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Reconquête! re-condamnée : les exceptions au droit d’auteur sont d’interprétation stricte

Par Alexandre Mochon, avocat au barreau de Paris et de New-York

Manifestement, les responsables en charge de la communication des politiques ne sont pas encore bien au fait des règles applicables en matière de droit d’auteur. 

C’est ce qu’a pu constater le Tribunal judiciaire de Paris qui s’est une nouvelle fois prononcé sur la licéité d’utilisation de courts extraits d’œuvres protégées dans le cadre de vidéo de campagne politique (TJ Paris, 3e ch. 1re sect., 23 janv. 2025, n° 22/03349).

Était en cause la vidéo de campagne d’Éric Zemmour et son parti Reconquête! annonçant sa candidature à l’élection présidentielle le 30 novembre 2021 et, notamment, l’usage d’un court extrait d’un documentaire produit par Black Dynamite Films. 

Ce n’est pas la première fois que le parti Reconquête! doit se justifier de reproduction non autorisée de droits d’auteur, puisque Éric Zemmour et son parti ont déjà été condamnés une première fois par le Tribunal judiciaire de Paris dans une autre affaire similaire (Tribunal judiciaire de Paris, 4 mars 2022, 22/34).

Ici encore, face à l’usage incontestable de l’extrait, les défendeurs soulevaient plusieurs exceptions au droit d’auteur, très similaires à celles avancées en 2022, et encore une fois toutes rejetées par le Tribunal. 

Rappel du principe de l’interprétation stricte des exceptions au droit d’auteur

La norme est limpide : toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle non autorisée de l’auteur est illicite (voir article L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle).

Ce principe s’accompagne d’exceptions, listées à l’article L.122-5 du Code de la propriété intellectuelle, dont le nombre s’est accru au fur et à mesure des nouvelles législations (trois exceptions prévues à l’origine contre treize aujourd’hui), en particulier la loi n°2006-961 du 1er août 2006 ou encore plus récemment la loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 prévoyant l’exception de panorama au 11° de l’article L.122-5.

À noter que cette exception de panorama avait été invoquée par Jean-Luc Mélenchon et son parti la France insoumise, sans succès, dans des faits similaires (Cour d’appel de Paris, 5 juillet 2023, n°21/11317. Ici, la Cour a considéré qu’une œuvre de street art ne pouvait s’apparenter à une œuvre architecturale ou sculpturale au sens de l’article L.122-5-11° du CPI, notamment car cette œuvre, potentiellement éphémère, n’est pas “placée en permanence sur la voie publique”. De plus, la fresque n’apparaît pas de façon fortuite dans le clip, comme un élément du paysage servant de décor, mais est bien mise en scène volontairement. L’exception de courte citation a également été écartée, à défaut de citation du nom de l’auteur.)

Raisonnement du Tribunal – Rejet des exceptions soulevées

Trois fondements étaient soulevés par les défendeurs : 

  • L’un issue de la loi ; 
  • L’autre prétorien ; 
  • Le dernier tiré de la Convention européenne des droits de l’homme

La courte citation – exception législative

Les défendeurs revendiquent premièrement le bénéfice de l’exception de courte citation, prévue par l’article L.122-5, 3° du Code de la propriété intellectuelle prévoyant : “Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : (…) 3° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source : a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées (…)

Après avoir rappelé que l’exception de courte citation “doit être interprétée strictement”, le Tribunal considère que si les extraits étaient effectivement brefs (3 secondes sur un film de 10 minutes), le bénéfice de l’exception suppose la mention claire du nom de l’auteur, condition non remplie en l’espèce.

L’exception est donc écartée.

La théorie de l’accessoire – exception prétorienne

Les défendeurs réclament ensuite l’application de la théorie de l’accessoire. Cette théorie, d’origine prétorienne, prévoit que la reproduction et la représentation d’une œuvre n’est pas une communication au public lorsqu’elle est accessoire par rapport au sujet traité et par rapport au sujet représenté, en ce qu’elle est imbriquée avec le sujet traité et qu’une telle communication accessoire ne porte pas atteinte au monopole du droit d’auteur (Cour de cassation, 12 mai 2011, n°08-20.651). À noter que la Cour de cassation dans l’arrêt susvisé qualifiait cette théorie comme “l’inclusion fortuite d’une œuvre”.

Le Tribunal souligne que les images du documentaire agricole utilisées dans la vidéo de campagne n’ont pas été incluses de manière fortuite, mais ont été délibérément exploitées afin de servir de support au message politique. 

Cette utilisation intentionnelle exclut donc toute possibilité de bénéficier de cette tolérance prétorienne.

La liberté d’expression – tentative de fair use artificiel

Enfin, les défendeurs abattent leur dernière carte qui est celle de la liberté d’expression, en application de l’article 10.1 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cet argument est désormais utilisé régulièrement, sans grand succès, comme a pu le constater Jeff Koons (voir par exemple Cour d’appel de Paris, 23 février 2021, 19/09059 et Cour d’appel de Paris, 17 décembre 2019, 17/09695).

Cet argument juridique tend en réalité à introduire de façon artificielle la théorie du fair use (Pour plus de détails sur le concept de fair use, voir §107 de l’US Copyright Code ; ou encore https://copyright.psu.edu/copyright-basics/fair-use/), dont Jeff Koons est cette fois-ci un artisan outre atlantique (voir par exemple Blanch v. Koons, US Court of Appeal, 2nd circuit, 26 octobre 2006). Cette théorie n’est à ce jour en droit d’auteur français que pure science-fiction.

En l’espèce, les juges considèrent que si la vidéo objet du litige contribue à un débat d’intérêt général, l’atteinte aux droits d’auteur n’était pas justifiée, car la liberté d’expression pouvait s’exercer par d’autres moyens, notamment en utilisant des images libres de droits.

L’ensemble des fondements des défendeurs ayant été rejetés, Reconquête! et son candidat sont condamnés in solidum à verser 5000€ à chacun des demandeurs (la société de production et le réalisateur).

Décision donc dans la droite lignée de ce qui était statué jusqu’ici, en considérant que les exceptions au droit d’auteur, si elles sont de plus en plus nombreuses avec le temps, restent d’interprétation stricte. 

Reconquête! re-condamnée : les exceptions au droit d’auteur sont d’interprétation stricte
Par Alexandre Mochon, avocat au barreau de Paris et de New-York

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TeamBLIP!

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