, d’une mention précisant que les saisies se feraient « sous réserve de placement sous scellés en cas d’atteinte au secret des affaires ».

Cet ajout contrevenait d’après elle aux articles R.615-2 du Code de la propriété intellectuelle et R.153-1 du Code de commerce, imposant au magistrat de recourir au placement sous séquestre pour assurer la protection du secret des affaires.

Dans son arrêt du 25 juin 2021, la Cour d’appel de Paris déboutait la société VIVACY de sa demande en rétractation en retenant que :

« S’il est exact qu’une procédure spécifique de placement sous séquestre provisoire est prévue par ces articles, une telle procédure est facultative et le juge n’est pas tenu d’y recourir.

C’est le choix qui a été fait par le magistrat qui n’a pas décidé de recourir à la procédure de séquestre provisoire mais à celle différente, et d’ailleurs plus protectrice du saisi, de placement sous scellés de pièces susceptibles de violer le secret des affaires ».

À la suite d’un pourvoi en cassation de la société VIVACY, la Cour de cassation a finalement prononcé, par un arrêt du 1er février 2023, la rétractation partielle des deux ordonnances, tout en prévoyant la communication à la société requérante des documents saisis.

La Haute Cour a jugé « qu’afin d’assurer la protection du secret des affaires de la partie saisie, le président, statuant sur une demande de saisie-contrefaçon, ne peut que recourir, au besoin d’office, à la procédure spéciale de placement sous séquestre provisoire ».

La Cour de cassation s’est fondée sur le décret du 11 décembre 2018 relatif à la protection du secret des affaires, lequel introduit l’article R.153-1 du Code de commerce disposant que « (…) le juge peut ordonner d’office le placement sous séquestre provisoire des pièces demandées afin d’assurer la protection du secret des affaires ».

Ledit article R.153-1 s’appliquant en matière de brevet en vertu de l’article R.615-2 du Code de la propriété intellectuelle, la Cour de cassation a alors jugé qu’« à compter de l’entrée en vigueur du décret n°2018-1126, le placement sous séquestre provisoire était la seule mesure pouvant être prononcée pour garantir le secret des affaires du saisi ».

Cet arrêt est vraisemblablement transposable aux autres droits de propriété intellectuelle pour lesquels un article équivalent au R.615-2 est prévu (voir les articles R. 521-2, R. 623-51, R. 716-2 et R. 722-2 du CPI).

Malgré le recours erroné à la mise sous scellés, la Cour de cassation ne sanctionne pas la société requérante puisqu’elle se voit tout de même communiquer l’intégralité des documents saisis.

 

  • Le choix du placement sous séquestre par la Cour de cassation au détriment de la mise sous scellés

Dans la pratique, les juridictions recourent très régulièrement dans le cadre de la saisie-contrefaçon à la mise sous scellés, qui présente l’avantage d’empêcher toute manipulation par le requérant quand bien même le scellé serait en sa possession (ce qui est rare en pratique, l’huissier conservant en général les scellés).

Ce n’est pas nécessairement le cas du séquestre car, une fois celui-ci levé, le requérant se voit en principe remettre l’objet de la saisie et peut donc manipuler le document ou le produit saisi. L’impact peut être réel s’il s’agit d’un produit, puisqu’il peut alors être porté atteinte à son intégrité.

Qui plus est, le décret n° 2018-1126 prévoit une remise automatique au requérant des biens séquestrés à l’issue d’un délai d’un mois si le saisi n’a pas engagé d’action en référé-rétractation (art. R.153-1 du Code de commerce), dispensant ainsi le requérant d’une action visant à en obtenir la communication des biens saisis, comme en matière de scellés.

En l’espèce, la recherche d’une protection renforcée du saisi avait conduit la Cour d’appel à valider le régime de mise sous scellés qui y voit une « procédure (…) plus protectrice du saisi » et du secret des affaires. C’est particulièrement vrai dans le cas présent, puisque les documents placés sous scellés étaient également conservés chez les huissiers ayant réalisé les saisies.

La mise sous séquestre prévue par le décret n° 2018-1126 est alors jugée par la Cour comme une procédure « facultative » auquel le juge est libre de recourir ou non, ce qui paraît conforme à la formulation « le juge peut ordonner d’office le placement sous séquestre » de l’article R.153-1.

La motivation ne va toutefois, pas convaincre la Cour de cassation qui va rétracter les deux ordonnances et imposer au juge le recours à la procédure du séquestre.

On peut regretter qu’il ne soit pas laissé au juge une marge de manœuvre plus grande compte tenu de la multiplicité des situations possibles, qui requiert d’accorder au juge la possibilité d’opter pour la procédure la plus adaptée aux faits d’espèce (saisies de documents ou de produits, saisies donnant lieu à des scellés conservés par l’huissier ou remis directement au requérant, demande de mise sous scellés spontanée par le requérant ou par le saisi…).

Surtout, cela ouvre une période d’incertitude pour les praticiens pour lesquels le recours à la mise sous scellés était très courant et qui semble devoir être abandonné au profit du séquestre.

Des interrogations persistent pour savoir si le séquestre s’appliquera uniquement en matière de secret des affaires, quasi-systématiquement invoqué par les sociétés saisies. De même, il faudra voir si la mise sous scellés pourra être maintenue lorsqu’elle résulte non pas du juge, mais d’une demande expresse du requérant ou du saisi lui-même, l’article R.153-1 concernant a priori uniquement le cas où le juge décide de lui-même de recourir au séquestre.

 

 

SAISIE-CONTREFACON ET SECRET DES AFFAIRES : LA COUR DE CASSATION ÉCARTE LA MISE SOUS SCELLÉS AU PROFIT DE LA MISE SOUS SÉQUESTRE PROVISOIRE par Pierre Trusson et Katia Freiszmuth, Avocats au Cabinet JP Karsenty & Associés
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