L’affaire Combo / France Insoumise : le street art détourné à des fins de réutilisation politique
Par Pierre Pérot, Conseil et contentieux en propriété intellectuelle et avocat senior chez August Debouzy
Par un arrêt du 5 juillet 2023, la cour d’appel de Paris a condamné pour contrefaçon Jean-Luc Mélenchon et La France Insoumise (LFI), en raison de l’utilisation non autorisée de l’œuvre « La Marianne Asiatique », créée par le street artist Combo. Plusieurs clips de campagne où l’œuvre apparaissait à plusieurs reprises étaient en cause.
Cette décision présente un double intérêt : rappeler la protection dont peuvent bénéficier les œuvres de street art par le droit d’auteur, ainsi qu’un certain nombre de principes, en matière d’exception de courte citation et de panorama ou de prérogatives du droit moral.
Les faits
Ayant découvert que sa fresque murale représentant une Marianne asiatique avait été reproduite dans plusieurs clips de campagne de La France Insoumise en vue des élections présidentielles de 2017 et municipales de 2020, l’artiste Combo a adressé à ce parti et à son dirigeant une mise en demeure, visant notamment à obtenir le retrait des vidéos litigieuses.
N’ayant pas obtenu gain de cause, l’artiste a alors assigné ces derniers devant le tribunal judiciaire de Paris, lequel a débouté Combo de ses différentes demandes fondées sur l’atteinte à ses droits patrimoniaux et moraux, tout en reconnaissant l’originalité de l’œuvre invoquée.
Statuant sur l’appel formé par Combo, la cour d’appel de Paris infirme le jugement et adopte une position radicalement différente, condamnant les défendeurs à payer la somme de 20.000 euros en réparation du préjudice subi par l’artiste.
Quelques observations, tant sur la reconnaissance de l’atteinte aux droits patrimoniaux (I) que sur l’atteinte au droit moral du street artist (II).
I. Sur l’atteinte aux droits patrimoniaux : une lecture stricte des exceptions de panorama et de courte citation
Les questions concernant l’originalité ou l’existence d’une reproduction de l’œuvre invoquée – pour rappel ici, l’usage non autorisé d’une fresque murale au sein de vidéos de campagne – n’étant pas débattues, la cour se concentre sur les exceptions au droit d’auteur, soulevées en défense.
Il est à noter, à titre liminaire, que la cour ne procède pas à une quelconque « balance des intérêts » en présence, à savoir l’existence d’un juste équilibre entre, d’une part, la liberté d’expression du défendeur poursuivi et, d’autre part, les droits de propriété intellectuelle de l’artiste.
C’est une très bonne chose : à notre sens, il n’est pas nécessaire de procéder à une telle analyse, totalement arbitraire, alors que cette balance des intérêts est déjà prévue par le législateur au sein de l’article L122-5 du CPI. Siège des exceptions au droit d’auteur, cet article organise, dans ses différents alinéas, l’équilibre adéquat et proportionné entre droits de l’auteur et ceux d’autrui. Si l’affaire est transmise à la Cour de cassation, on peut néanmoins penser qu’il sera de nouveau question de balance des intérêts, à moins que le moyen ne soit jugé nouveau.
Dans cette affaire, étaient invoquées en défense deux exceptions prévues par l’article L122-5, à savoir l’exception de panorama et de courte citation, lesquelles ne sont pas retenues par la cour.
Issue de la transposition de l’exception facultative prévue par l’article 5.3 h) de la Directive 2001/29, l’exception de panorama permet « les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique ». On peut relever que la transposition française est assez restrictive, dès lors qu’elle limite l’application de cette exception aux seules personnes physiques qui ne feraient de l’œuvre un usage commercial.
En première instance, le tribunal avait retenu que M. Mélenchon pouvait bénéficier de cette exception, en qualité de personne physique, assimilant les « graffitis » au support sur lequel ils se trouvent (œuvres d’architecture). La cour adopte une tout autre analyse, considérant que (i) la Marianne Asiatique n’est pas une œuvre architecturale et (ii) qu’elle ne peut être jugée comme « placée en permanence sur la voie publique », en raison de la nature des œuvres de street art (dégradations, effacements, altérations).
