Dessins et modèles,Propriété industrielle,Propriété intellectuelle

« La proposition de réforme européenne du droit des dessins ou modèles » par Flora Donaud, avocate au sein du Cabinet GREFFE et chargée d’enseignement au CEIPI

« Avantage concurrentiel significatif » et accélérateur d’innovation, le dessin ou modèle était jusqu’alors régi par la Directive 98/71/CE du 13 octobre 1998 et le Règlement n°6/2002 du 12 décembre 2001.

Après plus de vingt ans, le bilan de la législation de l’UE est positif, même s’il apparaît nécessaire de remédier à certaines lacunes pour que la protection soit « accessible, pérenne, efficace et cohérente ».

C’est dans ce contexte que, le 28 novembre dernier, la Commission européenne a rendu public sa proposition de Directive (COM (2022) 667 final) et de Règlement (COM (2022) 666 final) dont les travaux préparatoires, remontant à 2014, se sont accélérés ces deux dernières années avec une première évaluation fin 2020, puis une consultation publique au cours de l’année 2021.

1. Nouveaux types de design

La Commission souhaite une réglementation « affûtée » et « simplifiée ». Ceci passe, tout d’abord, par une adaptation à l’ère du numérique, en permettant aux demandeurs de représenter les dessins ou modèles de manière « statique, dynamique ou animée […] à l’aide des technologies […], y compris par croquis, photographie, vidéo ou imagerie/modélisation informatique » (art. 26 COM (2022) 667, à comp. avec art. 36 et 36 bis COM (2022) 666).

Elle propose aussi de mettre à jour les articles 2 de la Directive et 3 du Règlement. Ce faisant, elle suggère de préciser ce que recouvre la notion de dessin ou modèle : l’apparence d’un produit ou d’une partie d’un produit que lui confèrent ses propres caractéristiques et/ou celles de sa « décoration » (au lieu d’« ornementation », subtile changement lexical à relever) « dont le mouvement, les transitions ou tout autre type d’animation ». Toujours selon cette proposition, le produit qui désigne tout article industriel ou artisanal, peut être « incorporé dans un objet physique » ou bien se présenter « sous forme numérique ».

En outre, on peut ici être rassuré car la prise en compte de notre nouvel environnement virtuel n’a pas poussé la Commission à étendre la protection du design aux éléments sonores. En effet, la liste déjà non limitative des dessins ou modèles protégeables est uniquement élargie aux éléments visuellement perceptibles, tels que les interfaces utilisateur graphiques, les logos et les ensembles d’articles, qui ont d’ailleurs fait couler beaucoup d’encre.

On peut également se satisfaire car aucune « catégorisation plus systématique » des types de dessins et modèles, telle qu’envisagée dans la consultation publique, ne semble avoir été prévue.

Corrélativement, la portée des droits a été adaptée aux nombreuses avancées technologiques par l’ajout de l’interdiction concernant « le téléchargement, la copie et le partage ou la distribution à autrui de tout support ou logiciel enregistrant le dessin ou modèle […] » ((d) des art.16 COM (2022) 667 et 19 COM (2022) 666).

2. Exigence de visibilité (art. 15 de la proposition de Directive et 18 bis de celle du Règlement)

La Commission propose d’ajouter, pour plus de sécurité juridique et conformément à la jurisprudence luxembourgeoise, des dispositions spécifiques prévoyant que sont seules protégées les caractéristiques de l’apparence d’un produit qui sont représentées de manière visible dans la demande d’enregistrement.

Celles-ci doivent rester visibles en toutes circonstances, exception faite des pièces d’un produit complexe, qui doivent l’être lors de l’utilisation normale d’un tel produit (consid.18 COM (2022) 667 et 10 COM (2022) 666).

3. Rapport avec le droit d’auteur (art. 23 de la proposition de Directive et 96§2 de celle du Règlement)

Le doute est levé, le cumul est maintenu et même « consacré » au considérant 12 de la proposition de Directive. Notons en ce sens l’ajout des « œuvres » à la liste susvisée des produits protégeables au titre des dessins ou modèles.

Le cumul ne doit donc pas être perçu comme un « risque » ou même un « danger » (CJUE, 12 sept. 2019, COFEMEL, aff. C-683/17). Il assure, au contraire, une meilleure protection au profit des secteurs, source d’emploi, du textile, de la bijouterie ou bien encore du mobilier. Ces derniers sont très attachés au cumul, qui leur évite des dépôts coûteux, et leur permet de protéger des créations phares qui durent parfois plus de 25 ans.

Toutefois, s’il était acquis en France que le cumul n’est plus total, la Commission l’« explicite » (pour reprendre un verbe en vogue) en ajoutant : il y a cumul « pour autant que les exigences imposées par la législation de l’Union sur le droit d’auteur soient remplies ».

A cet égard, la Commission supprime la marge d’appréciation des États membres pour déterminer la portée et les conditions d’octroi du droit d’auteur, ce qui annonce un texte européen sur le droit d’auteur. Espérons que ce dernier prévoira l’originalité comme seule condition, ceci sans introduire le mérite ou la destination.

