Les deux affaires chinoises sur la protection par le droit d’auteur des images générées par IA : l’affaire Le Vent Printanier et l’affaire Cœur à Cœur
Par Shuangyani CHEN, Élève-avocat en Propriété Intellectuelle, Cabinet d’avocats WAN HUI DA, Shanghai, Chine
Avant les récents jugements sur les images générées par IA, les tribunaux chinois avaient déjà abordé la question de la « copyrightabilité » des œuvres textuelles générées par IA, avec des résultats divergents.
Le 24 décembre 2019, dans le jugement n°(2019) Yue 0305 Min Chu 14010, le Tribunal judiciaire de Nanshan à Shenzhen a estimé que l’ensemble des choix effectués par le demandeur, notamment la sélection des données, le traitement du format, la définition des critères déclencheurs, le choix du modèle de structure d’article, l’établissement des corpus, ainsi que l’entraînement du modèle d’algorithme de vérification intelligent, constituaient des choix personnalisés et organisés par le demandeur.
En revanche, dans le jugement n° (2019) Jing 73 Min Zhong 2030, la Cour de la propriété intellectuelle de Pékin a estimé que le rapport généré automatiquement par le logiciel Westlaw, formé par la combinaison des mots-clés saisis et des algorithmes, règles et modèles utilisés, ne constituait pas une expression originale des pensées et des sentiments de l’utilisateur du logiciel et, par conséquent, n’était pas protégé par le droit d’auteur.
D’autre part, en ce qui concerne les images générées par IA, les tribunaux chinois ont adopté une position plus cohérente en matière de copyrightabilité, comme le montre l’Affaire Le Vent Printanier (I) et l’Affaire Cœur à Cœur (II), contrastant avec les décisions américaines et suscitant des débats sur ce sujet (III).
Le 24 février 2023, le demandeur, M. LI, a utilisé le logiciel open-source StableDiffusion, en saisissant 25 prompts positifs et 120 prompts négatifs, tout en définissant le nombre d’itérations, la hauteur, le facteur de guidage des prompts et la graine aléatoire pour générer l’image 1. Après avoir ajusté les poids, il a généré l’image 2, puis l’image 3 après modification de la graine. Enfin, après avoir ajouté 9 prompts positifs, l’image 4, objet du présent litige, a été générée.
Le 26 février, le demandeur a publié l’image intitulée “Le vent printanier a apporté la douceur” sur XiaoHongShu (un réseau social chinois). Le défendeur, M. LIU, a publié un article avec cette image sans autorisation le 2 mars 2023 sur Baijiahao (un autre réseau social chinois).
La Cour a estimé que l’œuvre devait refléter l’investissement intellectuel d’une personne physique. Le modèle StableDiffusion génère des images à partir de prompts, et tout le processus, depuis la conception jusqu’à la sélection finale, a impliqué une contribution intellectuelle substantielle du demandeur, incluant la création des personnages, le choix des prompts, le réglage des paramètres et la sélection de l’image finale.
Concernant l’originalité, l’œuvre doit refléter l’expression personnelle de l’auteur. L’image présente des différences notables par rapport aux œuvres antérieures. Le demandeur a conçu les éléments de l’image via des prompts et ajusté les paramètres, exprimant ainsi son choix personnel. Il a aussi modifié l’image après la première version, affinant son jugement esthétique.
Quant à l’auteur, les concepteurs du modèle d’IA n’ont ni créé ni préalablement défini le contenu de l’image. Celle-ci a été générée exclusivement à partir de l’investissement intellectuel du demandeur, ce qui en fait son œuvre et lui confère les droits d’auteur.
Le 14 février 2023 à 9h17, M. Lin a généré des images avec plusieurs prompts via Midjourney. Après avoir sélectionné une image, il a ajusté les prompts pour affiner un demi-ballon en forme de cœur, puis modifié l’image avec Photoshop. Celle-ci a ensuite été réintégrée dans Midjourney pour continuer le design. Après plusieurs itérations, l’auteur a finalisé l’image et l’a de nouveau modifiée avec Photoshop. La version finale, avec un filigrane blanc en bas à gauche, a été terminée à 23h40 le même jour.
Le même jour, M. Lin a publié l’image sur XiaoHongShu. Le 7 avril 2023, il a fait enregistrer cette œuvre auprès de l’Administration nationale du droit d’auteur de Chine.
Le premier défendeur, la société Gaosi, a conçu une installation représentant un ballon en demi-cœur sur un lac. En septembre et novembre 2023, Gaosi a publié des images et vidéos promotionnelles de l’installation sur XiaoHongShu, ainsi que sur son site internet et sa boutique en ligne.
Le 21 septembre 2023, le deuxième défendeur, la société immobilière Qing Hong, a utilisé l’image dans un article publicitaire.
Le tribunal a reconnu que l’image “Cœur à Cœur”, avec des éléments distinctifs comme une ville, une surface d’eau, des bâtiments, un cœur et son reflet, présente des choix créatifs et une originalité protégeable par le droit d’auteur en tant qu’œuvre d’art. Le demandeur a utilisé Midjourney et Photoshop pour la créer et l’ajuster. Cependant, la protection par droits d’auteur se limite à la version bidimensionnelle de l’œuvre et ne s’étend pas à l’installation tridimensionnelle du demi-cœur, qui est trop banal et manquant d’originalité pour être une œuvre indépendante.
