L’association du nom d’Audrey Hepburn aux sandales et ballerines de Ferragamo est licite si cet usage est fait principalement à titre informatif !
par Giulia Cortesi, avocate associée du cabinet Kern & Weyl aux Barreaux de Paris et de Rome.
Le 23 février 2024, un arrêt de la Cour de Cassation italienne est venu confirmer la pertinence du raisonnement de la Cour d’Appel de Florence qui avait considéré licite l’association du nom d’Audrey Hepburn à certains modèles iconiques de la maison Ferragamo, dès lors que l’usage du nom avait été fait à des fins commerciales « au sens large », mais en présence d’une finalité informative prédominante.
Les faits et la procédure
Le nom et l’image d’Audrey Hepburn, égérie intemporelle de la mode, dont la silhouette menue et le style linéaire et épuré ont marqué les codes d’une élégance à jamais contemporaine, ont conservé une force d’attraction intarissable auprès du public.
Avec son pantalon 7/8 taille haute, ses robes noirs, son trench et ses ballerines, le style Hepburn reste indémodable et iconique, ainsi que son rôle d’égérie spirituelle pour des maisons telle Salvatore Ferragamo.
En effet, le célèbre créateur, dès le début des années 50, avait noué avec l’actrice une relation forte en imaginant pour elle plusieurs chaussures et notamment, à l’occasion du tournage de Vacances romaines, des souliers à bride très légères montées sur un petit talon : les ballerines « Audrey ».
En 2017, les deux héritiers et enfants de l’actrice s’étaient aperçus que la société Ferragamo présentait au public et commercialisait trois modèles de chaussures, à savoir les ballerines « Audrey », ainsi que la « Sandale Gondoletta » et la « ballerine Idra ».
Ces deux derniers modèles étaient décrits de la façon suivante sur le site internet de Ferragamo : le premier comme « ayant été porté par Audrey Hepburn » et, le deuxième, « comme étant un modèle original crée par Salvatore Ferragamo en 1959 pour l’actrice Audrey Hepburn ».
Les enfants de l’actrice, mécontents de cet usage promotionnel du nom et des marques Audrey Hepburn ont assigné la société Ferragamo devant le Tribunal de Florence en violation du droit au nom et à l’image de leur mère, ainsi qu’en contrefaçon des marques de l’U.E. éponymes, afin de voir condamner Ferragamo à réparer le préjudice qu’ils estimaient avoir subi à ce titre.
En première instance, Le Tribunal de Florence avait rejeté l’ensemble des demandes des enfants de l’actrice, tant au titre de la violation du nom qu’au titre de la contrefaçon des marques. La décision avait été ensuite confirmée par la Cour d’Appel de Florence dans son arrêt du 6 octobre 2022 (Corte di appello de Florence, 6 oct. 2022, n°2200/2022) où il avait été précisé que :
• la société Ferragamo avait été autorisée à employer le nom commercial des ballerines « Audrey » ;
• concernant les modèles de chaussures « Gondoletta » et « Idra », leur association au nom de l’actrice par Ferragamo avait une finalité purement descriptive et, en tant que telle, était légitime ;
• les demandes en contrefaçon de deux marques de l’U.E. « Audrey Hepburn » devaient être rejetées, car introduites tardivement dans la procédure.
Dans ces conditions, par requête motivée, les enfants de l’actrice ont formé un pourvoi en Cassation.
L’arrêt de la Cour de Cassation
Les juges de la Cour Suprême de Rome ont été appelés à statuer sur la violation et fausse application par la Cour d’Appel de Florence des articles 7 et 10 du code civil et 96 et 97 de la loi du 22 avril 1941 n°633 (loi sur le droit d’auteur).
Les enfants de l’actrice avaient soutenu que l’usage non autorisé du nom d’autrui pouvait être considéré comme licite, à la condition qu’il s’inscrive dans une logique de droit à l’information du public, alors qu’en l’espèce cet usage par Ferragamo avait eu lieu à des fins purement publicitaires.
