Droit des marques,Métavers,NFT

Hermès c/ Mason Rothschild : un procès au service du droit de la propriété intellectuelle 3.0 ?

par Chloé CARGNINO, Doctorante en droit de la propriété intellectuelle et technologies Web3 au sein du L.I.D 2 M.S

Nous sommes le 8 février 2023 et dans le monde du droit tout s’active. Le verdict est tombé et il n’envisage rien de bon pour l’artiste numérique Mason Rothschild qui est reconnu coupable de tous les chefs d’accusation qui lui sont reprochés(1). Soit, mais il faut quand même discuter des fondamentaux à savoir : quelles sont les règles de droit sur lesquelles la New-York Court s’est basée pour rendre sa décision ? Une décision qui était particulièrement attendue, mais qui n’étonne finalement pas vraiment les spécialistes en droit de la propriété intellectuelle puisqu’elle confirme l’applicabilité et l’effectivité du droit positif pour le Web3.

Pour rappel, en 2021 l’artiste numérique Mason Rothschild lance une collection de 100 NFT « MetaBirkin » lors des célébrations du Miami Art Basel(2). Le « MetaBirkin » représente alors le modèle de sac à main iconique de la maison Hermès décliné en plusieurs couleurs et en fausse fourrure. Cette « création artistique » est alors mise en vente sur la Marketplace OpenSea par l’artiste sans avoir sollicité, au préalable, l’accord de la maison Hermès. En effet, cela aurait pu faire l’objet d’une collaboration ou d’un partenariat intéressant entre l’artiste et la maison de luxe à l’instar du projet entre Louis Vuitton et l’artiste japonaise Yayoi Kusama(3).

Ceci étant, en 2022, Hermès demande et obtient le prompt retrait des NFT vendus sur ladite Marketplace. Or, Mason Rothschild continue de vendre ses NFT sur son site web tout en renvoyant vers la Marketplace Rarible. Hermès dénonce alors une atteinte à son image de marque et demande l’arrêt du projet, mais aussi le versement de dommages et intérêts liés à la vente des NFT devant la New-York Court. En mai 2022, Mason Rothschild saisit la juridiction d’une requête préliminaire au procès afin que l’action soit déclarée irrecevable. Sa défense est basée sur le test Rogers v. Grimaldi(4), jurisprudence qui reconnait que chacun est libre d’exploiter une marque protégée au nom de la liberté d’expression artistique. Le tribunal rejette ladite requête.

 

  1. Ouverture du procès

Après les réticences des juridictions américaines qui ont, dans un premier temps, rejeté la demande de l’artiste numérique Mason Rothschild visant à contester la recevabilité de l’action initiée par Hermès, et dans un second temps, refusé la possibilité d’interjeter appel de ladite décision de rejet, l’affaire est en état d’être jugée le 30 janvier 2023.

 

  1. Objet de spéculation, contrefaçon, « dilution » de marque et cybersquatting

Hermès a, dans une première plainte, indiqué que l’artiste numérique avait spéculé et s’était enrichi rapidement en exploitant, sans en avoir le droit, la marque Birkin(5). Aussi, l’atteinte à l’image de marque pouvait être caractérisée selon Hermès, puisque ledit artiste aurait soutenu que son projet (vente de NFT du sac iconique) était appuyé par Hermès. Or ce n’était pas le cas et la confusion dans l’esprit des consommateurs quant à l’émetteur officiel de la collection des 100 « MetaBirkin » était avérée.

S’agissant de la contrefaçon en droit américain(6), le propriétaire de la marque dispose d’un droit exclusif sur celle-ci. Cela suppose qu’une marque déposée fédérale est protégée de la contrefaçon par la loi Lanham, aussi appelée « Trademark Act »(7). Les NFT vendus par l’artiste numérique portaient donc atteinte à l’image de marque de la maison Hermès, mais, surtout, à la marque Birkin déposée et protégée dans le monde physique par un titre de propriété industrielle. Dans sa décision en date du 8 février 2023, la New-York Court déclare Mason Rothschild coupable de contrefaçon.

« 1. On Hermes’ claim for trademark infringement, we the jury find the defendant Mason Rothschild liable ».

S’agissant de la dilution de marque(8), celle-ci se manifeste « lorsque le capital de la marque d’une entreprise diminue en raison d’une extension de marque infructueuse, qui est un nouveau produit que l’entreprise développe dans une industrie dans laquelle elle n’a aucune part de marché »(9). En droit américain, le propriétaire d’une marque est protégé contre la dilution de sa marque, c’est à dire protégé contre la perte de valeur de celle-ci. Toutefois, le droit américain impose audit propriétaire de remplir plusieurs conditions comme, par exemple : la marque possédée doit être suffisamment célèbre et distinctive aux yeux du consommateur américain ; l’usage de la marque seconde pour son déposant doit être susceptible de provoquer une dilution par ternissement ou une « dilution by blurring »(10) c’est à dire « dilution par affaiblissement » de la première marque (15 U.S. Code § 1125 – False designations of origin, false descriptions, and dilution forbidden).

En l’espèce, s’agissant de la question de savoir si l’atteinte à la valeur (dilution) de la marque Birkin avait été caractérisée, la New-York Court déclare Mason Rothschild « liable ».

« 2. On Hermès’ claim for trademark dilution, we the jury find the defendant Mason Rothschild liable ».

S’agissant du cybersquatting (11), la New-York Court indique que l’artiste numérique a en effet profité de la notoriété de la marque Hermès et de son nom de domaine pour vendre ses NFT sous le même nom. Cette pratique est répandue sur Internet et souvent, le cybersquatter agit volontairement afin de créer de l’achalandage en se reposant sur la notoriété de la marque protégée.