Le tribunal a conclu que l’image utilisée par les deux défendeurs était substantiellement similaire à l’œuvre « Cœur à Cœur ». En diffusant l’œuvre sans autorisation et en supprimant le filigrane, les défendeurs ont violé le droit de communication au public et le droit moral à la paternité. Toutefois, la réalisation de l’installation tridimensionnelle ne constitue pas une violation des droits de reproduction ou de distribution. En raison de l’originalité limitée de l’œuvre, de sa faible notoriété et de l’absence d’intention malveillante, le tribunal a accordé une indemnisation de 1 000 yuans (environ 131,5 €) pour les pertes économiques.
(III) Les Débats sur la Copyrightabilité des Images IA en Chine et leur Contraste avec la Décision Américaine
L’article 3 du Code Chinois du Droit d’Auteur définit une œuvre comme « un produit d’esprit dans les domaines littéraire, artistique et scientifique, possédant un caractère original et pouvant être exprimé sous toute forme ». Selon l’article 2.1 des Directives de la Cour d’appel de Pékin Concernant les Infractions aux Droits d’Auteur, les critères de qualification d’oeuvre sont : 1) appartenir aux domaines littéraire, artistique ou scientifique ;
- présenter un caractère original, c’est-à-dire être créée de manière indépendante et exprimer une création originale ;
- avoir une forme d’expression ;
- être le fruit d’une activité intellectuelle, résultant d’un effort créatif.
Les débats actuels sur les droits d’auteur des œuvres générées par l’AIGC portent principalement sur l’originalité et la contribution intellectuelle humaine.
Dans les affaires concernant les œuvres générées par AI, les tribunaux ont reconnu que l’utilisateur ayant introduit les prompts est l’auteur, contrôlant ainsi le processus créatif. Toutefois, la question de l’originalité et de l’effort intellectuel reste débattue. Le tribunal estime qu’une œuvre générée par AIGC doit être évaluée en fonction de la participation humaine, notamment les choix des prompts, la personnalisation et les ajustements après génération, pour déterminer si elle reflète l’expression personnelle de l’utilisateur.
L’affaire Cœur à Cœur se distingue du Vent Printanier par l’utilisation de Photoshop pour modifier l’image générée par IA. Le tribunal dans l’affaire Vent Printanier a confirmé les droits d’auteur sur l’image, tout en soulignant que l’outil AIGC est un instrument, non l’auteur. L’affaire Le Vent Printanier a précisé que les choix et ajustements de l’utilisateur reflètent sa créativité, lui conférant un contrôle final sur le contenu généré par l’IA. Toutefois, certains chercheurs chinois contestent cette position, arguant que “L’intelligence artificielle détermine de manière substantielle les éléments expressifs du contenu qu’elle génère” (Qian WANG, Troisième réflexion sur la position du AIGC dans le droit d’auteur).
Dans ce contexte, l’affaire Théâtre d’Opéra Spatial aux États-Unis, qui présente des similitudes avec des faits de l’affaire Cœur à Cœur, a vu une position plus stricte du Bureau des droits d’auteur américain, conduisant à une conclusion différente. L’accent a été mis sur le degré de participation de l’IA et son rôle déterminant dans le résultat de l’œuvre. En septembre 2023, la Commission de réexamen du Bureau des droits d’auteur des États-Unis a refusé l’enregistrement de l’œuvre, estimant que les “prompts” fournis à Midjourney influencent ce que le système génère, sont interprétés par Midjourney et comparés à ses données d’entraînement. Ainsi, les étapes du processus dépendaient de la manière dont Midjourney a traité les “prompts” de M. Allen. L’œuvre contenait donc une quantité non négligeable de contenu généré par l’IA. Cette décision est en accord avec les lignes directrices du Bureau des droits d’auteur des États-Unis du 16 mars 2023, stipulant que “lorsqu’une technologie IA reçoit uniquement un prompt humain et génère des œuvres complexes en réponse, les éléments traditionnels de la paternité sont déterminés et exécutés par la technologie, et non par l’utilisateur humain”.
Ces décisions judiciaires chinois pourraient avoir des répercussions sur les échanges mondiaux liés à la technologie AIGC. En vertu de l’article 5 de la Convention de Berne, le principe de traitement national pourrait conduire à ce que des ressortissants étrangers cherchent à protéger en Chine des œuvres générées par AI, tandis que les citoyens chinois ne bénéficieraient pas de la même protection dans les pays contractants, créant ainsi un déséquilibre à prendre en compte dans les décisions judiciaires futures en Chine.
Les deux affaires chinoises sur la protection par le droit d’auteur des images générées par IA : l’affaire Le Vent Printanier et l’affaire Cœur à Cœur
Par Shuangyani CHEN, Élève-avocat en Propriété Intellectuelle, Cabinet d’avocats WAN HUI DA, Shanghai, Chine
L’auteur tient à remercier Xiaoquan ZHANG, avocat au sein du cabinet d’avocats WAN HUI DA, pour son aide dans la rédaction de l’article.