Droit d'auteur,Intelligence artificielle,Propriété intellectuelle

L’utilisation de l’IA générative dans le cadre de création d’oeuvres, comment déterminer le titulaire des droits d’auteur ?

Laetitia Raffin, Avocate, et Loriane Catil-Terrat, Juriste Senior IP/IT au sein du Cabinet AKLEA

Si les technologies liées à l’intelligence artificielle (IA) ne datent pas d’hier, l’avancée fulgurante de l’intelligence artificielle générative (IAG) ces dernières années a ouvert de nouvelles perspectives dans les processus de création.

Néanmoins, cette révolution technologique soulève d’importantes questions en matière de propriété intellectuelle, notamment en ce qui concerne la titularité des droits d’auteur sur les oeuvres produites.

L’IAG , qui s’appuie sur les logiciels d’apprentissage automatique, est capable de produire des oeuvres de manière autonome, à partir d’un ensemble de données, écrites ou visuelles, préalablement fournies par un humain.

Ainsi, dans le domaine des oeuvres graphiques, l’IAG peut notamment être utilisée pour générer des personnages, des décors, des photographies, des tableaux, offrant ainsi aux concepteurs de nouvelles possibilités créatives et un gain de temps considérable dans le développement de projets.

Si à ce jour les oeuvres créées par IA ne peuvent exister sans l’intervention humaine, cette collaboration entre l’homme et la machine dans le domaine artistique brouille les pistes quant à la détermination du titulaire des droits d’auteur.

Le Code de la propriété intellectuelle prévoit que le droit d’auteur permet de protéger les oeuvres « de l’esprit » réalisées par des personnes physiques, empreinte de leur personnalité, laissant ainsi un vide juridique concernant les créations issues de l’IA (CPI, art. L.113-1 ; Cass. Civ, 15 janv. 2015, n°13-23.566).

A ce titre, si l’on s’accorde à toujours considérer que le droit d’auteur a vocation à protéger l’auteur personne physique en le plaçant au centre de cette protection, le débat sur la titularité des droits s’éteindrait rapidement dès lors que l’IA, en tant que machine, ne remplit pas les conditions requises pour bénéficier d’une quelconque protection.

Néanmoins, le sujet reste plus complexe, comme en témoigne la dernière proposition législative visant à « encadrer l’intelligence artificielle par le droit d’auteur », qui démontre une certaine ambivalence sur la question (Proposition de loi n°1630 visant à encadrer l’intelligence artificielle par le droit d’auteur du 12 septembre 2023).

I. La difficile détermination de la titularité des droits d’auteur en cas d’utilisation de l’IA

Si le sujet de la titularité des droits interroge, c’est notamment que l’utilisation et l’évolution perpétuelle de ces technologies soulèvent de nombreuses problématiques juridiques sous-jacentes relatives notamment à la rémunération des auteurs, les exploitations d’oeuvres, de transparence, etc.

Plusieurs scénario sont envisageables autour de cette problématique et il convient de distinguer le sujet de la titularité des droits d’auteur (i) entre oeuvre générée par IAG sans intervention humaine et (ii) oeuvre créée grâce à l’IAG avec intervention humaine, ou (iii) en fonction des données d’entraînement de l’outil.

(i) Dans l’hypothèse d’une oeuvre produite intégralement par une IA, aucune création « de l’esprit » d’une personne physique ne pourrait être relevée, critère pourtant essentiel à la caractérisation de l’existence d’un droit d’auteur.

Pour exemple, très récemment, les tribunaux américains ont pu considérer qu’une oeuvre nommée « A Recent Entrance to Paradise » réalisée intégralement par une IA, sans intervention humaine, ne comportait aucun élément de « paternité humaine » et que l’IA créatrice ne pouvait donc se voir attribuer des droits ou être considérée comme auteur (Thaler v. Perlmutter, Civil Action No. 22-1564 (BAH), (D.C. 2023)).

En l’espèce, une IA avait créé une oeuvre d’après ses propres décisions en toute autonomie et ce, bien que certains de ses paramètres aient été programmés par un humain. Ce processus était semblable au processus de réflexion chez l’Homme car l’intervention humaine d’origine était extrêmement minime.

Cette position se rapproche des affaires portant sur des problématiques de droits d’auteur mettant en cause des animaux notamment.

(ii) Cependant, lorsque l’IA agit en tant qu’outil créatif pour l’humain, la détermination de l’auteur et de ses droits devient plus complexe.

En considération de ce qui précède, une oeuvre, produit de la créativité d’une personne physique, exécutée par une IA qui n’a pas agi en totale autonomie, pourrait se voir qualifier d’oeuvre protégeable et donc un auteur titulaire des droits, pourrait donc y être reconnu.

Certains tentent alors de soutenir que la paternité de l’oeuvre et des droits d’auteur doivent revenir à la société conceptrice de l’IA, puisque c’est elle qui a créé l’algorithme utilisé pour générer l’oeuvre.

Cependant, ce raisonnement reviendrait à attribuer à la société un rôle actif dans le processus de création, alors que tout contrôle lui échappe dans les choix relevant de l’oeuvre créée.

Reste donc un potentiel débat entre l’IA elle-même et l’utilisateur, rédacteur du « prompt » et des instructions données à l’outil.