La Cour a d’abord tenu à rappeler que l’article 7 du code civil reconnaît le droit au nom comme étant un droit de la personne, protégé à l’encontre de toute usurpation préjudiciable, et que l’art. 10, ainsi que les articles 96-98 de la loi sur le droit d’auteur, permettent de s’opposer à toute utilisation de son nom et de son image ; ceci spécialement dans l’hypothèse d’associations non autorisées du nom et/ou de l’image à des produits commercialisés par des tiers lors de campagnes publicitaires.
En outre, la Cour a précisé qu’une utilisation « commerciale » du nom et de l’image d’une personne était susceptible de créer un préjudice économique pouvant se manifester en termes d’avilissement d’image, de perte de facultés d’exploitation économique (Cass., 11 août 2009, n.18218) et également au titre de l’atteinte au droit d’obtenir une redevance en contrepartie de l’autorisation d’usage.
Néanmoins, la Cour a précisé que pour que l’usage soit qualifié d’illicite, il faut également qu’il soit « exclusivement » à finalité lucrative et qu’il ne serve pas à d’autres fins, notamment d’information, didactiques, culturels, scientifiques, etc. en rappelant les limites au droit d’auteur prévues spécifiquement pour le droit au portrait aux termes des articles 96 et 98 de la même loi.
Ainsi, la Cour a posé le principe selon lequel l’existence d’un but commercial ou publicitaire n’excluait pas nécessairement toute autre finalité digne de protection telle celle d’information.
Il en suit que, d’après les Juges de Rome, dans ces cas particuliers où les deux finalités coexistent, il devient essentiel de rechercher un équilibre entre les intérêts en jeux, à savoir, d’une part, celui au respect du nom et de l’image et, d’autre part, la liberté d’entreprendre (art. 41 de la Constitution italienne et 16 de la Charte de Nice) et celui à informer et être informé (art. 2 et 21 de la Constitution, 10 CEDH et 11 de la Charte de Nice).
On retiendra donc que, même en présence d’un but publicitaire, il existe la possibilité in concreto que le droit d’information prévaut, déterminant la licéité de l’usage du nom et de l’image d’une personne connue, même en l’absence de toute autorisation.
S’agissant du cas d’espèce, la Cour de Cassation italienne a donc considéré que la Cour d’Appel de Florence avait, à juste titre, considéré licite l’usage par Ferragamo du nom commerciale « Audrey » pour ses ballerines ; ceci en raison du fait que l’utilisation avait été autorisée par la fondation « Audrey Hepburn Children’s Fund » crée en 1994 par ses deux enfants dans un contrat conclu en 2000 avec la maison.
Au sujet des deux autres modèles, la Cour de Cassation a, en revanche, estimé que la Cour d’Appel avait correctement opéré la mise en balance des intérêts en jeux considérant que la finalité de l’usage était principalement descriptive du contexte de réalisation des chaussures et, partant, informative, tout en visant à mettre en avant l’origine prestigieuse des chaussures.
Laissons de côté l’ensemble des autres motifs du pourvoi en cassation ayant pour objet l’évaluation des preuves de la part de la Cour d’Appel, ainsi que l’analyse et interprétation du contrat et de son étendue, tous rejetés par la Cour de Cassation et venons-en au motif relatif à la violation et fausse application des articles 163 et 185 du code de procédure civile, sur le fondement desquels la Cour d’Appel a considéré que les demandes relatives à la contrefaçon étaient tardives et donc inadmissibles.
A cet égard, la Cour de Cassation a considéré que la Cour d’Appel de Florence avait à juste titre jugé les demandes comme étant irrecevables.
En effet, dans l’assignation, la demande initiale de contrefaçon avait été fondée exclusivement sur une marque U.S., sans même faire mention des marques de l’U.E..
Ceci alors que la procédure civile italienne connait le principe de l’interdiction de formuler des demandes nouvelles après la première audience au fond.
