Contrefaçon,Droit d'auteur

SPORES vs MELT : Coup de projecteur sur la difficile démonstration de l’originalité d’oeuvres d’arts appliqués

Par Maître Alexandre Mochon, Avocat.

Trop fonctionnelles pour être protégées par le droit des dessins ou modèles, pas assez artistiques pour dégager de l’originalité selon les principes du droit d’auteur, nous sommes bien devant le casse-tête des œuvres des arts appliqués.

Si ce sujet revient régulièrement devant les tribunaux, une récente décision du Tribunal Judiciaire de Paris du 4 décembre 2024 mérite une attention particulière (Tribunal Judiciaire de Paris, 3e chambre 3e section, 4 décembre 2024, n°21/14778).

En l’espèce, un artiste plasticien, qui avait créé une œuvre dénommée “SPORES”, constituée de luminaires en verre soufflé disposés en grappes suspendues, reprochait à une société anglaise spécialisée dans la création, la fabrication et la vente de meubles et luminaires, de commercialiser des produits qu’elle estimait comme étant une reproduction illicite de son œuvre. 

La création en cause, à la frontière entre art et utilité, présentait une dualité caractéristique : d’un côté, une recherche esthétique dans le travail du verre et la composition d’ensemble ; de l’autre, une fonction utilitaire d’éclairage. 

Bref rappel du principe de l’unité de l’art

Il faut remonter à la loi du 11 mars 1902 pour que le législateur pose le principe de l’indifférence de la destination de l’œuvre pour que cette dernière puisse prétendre à une protection par le droit d’auteur. Ce principe est désormais clairement visé à l’article L.112-1 du Code de la propriété intellectuelle (ci-après “CPI”), qui dispose “Les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination”.

L’article L.112-2 du CPI inclut encore en son 10° les “œuvres des arts appliqués” dans la liste d’œuvres de l’esprit.

Ainsi, le juge a pu considérer par exemple qu’étaient originaux une dentelle (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 7 mars 2018, 17-11.905) ou encore un bijou (Cour d’appel de Paris, 20 janvier 2023, n°21/05655).

En l’espèce

Pour revenir à la décision commentée, la demande de l’artiste s’appuyait sur une contrefaçon de droit d’auteur. Ce dernier revendique l’originalité d’une combinaison de caractéristiques incluant, notamment, la disposition des globes lumineux en “grappes” suspendues, leur forme sphérique irrégulière obtenue par façonnage manuel, l’effet “fumé” du verre soufflé, et un agencement créant une impression d’ensemble “nébuleux” et “vivant“. Il mettait également en avant les variations de dimensions des globes et un système spécifique de suspension utilisant des tubes à ailettes. 

Malgré ce développement exhaustif des caractéristiques originales du luminaire, le Tribunal conclut à l’absence d’originalité.

Raisonnement du Tribunal – Contrefaçon de droit d’auteur

En application des articles L.111-1 al. 1 et 2 et L.112-1 du CPI, le Tribunal précise que “L’originalité d’une œuvre résulte notamment de choix arbitraires de son auteur qui caractérisent un effort créatif portant l’empreinte de sa personnalité, et n’est pas la banale reprise d’un fonds commun non appropriable”.

Cette deuxième partie de la situation amène l’apport notable de cette décision, qui réside en l’appréciation par le juge des antériorités dans l’appréciation de l’originalité. 

En effet, le défendeur avait soumis en réponse au développement de l’originalité de l’œuvre du demandeur plusieurs antériorités, à savoir des luminaires préexistants, afin de contester cette originalité.

Hors sujet en droit d’auteur ? Ce n’est pas la position du Tribunal, qui considère que si “la notion d’antériorité est indifférente en droit d’auteur, la production de ces pièces par la défenderesse, qui conteste l’originalité alléguée, peut néanmoins contribuer à l’appréciation d’un effort créatif”, pour accueillir les antériorités versées par le défendeur pour refuser l’originalité de l’œuvre revendiquée.

Le Tribunal considère en l’espèce que “assembler des globes lumineux en verre soufflé teinté et les suspendre au plafond sur un châssis métallique relève d’une idée de libre parcours et du fonds commun des suspensions en verre et des luminaires, non appropriables“. 