4. Limitation des droits (art. 18 de la proposition de Directive et 20 de celle du Règlement)

Tenant compte de la jurisprudence NINTENDO (CJUE, 27 sept. 2017, aff. C-24/16 et C-25/16), la Commission opère une balance entre les droits et libertés fondamentaux. À ce titre, elle vient ajouter à la liste exhaustive des limitations appropriées aux droits exclusifs conférés par l’enregistrement, « d) les actes accomplis afin d’identifier un produit ou d’y faire référence comme étant celui du titulaire du dessin ou modèle » et ceux « e) accomplis à des fins de commentaire, de critique ou de parodie », dont il existe d’ailleurs très peu de contentieux et qu’il faudra précisément définir pour ce qui est du commentaire.

Reste à savoir si l’ajout des limitations d) et e) ne va pas complexifier la législation, là où le recours à des textes déjà existants aurait pu éventuellement suffire. Et quid de la portée de la limitation relative aux actes accomplis à titre privé ou à des fins non commerciales dans le contexte de l’impression 3D ?

5. Transit (art. 16 de la proposition de Directive et 19 de celle du Règlement) 

La Commission suggère d’aligner le régime des marchandises en transit sur celui adopté en matière de marque, en prévoyant la possibilité de les retenir en douane, pour mieux lutter contre la contrefaçon.

Il est prévu, afin d’assurer le respect de la liberté de circulation, que les droits du propriétaire du titre s’éteignent si le détenteur des marchandises prouve que le produit sera licite dans le pays de destination finale, rompant ainsi avec la jurisprudence NOKIA et PHILIPS (CJUE, 1er déc. 2011 aff. C446/09 et C-495/09) qui faisait porter la charge de la preuve sur le titulaire de droit.

6. Clause de réparation (art. 19 de la proposition de Directive et 20 bis de celle du Règlement)

La Commission repense ici la réglementation des pièces détachées pour mettre fin à un marché intérieur fragmenté ainsi qu’à d’importantes distorsions de concurrence en ajoutant une clause de réparation dans la Directive, d’une part, et en transformant la clause transitoire figurant à l’article 110 du Règlement en disposition permanente, d’autre part.

Elle poursuit donc, sans surprise, l’alignement des règles européennes, au prisme cette fois de l’économie verte, en gommant toutes particularités culturelles d’États, qui, comme la France (art. L.122-5, L.513-1 et L.513-6 du Code de la propriété intellectuelle) ont, au fur et à mesure, libéralisé en partie leur marché.

Conformément à un des arrêts ACACIA (CJUE, 20 déc. 2017, aff. C-397/16 et C-435/16), il apparait que la clause de réparation, aussi dite clause de « must-match », sera :

  • strictement limitée aux seules pièces de produits complexes conditionnées par la forme de ceux-ci ;
  • invocable comme moyen de défense par le fabricant ou le vendeur qui aura dûment informé le consommateur par une indication « claire et visible » qu’il s’agit d’une pièce de rechange ;
  • et applicable seulement aux enregistrements futurs.

7. Utilisation antérieure (art. 21 de la proposition de Directive)

La proposition de Directive se calque également sur l’article 22 du Règlement en ajoutant le moyen de défense fondé sur l’utilisation antérieure, qui permet de protéger utilement les personnes « ayant investi de bonne foi » avant la date de priorité d’un modèle.

8. Procédure et taxes

Afin de favoriser la « convivialité du système » (!) pour les industriels, les PME et les créateurs individuels, il est proposé de réduire le niveau de la taxe de dépôt qui deviendra unique. Exit donc les taxes d’enregistrement et de publication.

De même, la Commission a entendu les voix des parties prenantes qui ont plaidé pour la suppression de la règle de l’ « unité de classe » en cas de demandes multiples (art. 27 COM (2022) 667 et 37 COM (2022) 666).

Par ailleurs, comme on pouvait s’y attendre compte tenu de ce qui existe devant l’EUIPO, et depuis le « Paquet Marques », la proposition de Directive renforce le rôle des offices avec l’instauration d’une procédure administrative « de déclaration en nullité » de dessins ou modèles enregistrés, laissant libre les États de choisir entre compétence exclusive ou concurrente du juge et de l’administration (art. 31).

Observation étant enfin ici faite que la proposition de Directive s’aligne sur le Règlement en prévoyant la possibilité d’ajourner la publication d’un dessin ou modèle pour 30 mois (art. 30).

9. Symbole (art. 24 de la proposition de Directive et 26 bis de celle du Règlement)

Notons en dernier lieu que la Commission prévoit d’autoriser les titulaires de droits à apposer le symbole D afin de sensibiliser le public à l’enregistrement des modèles. Cette faculté semble cependant pernicieuse, insinuant l’idée qu’en l’absence de sigle le dessin ou modèle ne serait pas protégé.

Conclusion

Malgré quelques oublis, notamment à l’égard du DMCNE (étendue de la protection et titularité), la Commission privilégie ici une réforme d’ensemble modérée, dont les mots d’ordre sont modernisation, harmonisation, amélioration, clarification et compétitivité, sans revenir sur l’acquis « communautaire », terminologie devenue d’ailleurs, « obsolète ».

 

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