En effet, s’il est possible pour les parties de préciser leurs demandes dans un acte spécifiquement dédié à ce but, il est cependant interdit d’en proposer des nouvelles, ceci afin de cristalliser les demandes avant d’entamer la phase d’instruction.
Ce qui nous semble intéressant de mettre en évidence, au-delà des profils purement procéduraux, est que, lors de l’appel, les magistrats florentins, après avoir déclaré inadmissibles les demandes, étaient allés plus loin en précisant que, en tout état de cause, l’usage desdites marques était conforme aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale et de bonne foi.
On peut donc déduire que, même si les enfants de l’actrice avaient pu agir sur le fondement de leurs marques de l’U.E., le fait d’utiliser le nom d’Audrey Hepburn afin de décrire les circonstances de création des chaussures, relevait du juste motif conduisant à écarter le grief de contrefaçon des marques.
Commentaires
Cet arrêt de la Cour de Cassation italienne, établit un principe très intéressant, celui de la non nécessaire illicéité d’un usage promotionnel non autorisé du nom et de l’image d’une personne connue, voire de ses marques éponymes.
Il appelle cependant à une réflexion quant à l’impact que cet arrêt pourrait avoir dans la pratique des affaires.
Il existe en effet le risque concret que cet arrêt soit à tort considéré comme un blanc-seing donné pour toute sorte d’utilisation non autorisée du nom et de l’image d’une personne connue, en présence d’un usage descriptif voire d’information dans un contexte purement commerciale.
Alors que, à notre sens, il devrait être plutôt interprété comme une invitation à la prudence ; la mise en balance des intérêts en jeux étant à opérer au cas par cas.
De plus, nous rappelons que, dans cet arrêt, la Cour de Cassation, afin d’identifier le périmètre des utilisations illicites et licites du nom d’un tiers, a fait appel aux limites au droit d’auteur prévues spécifiquement pour le portrait de la personne.
Or, cela n’est pas sans rappeler que, l’interprétation des exceptions s’effectue traditionnellement de manière stricte en droit d’auteur et que, en tout état de cause, l’exception ne s’applique pas si la divulgation est préjudiciable à l’honneur et à la réputation de la personne.
Il en suit que l’usage informatif fait dans un contexte commerciale préjudiciable pourrait empêcher la mise en balance même des intérêts en jeux (commercial et informatif) en faisant prévaloir tout simplement le droit de la personne à son nom et à son image.
« L’association du nom d’Audrey Hepburn aux sandales et ballerines de Ferragamo est licite si cet usage est fait principalement à titre informatif ! »
par Giulia Cortesi, avocate associée du cabinet Kern & Weyl aux Barreaux de Paris et de Rome.
Merci pour cette retranscription et ces commentaires.
Cet arrêt semble motivé par une raison essentiellement historique: celle des relations passées entre Audrey Hepburn et la maison Ferragamo. Il soulève plusieurs questions:
– Quels seront les critères de partage entre les finalités poursuivies (la finalité promotionnelle et la finalité informative) ? S’agissant principalement de l’interprétation d’une intention et d’actes et de faits juridiques anciens, réinterprétés plusieurs décennies plus tard, la Cour de Cassation Italienne ouvre la possibilité d’une jurisprudence à géométrie variable.
– Quelle est la valeur dorénavant d’une limitation temporelle aux licences fondées sur le droit à l’image d’Audrey Hepburn et le droit des marques de la fondation « Audrey Hepburn Children’s Fund » ou de ses enfants, si un ancien licencié peut dorénavant y faire référence à titre commercial sous le couvert de l’histoire ?
– La solution aurait-elle été la même si l’égérie était toujours vivante ? Et si oui, quelle serait alors le sort des contrats exclusifs d’exploitation d’image à des fins publicitaires lorsqu’une star internationale contracte avec plusieurs maisons successives (exemple purement fictionnel: si Fenty se sépare de LVMH, Dior pourrait-il toujours utiliser l’image de Rhianna pour des motifs historiques) ?
Cette décision va en effet influencer la pratique des licences de marques et de droit à l’image.
Sans conte