Cette approche tend à brouiller d’autant plus l’appréciation des critères de protection en matière d’œuvres d’arts appliqués, entre les critères propres au droit d’auteur et ceux propres au droit des dessins ou modèles, qui devraient être séparés. 

Si ce raisonnement semble être contestable en droit, il peut être compris en pratique. En effet, lorsque plusieurs antériorités sont identifiées, quelle empreinte de la personnalité de l’auteur peut être extraite ?

Le Tribunal conclut donc que les “caractéristiques des luminaires « SPORES », même combinées, ne témoignent pas d’un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de leur auteur et ne peuvent, dès lors, bénéficier d’une protection par le droit d’auteur.”. Il est intéressant de s’attarder sur l’usage du terme “combinées”, à la lumière d’un récente jurisprudence de la deuxième section de la troisième chambre (Tribunal judiciaire de Paris, 20 décembre 2024, n°22/08038), où le juge a considéré une combinaison de cartes comme étant originale, alors même que les cartes ne l’étaient pas individuellement.

Le rejet de la protection par le droit d’auteur a conduit le Tribunal à examiner les actions subsidiaires en concurrence déloyale et parasitisme. 

Raisonnement du Tribunal – Concurrence déloyale et parasitisme

S’agissant des demandes en concurrence déloyale, elles sont vite écartées par le Tribunal qui considère qu’un “signe ou un produit qui ne fait pas l’objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l’absence de faute, laquelle peut être constituée par la création d’un risque de confusion sur l’origine du produit dans l’esprit de la clientèle, circonstance attentatoire à l’exercice paisible et loyal du commerce”. Or, les rares points communs, combinés avec le fait que la déformation et l’assemblage des globes lumineux en verre soufflé sont “des idées de libre parcours” (un nouveau ruissellement des critères de protection), ont comme conséquence que cette reprise relève de la liberté du commerce, et, partant, ne constitue pas une faute.

L’action en parasitisme connaît le même sort. 

Le Tribunal souligne que le parasitisme suppose d’identifier une “valeur économique individualisée“, reprenant ainsi les exigences posées par jurisprudence récente de la Cour de cassation (citées dans l’arrêt), également appliquées par le Tribunal Judiciaire encore récemment (voir par exemple : TJ Paris, 7 novembre 2024, n°24/02849).

Bis repetita, le Tribunal réitère que “les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en œuvre par un concurrent ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme“. 

En conséquence, le Tribunal déboute le demandeur (peu ou prou par le même raisonnement que pour la concurrence déloyale) sur le fondement du parasitisme.

La suite ? Perspectives des œuvres des arts appliqués

Alors même que les œuvres des arts appliqués sont des œuvres de l’esprit en application de l’article L. 112-2 10° du CPI, leur accès à la protection du droit d’auteur semble bien difficile en pratique.

En effet, en plus de l’exigence d’originalité, qui nécessite une démonstration poussée des caractéristiques créatives revêtant l’empreinte de l’auteur, il semblerait désormais que la nouveauté puisse avoir un poids dans l’appréciation de l’originalité. Si la nouveauté n’est pas exigée par le juge et les textes applicables, elle pourra être examinée si le défendeur à l’action en contrefaçon soumet dans ses conclusions des antériorités. À l’évidence, un avocat renseigné sautera systématiquement sur cette occasion. 

Il est en outre intéressant de remarquer que la notion de nouveauté présentée ici est plus stricte qu’en droit des dessins et modèles. En effet, la décision présente l’assemblement de globes lumineux en verre soufflé teinté et suspendu comme relevant “du fonds commun des suspensions en verre” (ce qui reste assez large), alors que si l’antériorité avait été présentée en matière de dessins ou modèles, celle-ci devait être de toute pièce pour être destructrice de nouveauté.

L’auteur d’une œuvre des arts appliqués pourra donc raisonnablement privilégier le dépôt d’un dessin ou modèle en renonçant (à contrecœur puisqu’il ou elle est un(e) artiste !) à la protection du droit d’auteur, tant la démonstration de l’originalité s’en trouve délicate, comme le démontre cette décision. 

SPORES vs MELT : Coup de projecteur sur la difficile démonstration de l’originalité d’oeuvres d’arts appliqués
Par Maître Alexandre Mochon, Avocat.

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