Comme indiqué précédemment, il paraît difficile d’affirmer à ce jour que l’IA elle-même puisse être reconnue comme l’auteur, en raison notamment de son absence de capacité actuelle à produire des oeuvres originales sans intervention et instructions humaines directes.

En suivant ce raisonnement, seul l’utilisateur de l’IA pourrait alors être susceptible d’être qualifié de titulaire des droits d’auteur sur l’oeuvre créée, du fait des instructions données et du travail post-création effectué.

Certains Etats comme le Royaume-Uni considèrent que dans le cas d’une oeuvre artistique créée au moyen d’un ordinateur, la personne ayant pris les dispositions nécessaires pour créer ladite oeuvre sera réputée en être l’auteur. Ainsi, l’utilisateur de l’IA pourrait être considéré comme l’auteur de l’oeuvre créée.

Cependant, cette position non encore approuvée clairement par les juridictions, ne peut être applicable à tous les cas. Il convient en effet de déterminer à partir de quel degré de contribution d’un humain, la création d’une image générée par une IA peut être considérée suffisante pour qualifier cette image d’oeuvre et l’humain d’auteur, entraînant l’application du droit d’auteur.

Dans ce contexte délicat, l’analyse de la titularité des droits d’auteur nécessite à ce jour d’être formulée au cas par cas, en fonction des circonstances spécifiques de chaque création générée par IA. Si aucune décision jurisprudentielle n’est encore apparue en France à ce sujet, il y a fort à parier que les tribunaux seront amenés à se prononcer sous peu.

(iii) Le débat sur la titularité des droits d’auteur se complexifie également dès que l’on aborde le sujet des données d’entraînement des IA.

L’IA doit, pour pouvoir créer, apprendre à partir de données le plus souvent en ligne et/ou fournies par le programmeur ; or, dans une grande partie des cas, ces contenus sont protégés par le droit d’auteur.

Juridiquement, l’utilisation de ces données devrait impliquer une autorisation préalable du titulaire des droits d’auteur sur les oeuvres servant de base d’entraînement à l’IA. Toutefois, pour bon nombre d’IAG, ce n’est pas le cas.

Dans ce contexte, il arrive que certaines oeuvres générées soient fortement similaires ou dérivées d’oeuvres déjà protégées par le droit d’auteur.

Dès lors, la détermination de la titularité des droits sur les oeuvres générées par l’IA devient encore plus délicate, puisqu’il convient de prendre en compte les droits d’auteur rattachés à l’oeuvre initiale et ayant servi de données d’entraînement à l’IA.

A juste titre, si l’oeuvre générée reprend les caractéristiques essentielles ou adapte une oeuvre originale déjà protégées par le droit d’auteur, alors cette oeuvre « dérivée » générée ne pourra être exploitée sans l’autorisation de l’auteur de l’oeuvre initial, titulaire des droits d’auteur.

Ce raisonnement pourrait notamment être applicable lorsqu’un utilisateur sollicite de l’IA la création d’une image sur la base des éléments caractéristiques de personnages tels que Disney®, Pokémon® ou, encore, d’autres créations emblématiques de la pop-culture.

Bien que des réponses devraient être apportées avec l’entrée en vigueur de l’AI Act qui prévoit de « rendre public un résumé suffisamment détaillé » des données pour l’entraînement des algorithmes des sociétés, ce sujet doit demeurer à l’esprit de quiconque se pose la question de la titularité des droits d’auteur pour les oeuvres générées par IA.

II. L’analyse pratique de la titularité des droits d’auteur sur les oeuvres créées avec l’IA

Ni le code de la propriété intellectuelle ni la doctrine ne permettent aujourd’hui de déterminer à qui appartiennent les droits d’auteur en cas d’utilisation d’IA.

La généralisation du recours à l’IA et le perfectionnement de celle-ci impose pourtant à chacun de déterminer au cas par cas s’il pourrait ou non être considéré comme auteur et donc bénéficier de droits sur l’oeuvre créée avec l’IAG.

Dans l’attente d’éclaircissement de la jurisprudence, l’analyse de titularité reposerait sur:

  1. Les conditions générales de l’IAG utilisée et notamment les clauses de licence et propriété des droits ;
  2. La nature et la détermination des données d’entraînement de l’IA utilisée ;
  3. Le cadre d’exploitation de l’oeuvre générée vis-à-vis des droits de tiers ;
  4. Le travail réalisé par l’humain sur l’oeuvre générée afin d’y apporter son l’empreinte de sa personnalité, et ainsi bénéficier d’une protection a priori par le droit d’auteur en tant qu’auteur personne physique sur une oeuvre originale ;
  5. La documentation du travail créatif réalisé en amont et en aval de la génération de l’oeuvre par l’IA afin de démontrer l’ensemble des interventions humaines permettant sa version finale (complexité du prompt, différentes demandes à l’IAG sur des sujets précis, travail post création, etc.).

 

L’utilisation de l’IA générative dans le cadre de création d’oeuvres, comment déterminer le titulaire des droits d’auteur ? De Laetitia Raffin, Avocate, et Loriane Catil-Terrat, Juriste Senior IP/IT au sein du Cabinet AKLEA

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