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“La vidéosurveillance aux JO 2024 : Un enjeu pour la sécurité et un danger pour la vie privée” par Alexandre FLÉGO – Juriste RGPD au sein du Cabinet BONAVIA et Aurore BONAVIA – Avocate

Les prochains jeux Olympiques auront lieu à Paris du vendredi 26 juillet au dimanche 11 août 2024 et s’annoncent déjà comme l’une des éditions les plus colossales et novatrices en matière de technologies notamment. En effet, une myriade de nouveautés compose cet événement mondialement attendu : nouvelles épreuves (dont le breakdance et le skateboard), une cérémonie d’ouverture sur la Seine, des épreuves mixtes et une stricte parité entre les athlètes hommes et femmes ou encore la mise en place de taxis volants…

Parmi ces nouveautés, il en est une qui fera également son apparition à l’occasion de l’événement sportif : la vidéosurveillance intelligente.

La vidéosurveillance « intelligente » au service de l’Homme

La vidéosurveillance intelligente (VSI) est un système d’analyse des images destiné à assister les gardiens de sécurité et vient améliorer le système classique existant.

Le système de vidéosurveillance déployé actuellement dans de nombreux locaux et espaces publics se limite à la capture d’images et à leur visualisation par des agents qualifiés. Le principal défaut de ce système est qu’il s’appuie sur la vigilance de l’Homme pour être efficace. Or, de nombreuses études, comme le « test de vigilance de Mackworth » ont démontré qu’après seulement 20 minutes d’observation, l’observateur peut manquer une grande partie de l’activité enregistrée.

C’est pour pallier cette défaillance que la vidéosurveillance intelligente a été conçue. Avec ce système, les caméras n’effectuent pas le travail d’observation à la place de l’opérateur humain, mais viennent l’assister par le biais de logiciels et d’une analyse des images enregistrées. Cette technique permet notamment de prévenir les incidents en détectant les attitudes suspectes de manière précoce, mais également de déclencher une alarme en temps réel ou encore de fournir des preuves plus fortes, par leur niveau d’exactitude.

Concrètement, les images obtenues grâce à la vidéosurveillance sont analysées et interprétées avant même d’être portées à la connaissance de l’observateur humain, ce qui réduit le taux d’erreur de diagnostic.

Si le projet a tout d’une grande innovation et est parfaitement adapté à une situation telle que la surveillance de masse dans un grand événement sportif, il comporte également des risques indéniables pour la vie privée.

Le projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques

C’est le projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 qui nous apprend le déploiement de cette technologie en vue de l’événement sportif. Ce projet fait suite à l’adoption d’une première loi relative à l’organisation de cet événement  le 26 mars 2018 et suit un objectif bien précis : procéder à des aménagements législatifs jugés nécessaires au bon déroulement des jeux Olympiques et Paralympiques. Toutefois, le bon déroulement des jeux n’implique pas uniquement une surveillance des compétitions, mais également de l’environnement de l’événement.

Ce projet de loi a été présenté et adopté au Conseil des ministres du 22 décembre 2022. La prochaine étape est la soumission du texte au Sénat le 24 janvier prochain.

Il s’organise autour de dix-neuf articles retranscrivant une succession de dérogations ou d’expérimentations en matière de sécurité, de publicité, ou de transport.

Il permet par exemple la mise en place de techniques d’analyse poussées (caractéristiques génétiques ou comparaison d’empreintes génétiques des sportifs) pour lutter contre le dopage.

Il permet également le recours à des scanners corporels à l’entrée des stades et des autres enceintes sportives accueillant plus de 300 personnes (la même technologie est déjà utilisée dans les aéroports).

Il permet enfin la mise en place d’un « cadre juridique expérimental et temporaire pour améliorer les dispositifs de vidéosurveillance, qui utiliseront des algorithmes d’intelligence artificielle » pour gérer les mouvements de foule ou encore identifier des objets abandonnés. Une extension du type d’images qui pourra être visionné par les agents est également prévue.

Les risques pour la vie privée

Si le déploiement de ces technologies peut paraître positif pour la sécurité dans l’espace public, il est aussi synonyme de danger pour les libertés fondamentales et notamment le droit au respect de la vie privée (C. civ., art. 9). En effet, dans les cas de traitement de ces images par les algorithmes, on peut légitimement se demander quels sont les éléments utilisés par l’intelligence artificielle pour qualifier et détecter un comportement suspect. A quel point les détails et signes distinctifs d’une personne sont stockés et analysés ?

L’autorité de contrôle déjà consultée

Alertée sur la question depuis longtemps, la CNIL a eu l’occasion de rendre divers avis sur la question.

En juillet 2022, alors que de nombreuses villes expérimentent l’installation de « caméras augmentées » traitant les images à la manière des caméras intelligentes de Paris 2024, la CNIL a rendu un avis sur leur utilisation dans les espaces publics.

Dans cet avis, elle alerte sur les dangers de l’utilisation de ces nouvelles technologies d’analyse qui sont par nature intrusive : « Les personnes ne sont plus seulement filmées mais analysées de manière automatisée, en temps réel, afin de collecter certaines informations les concernant ».

