Droit d'auteur,Propriété intellectuelle

“Le travail de l’artiste-auteur ou le droit à la négociation collective des travailleurs indépendants”

par Katell Richard

CE n°454477 du 15 novembre 2022

« En premier lieu, si les requérants soutiennent que l’article 5 de l’ordonnance attaquée porterait atteinte à la liberté syndicale en conférant une compétence en matière de négociation collective aux organismes de gestion collective, les dispositions critiquées n’ont ni pour objet, ni pour effet de limiter la possibilité pour des auteurs de choisir d’adhérer à un syndicat de leur choix ou de constituer un syndicat, ni même de limiter la possibilité pour un tel syndicat de participer aux accords professionnels qu’elles prévoient. Il ne résulte ni de l’article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni, en tout état de cause, de l’article 6 de la Charte sociale européenne, des conventions n° 87 et 135 de l’Organisation internationale du travail ou de la décision n° 123/2016 du 12 décembre 2018 du Comité européen des droits sociaux un droit, pour les auteurs, à la « négociation collective » des conditions dans lesquelles sont gérés les droits d’exploitation qu’ils cèdent à des tiers, un tel droit ne concernant que les relations entre les travailleurs et les employeurs. Dès lors, les moyens tirés de ce que la possibilité pour les organismes de gestion collective de conclure de tels accords professionnels porterait atteinte à la liberté syndicale et au droit à la négociation collective des auteurs ne peut qu’être écarté. »

Le 15 novembre dernier, le Conseil d’Etat a annulé l’ordonnance du 12 mai 2021 portant transposition (partielle) de la directive 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique à la demande du Comité Pluridisciplinaire des Artistes-Auteurs et des Artistes-Autrices (CAAP) et la Ligue des auteurs professionnels. En effet, l’ordonnance attaquée, en ne prévoyant pas le droit pour les auteurs de percevoir une rémunération appropriée en contrepartie de la cession de leurs droits exclusifs, ne satisfaisait pas aux exigences posées par ladite directive.

Cette décision est une victoire pour les requérants et a d’ailleurs déjà fait l’objet de commentaires notamment sur la question de la rémunération (C. LAMY, « CE : annulation de l’ordonnance du 12 mai 2021 pour absence de rémunération appropriée des auteurs », Dalloz IP/IT, 2022, p.594 « Le Conseil d’État annule l’ordonnance du 12 mai 2021 en tant qu’elle ne prévoit pas pour les auteurs cédant leurs droits exclusifs pour l’exploitation de leurs œuvres une rémunération appropriée », Légipresse, 2022, p.598). Pour autant, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une victoire en demi-teinte au regard des enjeux de représentation et du droit à la négociation collective qui agitent les artistes-auteurs depuis quelques années.

En l’espèce, les deux organisations syndicales requérantes contestaient les modalités de négociation instituées par l’ordonnance, invoquant une violation de la liberté de négocier collectivement protégée au nom de la liberté syndicale. Elles reprochaient en particulier que les accords puissent être négociés pour ce qui concerne les représentants des travailleurs soit par des organismes professionnels d’auteurs, soit par des organismes de gestion collective, organismes gérant les droits d’auteurs et non assimilés à des syndicats, lesquels ont pourtant vocation naturelle à représenter les travailleurs dans le cadre de la négociation collective.

Le Conseil d’Etat juge que ces dispositions ne portent pas atteinte à la liberté syndicale en ce qu’elles n’ont ni « pour objet, ni pour effet de limiter la possibilité pour des auteurs de choisir d’adhérer à un syndicat de leur choix ou de constituer un syndicat, ni même de limiter la possibilité pour un tel syndicat de participer aux accords professionnels qu’elles prévoient » (§9, CE, 15 Novembre 2022, n°454477 ). Il juge également que les artistes-auteurs n’ont pas le droit à la négociation collective ce qui constitue pourtant « l’un des éléments essentiels de la liberté syndicale » (CEDH, Démir et Byakara) .