Pour expliquer davantage ce revirement, la cour insiste sur le fait que la fresque n’apparaît pas au sein des clips de façon « accessoire ou fortuite », mais comme un « élément important », témoignant de l’intention d’associer cette œuvre au message politique.
Ces notions, qui ne figurent pas dans le texte de l’article L.122-5 du CPI, évoquent les critères généralement utilisés en jurisprudence pour retenir la théorie de l’arrière-plan (Voir par exemple, au sujet de la représentation de l’aménagement de la place des Terreaux sur des cartes postales, accessoire au sujet traité (Cass Civ 1ère, 15 mars 2005, n° 03-14.820) ; ou au sujet de l’apparition d’illustration de manière furtive au sein d’un film documentaire sur des écoliers et leur maître (Cass Civ 1ère, 12 mai 2011, n° 08-20.651)). Il est dès lors permis de se demander si l’exception légale de panorama coexiste toujours avec la théorie jurisprudentielle de l’arrière-plan.
S’agissant de l’exception de citation, elle n’est pas non plus retenue par la cour et ce, pour deux raisons.
En premier lieu, la cour retient que, ni le nom de l’artiste, ni son pseudonyme Combo ne sont mentionnés, pas plus que la source de la fresque « ce qui suffit à écarter le bénéfice de l’exception ».
S’agissant du nom de l’artiste, il convient tout de même d’observer la difficulté qui pesait sur les défendeurs, dès lors que le nom de l’auteur de la fresque avait non seulement été effacé mais remplacé par une autre signature « Styx » ; ils pouvaient dès lors légitimement penser que l’auteur était ainsi correctement mentionné. Sur le sujet, le tribunal avait fait preuve de souplesse à l’égard des défendeurs en jugeant que « l’erreur sur l’auteur de l’œuvre était inhérente au choix d’expression artistique de Combo ».
Avec sévérité, la cour reproche aux défendeurs de s’en être tenus à cette apparente paternité alors qu’en « procédant à des recherches simples », ici jugées nécessaires au regard de la destination des vidéos litigieuses, le véritable auteur était identifiable. Est ainsi créé un devoir de vigilance particulièrement accru dans l’hypothèse d’une utilisation d’œuvre d’art urbain, conduisant à procéder à des recherches plutôt poussées, quoi qu’en dise la cour.
En second lieu, si la cour ne retient pas la courte citation, c’est également au regard de la finalité de la citation artistique qui n’était pas justifiée par le « caractère critique, polémique, pédagogique ou informatif » des vidéos concernées, lesquelles visaient plutôt à illustrer un discours politique. Une fois encore, la cour prend le contrepied du tribunal qui avait retenu le message critique véhiculé par les vidéos.
On aurait bien aimé que la cour tranche un débat ancien sur la possibilité de bénéficier de l’exception de courte citation en matière d’œuvres graphiques et non littéraires ; on peut être tenté de penser qu’une reproduction d’une telle œuvre, même partiellement ou de manière fugace n’est jamais une citation mais une reproduction tombant dans le champ du monopole de l’auteur.
Après avoir rejeté les deux exceptions soulevées en défense, la cour condamne en conséquence M. Mélenchon et la France Insoumise à payer la somme totale 10.000 euros en réparation du préjudice patrimonial de l’artiste.
II. Sur l’atteinte aux droits moraux : une protection large du droit de paternité et au respect de l’œuvre
On pouvait s’y attendre, la cour ayant reproché aux défendeurs de n’avoir pas procédé aux recherches minimales – même si assez contraignantes – de la véritable identité de l’auteur de l’œuvre de street art figurant dans les vidéos, c’est en toute logique qu’elle reconnaît ici une atteinte au droit de paternité.
Le droit au « respect de son nom et de sa qualité », communément appelé droit de paternité, est en effet l’un des attributs du droit moral de l’auteur. Si la cour rappelle que la disparition et la substitution du nom réel de la fresque n’est en rien imputable à M. Mélenchon et La France Insoumise, la cour sanctionne tout de même ces derniers.
Ils auraient en effet dû « rechercher l’auteur de l’œuvre afin d’obtenir son autorisation. Or, il n’est pas démontré ni prétendu que la moindre recherche en ce sens ait été effectuée, ni même seulement auprès de « Styx » qui pouvait apparaître comme l’auteur de l’œuvre ».
