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Droit des marques et sondages d’opinion : état de la jurisprudence

Par Michaël Piquet-Fraysse, associé du département Propriété intellectuelle, concurrence et distribution, cabinet Ebl Lexington et Martin Coumau, élève-avocat

 

Si l’introduction des sondages d’opinion en preuve a apporté une part d’objectivité à la résolution des questions de confusion entre signes en conflit dans le débat judiciaire, leur valeur probante reste souvent discutée.

Cela explique certainement la méfiance des CJUE à l’égard d’un tel procédé de preuve, préférant l’utiliser en complément de la méthode du faisceau d’indices (CJUE, 19 juin 2014, aff. C-217/13 et C-218/13).

Comme tout autre moyen de preuve versé au débat, les juges du fond apprécient souverainement la pertinence des résultats des sondages produits et notamment leur crédibilité (TUE, 21 février 2024, T-765/22).

La jurisprudence a dégagé une série de critères pour apprécier l’objectivité d’un sondage dont l’expression se contrôle à trois niveaux :

Le choix des panélistes

Le panel des répondants se doit tout d’abord d’être représentatif du public concerné.

Le sondage ne saurait donc caractériser le risque de confusions entre les signes en conflit lorsque :

  • le public sélectionné est plus restreint que le public pertinent concerné (CA Paris, 20 décembre 2023,n° 22/01602 ; CA Paris, 26 novembre 2021, n° 19/18575) ;
  •  le panel des répondants n’est pas représentatif du public concerné (CA Paris, 28 février 2024, n° 22/04646).

Aussi, les conditions de réalisation du sondage ne pourront être considérées comme fiables lorsque les panélistes sont susceptibles d’avoir participé à un précédent sondage, lui aussi diligenté par l’intéressé.

Selon la cour d’appel de Paris, cette circonstance est effectivement de nature à influencer les réponses données (CA Paris, 2 novembre 2022, n° 20/18680).

Le choix des questions posées

L’objectivité du sondage dépendra ensuite de la sélection et de la tournure des questions posées aux participants afin de ne pas induire le choix des réponses proposées.

Le sondage sera donc biaisé lorsque :

  • la question est précédée d’une information dont le consommateur n’avait pas nécessairement connaissance (CA Paris, 21 février 2024, n° 22/03658);
  • la réponse fournie était induite par la formulation même du questionnement (CA Paris, 13 avril2021, n° 18/21462);
  •  les questions posées sont particulièrement fermées et orientées (CA Paris, 28 février 2024, n°22/04646);
  • la présentation de l’état du marché au consommateur omet volontairement un produit similaire (CA Versailles, 20 octobre 2020, n° 18/08637).

Le choix des conditions du sondage

Les juges exigent enfin que l’enquête soit effectuée dans les conditions objectives dans lesquelles les marques en conflit se présentent ou se présenteraient sur le marché.

Il est effectivement admis que, pour apprécier le risque de confusion, le juge doit tenir compte du contexte précis dans lequel le signe prétendument similaire à la marque enregistrée a été utilisé (CJUE, 12 juin 2008, O2 Holding ; CJUE, 18 juillet 2013, Specsavers).

Cette exigence emporte principalement deux conséquences :

  • la fiabilité du sondage est altérée lorsque les participants sont confrontés aux seuls signes en conflit, le consommateur moyen n’ayant que rarement la possibilité de procéder à une telle comparaison directe (TUE, 21 février 2024, T-765/22 ; CA Paris 13 avril 2021 n° 18/21462). L’objectivité de l’enquête exige donc que le public interrogé ne se fie qu’à l’image imparfaite du signe tel qu’il l’a gardé en mémoire (CJUE, 22 juin 1999, Lloyd) ;
  • le sondage doit être représentatif de la perception du signe par rapport aux produits et services tels qu’exploités. La preuve du risque de confusion n’est donc pas apportée lorsqu’un simple visuel en ligne a été présenté aux participants (CA Paris, 2 novembre 2022, n° 20/18680) ou que ces derniers n’ont pas été informés des produits et services visés par les signes en conflit (TUE, 21 février 2024, T-765/22).

En conclusion, en l’absence d’intervention législative, seul le critère malléable de l’objectivité permet véritablement pour le juge de s’assurer de la valeur probante des sondages produits et, le cas échéant, de les écarter de son raisonnement.

Plus généralement, la subjectivité dans l’interprétation des résultats peut conduire à une forme d’aléa alors même que le sondage a pour but inverse d’objectiver le débat.

Autrement dit, ce mode de preuve ne renferme-t-il pas en lui-même les défauts auxquels il est censé palier ?

Peut-être qu’un sondage pourrait répondre à cette question …

 

 

Droit des marques et sondages d’opinion : état de la jurisprudence

Par Michaël Piquet-Fraysse, associé du département Propriété intellectuelle, concurrence et distribution, cabinet Ebl Lexington et Martin Coumau, élève-avocat

 

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