Pourtant, saisi de la compatibilité des dispositions de transposition à l’article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 6 de la Charte sociale européenne, les conventions n° 87 et 135 de l’organisation internationale du travail, la décision n° 123/2016 du 12 décembre 2018 du Comité européen des droits sociaux, le Conseil d’Etat ne reconnait pas un droit à la « négociation collective » pour les artistes-auteurs. 

A ce propos, le rapporteur public dans ses conclusions indique que « ces accords portent en effet sur les modalités d’exploitation de droits de nature patrimoniale. Ils intéressent, certes, la rémunération des artistes, mais ce ne sont cependant pas des accords qui portent sur des rapports de travail. Ils ne relèvent pas du Code du travail. Ce sont des accords qui régissent des rapports économiques entre les professionnels d’un secteur ». Ainsi, bien que le Conseil d’Etat ne reprenne pas expressément cette distinction, sa décision mène à comprendre que la rémunération s’entend au sens des rapports économiques, les règles de la négociation collective n’ont donc pas à s’y appliquer.

Cette décision semble toutefois discutable, d’une part, car le Conseil d’Etat semble ne réserver ce droit qu’aux relations entre travailleurs et employeurs, d’autre part, lorsque des organismes autres que des syndicats représentatifs peuvent être parties à la négociation.

Définis par le Code de la propriété intellectuelle, les artistes-auteurs ne sont pas encadrés par le Code du travail, donc a priori hors salariat. A ce titre, le Conseil d’Etat les exclut du droit à « la négociation collective des conditions dans lesquelles sont gérés les droits d’exploitation qu’ils cèdent à des tiers, un tel droit ne concernant que les relations entre les travailleurs et les employeurs ». Partant de ce postulat, les travailleurs concernés par la négociation collective des conditions de travail ne seraient donc que des travailleurs salariés. Autrement dit, dès lors que les artistes-auteurs ne sont pas des salariés, le droit à la négociation collective peut ne pas les concerner.

Ainsi, l’ambivalence de leur statut impacte les droits sociaux dont peuvent bénéficier les artistes-auteurs, notamment le droit à la négociation collective que le Conseil d’Etat leur dénie.

Pourtant, les artistes-auteurs sont ceux qui ont produit une œuvre dans le domaine littéraire, du théâtre, de la danse, de la musique, du cinéma, etc. (pour la définition de l’œuvre v. L. 112-2 et L. 113-1 du Code la propriété intellectuelle) et qui perçoivent des revenus artistiques par le biais de l’exploitation de leurs œuvres (v. art. R. 382-1-1 du Code de la sécurité sociale pour les revenus principaux et R. 382-1-2 pour les revenus accessoires).

Leur statut fait régulièrement débat. Dans cette optique, les « auteurs saisis par le prisme de la logique personnaliste et de la propriété n’ont jamais été considérés comme des travailleurs normaux » (S. LE CAM, « La légitimité du droit d’auteur discutée par les organisations professionnelles d’auteurs », Légipresse, Hors-série n° 62, 2019-2).

D’ailleurs, dès la fin des années 30, un ministre du Front Populaire, Jean Zay souhaitait réformer le droit des auteurs afin que ceux-ci soient notamment considérés comme des travailleurs intellectuels. Est d’ailleurs défini comme travailleur, toute personne qui exerce une « activité […] destinée à assurer […] les revenus nécessaires à sa subsistance (L. CORNU, Le vocabulaire juridique, association Henri Capitant, 10e éd., PUF, 2014).

De plus, du point de vue de la dépendance dans laquelle ils se situent vis-à-vis de leur capacité à travailler, c’est-à-dire à exercer leur art, les artistes-auteurs se trouvent dans la même situation d’infériorité que les salariés. Cette problématique du statut des travailleurs à la frontière du travail salarié et indépendant, qui n’est pas propre aux artistes-auteurs, s’est posée régulièrement, et dernièrement, dans le cas des chauffeurs VTC et livreurs de repas. En effet, la subordination de ces travailleurs, qu’ils soient de plateforme ou artistes-auteurs peut être questionnée sous l’angle de la dépendance économique (v. Cass. 2e civ., 11 mars 2010, n° 09-65.209, et CA Paris, pôle 6, ch. 12, 4 juin 2015, n° 13/02842). « D’un point de vue fonctionnel, la dépendance économique semble justifier la reconnaissance de prérogatives équivalentes à celles reconnues en considération de la subordination. Pour autant, la différence entre subordination juridique et dépendance économique justifie toujours une reconnaissance juridique moindre et le refus de voir dans ses prérogatives l’exercice d’un droit social fondamental » (DIRRINGER, « Des droits collectifs en trompe-l’œil pour les travailleurs de plateforme », La Revue de l’Ires, 2022/1 N° 106, p. 13-40).