Il est intéressant de noter que le tribunal avait adopté une position contraire en première instance, en mettant en avant la nature spécifique de l’œuvre invoquée, à savoir des réalisations non autorisées sur la voie publique. Selon le tribunal, l’auteur d’une œuvre de street art ne serait pas fondé à se plaindre d’une atteinte au droit à la paternité. En infirmant le jugement sur ce point, la cour confère aux œuvres de street art une protection équivalente aux autres œuvres, ce qui ne peut être que salué.
C’est véritablement sur la question du droit au respect de l’œuvre que la motivation de l’arrêt présente un intérêt. La cour distingue tout d’abord les deux violations possibles du respect dû à une œuvre d’art en analysant tout d’abord la question de l’atteinte à l’intégrité physique de l’œuvre (non retenue en l’espèce) avant d’aborder l’atteinte à l’intégrité spirituelle de l’œuvre (ici caractérisée). On retrouve cette distinction de manière assez claire au sein de la Convention de Berne de 1986 qui dispose que « l’auteur conserve le droit […] de s’opposer à toute déformation, mutilation ou autre modification de [son] œuvre ou à toute autre atteinte à la même œuvre, préjudiciable à son honneur ou à sa réputation ».
Pour l’atteinte à l’intégrité physique, la cour avait déjà indiqué que les modifications réalisées sur la fresque n’étaient pas imputables aux défendeurs, dans la mesure où la disparition du nom de l’auteur et son remplacement par une signature erronée préexistaient lors de la captation des images des clips.
Pour ce qui est de l’atteinte à l’intégrité spirituelle de l’œuvre, la cour la justifie par (i) l’ajout non autorisé du signe LFI sur l’œuvre, (ii) l’intégration de cette œuvre graphique dans un support audiovisuel accompagné d’un message sonore, (iii) l’ajout d’éléments visuels à savoir des branchages et un envol d’oiseaux en filigrane et (iv) la destination des vidéos litigieuses, à savoir la promotion d’un parti et d’une personnalité politiques.
Sur ce dernier point, la cour retient l’atteinte à l’intégrité spirituelle, tout en relevant que l’utilisation de la fresque au sein des vidéos litigieuses est « dénuée de toute outrance ou polémique ». Elle retient par ailleurs comme inopérant le fait qu’il existe entre l’artiste demandeur et les défendeurs une lignée de valeurs communes. La cour répond ici au tribunal qui semblait avoir exclu l’atteinte au droit moral de l’auteur en raison de la communauté de valeurs entre l’artiste et le message politique véhiculé par les vidéos litigieuses. Dans la partie de l’arrêt relative au préjudice, la cour relève même que « la reproduction et la représentation d’une œuvre au soutien du message d’un parti politique quel qu’il soit (…) constituent une atteinte grave au droit moral de l’auteur ».
Ce faisant, la cour rappelle que l’auteur d’une œuvre, même de street art, est le seul à même de pouvoir déterminer la destination de son œuvre et les tiers avec lesquels il souhaite qu’elle soit associée.
Pour la cour, la fresque a ainsi été « récupérée » par le parti politique, justifiant sa condamnation ainsi que son dirigeant à la somme totale de 15.000 euros visant à réparer l’atteinte au droit moral.
De manière plutôt surprenante, la cour d’appel déboute l’artiste de ses demandes complémentaires de retrait des publications, d’interdiction et de publication judiciaire, considérant que le préjudice est suffisamment réparé par les dommages et intérêts alloués. Sur ce point, la solution n’apparaît pas particulièrement satisfaisante puisqu’elle laisse persister les atteintes relevées par la cour, qu’elle considérait quelques lignes auparavant d’une particulière gravité…
Avec cette rare décision rendue en matière de street art, la cour d’appel de Paris confère tout de même à cet art noble et éphémère, et à ceux qui le pratiquent, une protection minimale et bienvenue, qui ne peut à notre avis qu’être renforcée.
L’affaire Combo / France Insoumise : le street art détourné à des fins de réutilisation politique
Par Pierre Pérot, Conseil et contentieux en propriété intellectuelle et avocat senior chez August Debouzy