« 3. On Hermes’ claim for cybersquatting, we the jury find the defendant Mason Rothschild liable ».

 

  1. Liberté d’expression c/ droit d’auteur 

Enfin, en défense, Mason Rothschild indique que ses oeuvres sont protégées par la liberté d’expression et invoque le premier amendement de la Constitution des Etats-Unis à savoir : « Congress shall make no law respecting an establishment of religion, or prohibiting the free exercise thereof ; or abridging the freedom of speech, or of the press ; or the right of the people peaceably to assemble, and to petition the Government for a redress of grievances ». Ce dernier présente alors son travail comme étant « l’exploration d’une consommation ostentatoire »(12), la représentation faite des sacs Birkin serait dès lors « imaginaire ». Juridiquement, le droit de propriété que l’auteur a sur son œuvre et la liberté d’expression sont des droits fondamentaux qui se livrent à une appréciation concrète du juste équilibre (notion d’équilibre et de proportionnalité en droit d’auteur)(13). Toutefois, liberté d’expression ne veut pas dire pour un artiste, outrepasser ses droits en s’appropriant les créations d’un autre.

 

  1. Protection de la marque dans le Métavers

Toujours est-il que lesdits sacs sont protégés par des droits de propriété intellectuelle (droit d’auteur, droit des marques) et sont la propriété de la maison Hermès. Au-delà d’un éventuel apport juridique, la question de la protection de la propriété intellectuelle dans le Web3 se pose à l’issue de ce verdict. Si les marques ont la possibilité de protéger leur produit sous forme de NFT dans la classe 9(14), couvrant ainsi tous les produits et services dans le monde virtuel, cela n’est pas sans risque. Les enjeux économiques sont tels, que certains usurpateurs n’hésitent pas à s’emparer des marques notoires pour créer des marchandises contrefaisantes dans le Métavers(15).

 

  1. Verdict et sanction : une transposition des règles de droit positif

La juridiction américaine condamne l’artiste Mason Rothschild à verser à Hermès la somme de 110 000 dollars pour violation des droits de propriété intellectuelle et la somme de 23 000 dollars pour cybersquatting. Il s’agit d’un précédent pour le marché des NFT et pour les artistes numériques, précédent qui s’appuie toutefois sur le droit existant, le droit que l’on connait. Finalement, les nouvelles thématiques émergentes telles que les NFT, en lien avec la chaîne de blocs (blockchain), ont permis la création d’un monde virtuel ou Métavers aux réalités juridiques pourtant bien réelles. Ainsi, force est de constater que blockchain, NFT et Métavers forment un triptyque et sont des réalités informatiques que le droit est en mesure d’appréhender. En effet, le droit américain s’applique de facto dans cette affaire sans avoir finalement besoin de créer un droit du Web3 ou un droit du Métavers(16).

 

(1) UNITED STATES DISTRICT COURT SOUTHERN DISTRICT OF NEW YORK verdict – Hermès International and Hermès Paris c/ Mason Rothschild,. 08 février 2023

(2) « MetaBirkins NFT creator responds to cease and desist letter from Hermès » https://www.theindustry.fashion/metabirkins-nft-creator-responds-to-cease-and-desist-letter-from-hermes/

(3) « Louis Vuitton s’associe à Yayoi Kusama et lance une collection de NFTs » https://cryptoast.fr/louis-vuitton-associe-yayoi-kusama-lance-collection-nfts/

(4) Rogers v. Grimaldi – 875 F.2d 994 (2d Cir. 1989) https://www.lexisnexis.com/community/casebrief/p/casebrief-rogers-v-grimaldi

(5) Au total, Mason Rothschild a vendu ses NFT pour un montant de 800 000 dollars (9,9 ETH le NFT)

(6) Premier chef d’accusation dans le procès Hermès c/ Mason Rothschild

(7) Charlotte BEAUMATIN « La propriété intellectuelle aux Etats-Unis » Conseillère Régionale INPI, Service Economique de l’Ambassade de France aux Etats-Unis,. 27 septembre 2016

(8) Deuxième chef d’accusation dans le procès Hermès c/ Mason Rothschild

(9) Définition donnée d’après la plateforme Hubspot

(10) Dilution (trademark) Legal Information Institute of Cornell Law School https://www.law.cornell.edu/wex/dilution_(trademark)

(11) Troisième chef d’accusation dans le procès Hermès c/ Mason Rothschild

(12) UNITED STATES DISTRICT COURT SOUTHERN DISTRICT OF NEW YORK verdict – Hermès International and Hermès Paris c/ Mason Rothschild,. 08 février 2023

(13) CJUE 3 sept. 2014, Johan Deckmyn et Vrijheidsfonds VZM c./ Helena Vandersteen et autres, C-201/13

(14) La classification de Nice, instituée par l’Arrangement de Nice (1957), est une classification internationale de produits et de services aux fins de l’enregistrement des marques.

(15) « Gucci Garden Expérience » et contrefaçon de sacs sur Roblox https://www.realite-virtuelle.com/tout-sur-contrefacon-dans-metavers/

(16) Chloé Cargnino, Doctorante en droit de la propriété intellectuelle et Web3, Aix-Marseille Université

 

Hermès c/ Mason Rothschild : un procès au service du droit de la propriété intellectuelle 3.0 ? par Chloé CARGNINO, Doctorante en droit de la propriété intellectuelle et technologies Web3 au sein du L.I.D 2 M.S et titulaire du Master 2 Droit de la propriété intellectuelle et nouvelles technologies (Mention droit des affaires) et du Diplôme de Juriste Conseil en Entreprise (D.J.C.E) d’Aix-Marseille Université
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