Alors même que se met en place un droit à la négociation collective pour les travailleurs de plateforme, le Conseil d’Etat se refuse à reconnaître aux artistes-auteurs ce droit social fondamental au prétexte qu’ils ne seraient pas des travailleurs, quand bien même il se réfère à une décision du CEDS qui « considère en outre que les travailleurs indépendants devraient jouir du droit de négociation collective par l’intermédiaire d’organisations les représentant, y compris s’agissant de la rémunération des services qu’ils fournissent» (§95). Le CEDS intègre donc la rémunération des services fournis par les travailleurs indépendants dans le droit à la négociation collective. 

Enfin, la question était posée par les requérants, le Conseil d’Etat l’élude en estimant que conférer aux OGC une compétence en matière de négociation n’est pas une atteinte à la liberté syndicale. 

Pourtant, seuls les syndicats professionnels sont légalement habilités à représenter les intérêts des salariés que ce soit dans le cadre de l’action en défense de l’intérêt collectif ou que ce soit dans le cadre de la négociation collective. On le sait, cette dernière est devenue une prérogative essentielle du pouvoir de représentation des syndicats. D’ailleurs, cette fonction est réservée aux seules organisations syndicales représentatives (v. L2231-1 du Code du travail). Bien loin du principe de spécialité qui prévaut dans les organisations syndicales, les OGC n’ont pas pour unique objet la défense des associés, mais la gestion de leurs droits. Les organismes de gestion collective administrent les droits des artistes-auteurs. Autrement dit, ils sont habilités à « négocier avec les utilisateurs des autorisations d’utiliser leurs œuvres, sous certaines conditions et en contrepartie du paiement de redevances ; surveiller l’utilisation des œuvres ; percevoir les redevances et à les répartir entre eux. » (La gestion collective des droits d’auteur et des droits voisins, Étude de législation comparée, n° 30 – 1 novembre 1997). A ce titre, et d’autant plus en ce qui concerne spécifiquement les articles 5 et 9 de l’ordonnance n° 2021-580 du 12 mai 2021 relatifs à la cession des droits d’exploitation, les associés des OGC peuvent être des éditeurs titulaires de certains droits d’auteurs. Dès lors, comment penser la défense des intérêts des artistes-auteurs quand ils seraient représentés par une organisation servant des intérêts contradictoires ? La question de la capacité juridique de ces organismes reste en suspens, tout comme celle de leur légitimité. Pourtant, l’exigence de représentativité n’est pas spécifique au droit du travail. Elle est d’ores et déjà posée par le Code de la sécurité sociale à l’article R. 382-8 qui reconnaît les organisations syndicales représentatives « en tenant compte des critères mentionnés aux 1°, 2°, 3°, 4°, 6° et 7° de l’article L. 2121-1 du Code du travail » en ce qui concerne l’accès aux prestations sociales des artistes-auteurs. Cette exigence de représentativité est également prévue pour les travailleurs des plateformes. 

Alors, s’il apparaît alors que l’ordonnance et ses dispositions critiquées ne limitent pas stricto sensu « la possibilité pour un tel syndicat de participer aux accords professionnels qu’elles prévoient » (§ 9, CE, 15 Novembre 2022, n°454477). Il aurait été bienvenu que le Conseil d’Etat se saisisse de cette opportunité qui lui était offerte, pour participer à la diffusion des principes de la démocratie sociale à toute la vie économique. 

“Le travail de l’artiste-auteur ou le droit à la négociation collective des travailleurs indépendants” de Katell Richard, doctorante au sein de l’Université de Rennes.
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