De plus, par le procédé d’automatisation, il existe un risque accentué de surveillance et d’analyse généralisée des personnes. Selon la CNIL, le déploiement de ces dispositifs dans les espaces publics « où s’exercent de nombreuses libertés individuelles […] présente incontestablement des risques pour les droits et libertés fondamentaux des personnes et la préservation de leur anonymat dans l’espace public ».

Pour pallier ces nouveaux risques, la CNIL a indiqué la nécessité de mettre en place un cadre juridique spécifique en attirant l’attention sur ces points :

– La nécessité de respecter les grands principes de la réglementation protégeant les données personnelles : La CNIL affirme que tout acteur qui souhaite mettre en place un dispositif de vidéosurveillance « augmentée » devra respecter les enjeux de protection des données personnelles (Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE, dit « RGPD » ainsi que la Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés dite « Loi Informatique et Libertés ») et notamment :

  • Se fonder sur une base légale explicite, légitime et déterminée au cas par cas et sans abuser de « l’intérêt légitime » (Articles 5 & 6 du RGPD)
  • Faire une démonstration de la proportionnalité du dispositif envisagé
  • Toujours penser à informer les personnes concernées, en leur donnant notamment des éléments sur les caractéristiques qui font de la caméra une caméra « augmentée ».

– La nécessité de mettre en place une loi pour la mise en œuvre de certains dispositifs : elle s’appuie ici sur la jurisprudence du Conseil d’État (INT – 390313, 23/09/2015) et le respect de l’article 23 du RGPD pour réaffirmer le principe selon lequel les dispositifs les plus intrusifs ne pourront être déployés que si une loi les autorise et les encadre spécifiquement (ce qui est le cas pour les jeux Olympiques de 2024, preuve que nous nous trouvons bien dans un cadre particulièrement intrusif) ;

– La question spécifique du droit d’opposition des personnes concernées : il est nécessaire de faire respecter le droit d’opposition des personnes au mieux, sauf si :

  • Le traitement poursuit une finalité statistique au sens du RGPD ;
  • Il est écarté sur le fondement de l’article 23 du RGPD, par un texte spécifique de nature au moins réglementaire. Il servira de justification en ce qu’il actera la légitimité et la proportionnalité du traitement opéré au regard de l’objectif poursuivi, ainsi que la nécessité d’exclure le recours au droit d’opposition et les garanties appropriées pour pallier cette exclusion.
Un avis de la CNIL à nouveau sollicitée à l’occasion des jeux Olympiques et Paralympiques

La CNIL a eu à nouveau l’occasion de se prononcer le 8 décembre 2022 au travers d’un avis sur ce projet de loi relatif aux jeux Olympiques et paralympiques de 2024.

Rebondissant sur son premier avis de juillet 2022 et après avoir rappelé les enjeux en matière de protection de données ainsi que le contenu de ce projet de loi, la CNIL a conduit son analyse selon trois (3) axes :

– Une mise en conformité nécessaire du Code de la sécurité intérieure (CSI) avec le RGPD et la directive « Police-justice » ;

– La nécessaire création d’un cadre pour ce type d’expérimentation ;

– L’examen des caractéristiques génétiques pour les analyses antidopage prévues dans le projet de loi.

Mais après développement, la CNIL a conclu dans son document que le projet de loi relatif à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques présentait des garanties qui permettent de limiter les risques d’atteintes aux données et à la vie privée des personnes avec :

– un déploiement expérimental ;

– un déploiement pour certaines finalités spécifiques et correspondant à des risques graves pour les personnes ;

– l’absence de traitement de données biométriques ;

– l’absence de rapprochement avec d’autres fichiers ;

– l’absence de décision automatique : les algorithmes ne servent qu’à signaler des situations potentiellement problématiques à des personnes qui procèdent ensuite à une analyse humaine ;

– un déploiement limité dans le temps et l’espace.

Sur ce dernier point en revanche, il subsiste un doute.

La vidéosurveillance survivra aux JO 2024

Alors que les jeux Olympiques et Paralympiques se dérouleront entre le 26 juillet 2024 et le 8 septembre 2024, les mesures « temporaires » décrites dans le projet de loi dureront quant à elle jusqu’au 30 juin 2025.

Le gouvernement justifie cette extension de l’expérimentation aux fins de pouvoir récolter suffisamment de données pour dresser un bilan final complet.

Nous pouvons raisonnablement nous demander si la prorogation du délai de l’expérimentation, au-delà de l’événement sportif pour lequel elle a été mise en place, n’entraînera pas un risque de pérennisation de ces lois « temporaires » et par là même, une normalisation de la surveillance accrue dans les lieux publics.

Se voulant rassurante, la ministre des Sports (Madame Amélie Oudéa-Castéra) a toutefois affirmé qu’aucune donnée biométrique ne serait traitée lors des jeux, et a exclu l’usage de la reconnaissance faciale. Elle affirme que les autorités utiliseront « des algorithmes intelligents, mais anonymisés, pour gérer les mouvements de foule dans les transports. Et même ces dispositifs de vidéoprotection devront être examinés par la CNIL et le Conseil d’État avant d’être mis en œuvre ».

Interrogé sur le projet, le Conseil d’État a également rendu un avis favorable le 15 décembre 2022, en alertant tout de même, face à ce tournant dans l’usage de ces technologies et plus généralement de l’intelligence artificielle.

Par Alexandre FLÉGO – Juriste RGPD au sein du Cabinet BONAVIA et Aurore BONAVIA – Avocate

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