Dessins et modèles,Droit des nouvelles technologies,Métavers

“Le métavers et le droit des dessins ou modèles” un article de Boriana Guimberteau, avocate associée au sein du cabinet Stephenson Harwood et Magali Courroye, avocate collaboratrice au sein du même cabinet.

En 2022, plusieurs marques notamment dans le domaine de la mode ont exploré le métavers.

Le métavers, étymologiquement “au-delà de l’univers“, est un environnement virtuel numérique persistant dans lequel les utilisateurs interagissent à travers des avatars, lesquels peuvent se déplacer, rencontrer des amis ou encore acheter des objets.

Dans cet environnement virtuel, les objets numériques sont susceptibles d’être protégés au titre du droit des dessins ou modèles, dès lors qu’ils remplissent les conditions de nouveauté et caractère propre.

Ce droit de propriété intellectuelle garantit la protection de l’apparence du produit, à savoir ses formes, lignes et contours.

Si la question de la protection des marques dans le métavers a été largement débattue, celle des dessins ou modèles a été, à ce stade, moins explorée. Or, l’analyse de la législation actuelle relative aux dessins ou modèles soulève plusieurs questions quant à son application à un environnement virtuel tel que le métavers.

1. La protection de produits virtuels

A première vue, l’article L. 511-1 du code de la propriété intellectuelle donnant la définition d’un dessin ou modèle ne vise pas spécifiquement les produits virtuels. Le code entend par produit « tout objet industriel ou artisanal, notamment les pièces conçues pour être assemblées en un produit complexe, les emballages, les présentations, les symboles graphiques et caractères typographiques, à l’exclusion toutefois des programmes d’ordinateur ». La définition prévue par le Règlement (CE) n° 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires (ci-après le « Règlement ») est identique.

Toutefois, les objets digitaux ne sont pas privés en pratique de protection puisque les offices français et européen acceptent d’enregistrer à titre de dessin ou modèle les interfaces graphiques. A cet égard, la nouvelle édition de la Classification de Locarno, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2023, inclut désormais les « interfaces utilisateur graphiques de réalité augmentée [pour affichage sur écran] » (n° ID 105098) dans la classe 14-04, ce qui reflète les évolutions actuelles de prise en compte des nouveaux environnements numériques.

Malgré cela, une réforme s’avère nécessaire pour clarifier formellement la définition de « produit » et notamment les notions d’« objets physiques ou virtuels » ou de « symboles graphiques et caractères typographiques » de l’article L.511-1.

Les institutions européennes ont été sensibles à ce besoin de légiférer, puisque la proposition de Règlement européen n° 2022/0391 du 28/11/2022 précise en son article 3 qu’un “produit” au sens de la directive est “tout article industriel ou artisanal, autre qu’un programme d’ordinateur, qu’il soit incorporé dans un objet physique ou qu’il se présente sous forme numérique, y compris (…) les interfaces utilisateur graphiques“. La proposition de directive sur la protection juridique des dessins ou modèles du 28/11/2022 n°2022/0392 prévoit également cette définition à son article 2.

2. La représentation de produits virtuels

Une autre difficulté réside dans la reproduction du dessin ou modèle dont la protection est demandée.

En effet, lors du dépôt, il est nécessaire de déposer une ou plusieurs représentations du dessin ou modèle : seuls les éléments reproduits feront l’objet d’une protection. Il est ainsi recommandé de soumettre plusieurs reproductions du dessin ou modèle et d’envisager un objet sous différents angles car les parties non apparentes sur la reproduction ne seront pas protégées.

Selon l’article 4 du Règlement (CE) n° 2245/2002 de la Commission du 21 octobre 2002 portant modalités d’application du Règlement, « la représentation du dessin ou modèle consiste en une reproduction graphique ou photographique du dessin ou modèle en noir et blanc ou en couleur ». Cette représentation ne peut contenir plus de sept vues différentes du dessin ou modèle.

Ces exigences de représentation sont inadaptées aux objets virtuels amenés à être utilisés dans le métavers et qui seront en 3D et souvent en mouvement. Cela entraîne la nécessité d’accepter des représentations sous d’autres formats.

Les propositions de règlement et directive de l’Union européenne, actuellement en cours de discussion, prévoient ainsi une nouvelle définition de dessin ou modèle intégrant la notion d’objet animé (article 2 de la proposition de directive). Cette modification facilitera le dépôt de dessins ou modèles de produits virtuels.

3. L’usage dans le métavers vaut-il divulgation ?

L’accès à la protection est réservé au dessin ou modèle doté de nouveauté et de caractère propre.

Selon l’article L. 511-3 du code de la propriété intellectuelle, un dessin ou modèle est considéré comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué avant la date de la demande d’enregistrement ou à la date de la priorité revendiquée.

L’utilisation d’un objet numérique dans le métavers sera-t-elle considérée comme une divulgation d’un dessin ou modèle enregistré ?

Au regard des textes de loi actuels, la réponse est vraisemblablement positive. L’article L. 511-6 du code de la propriété intellectuelle dispose en effet qu’un dessin ou modèle est réputé divulgué lorsque le public a pu en prendre connaissance par le biais d’ « une publication, un usage ou tout autre moyen ». L’usage de l’expression « tout autre moyen » pourrait en effet couvrir la divulgation du dessin ou modèle à travers l’usage d’un objet numérique dans le métavers.

Néanmoins, l’article L. 511-6 dispose que la divulgation n’est pas démontrée lorsque le dessin ou modèle n’a pu être raisonnablement connu, selon la pratique courante des affaires dans le secteur intéressé, par des professionnels agissant dans l’Union européenne, avant la date du dépôt de la demande d’enregistrement.

A ce stade, le métavers est un environnement virtuel qui est peu démocratisé. Il est possible que les professionnels de certains secteurs n’aient pas raisonnablement connaissance d’usages de produit dans le métavers.

Cette question sera certainement débattue devant les juridictions et tranchée selon les cas d’espèce.

4. L’usage dans le métavers

Le dessin ou modèle communautaire, dès lors qu’il est protégé, confère à son titulaire le droit exclusif de l’utiliser et d’interdire à tout tiers de l’utiliser sans son consentement.

La législation actuelle sur les dessins ou modèles n’empêche pas le titulaire d’un dessin ou modèle d’interdire son utilisation, sans son consentement, dans des environnements virtuels. Ainsi, un éditeur de jeux vidéo peut être responsable pour contrefaçon de dessin ou modèle en cas de reproduction non autorisée d’un dessin ou modèle dans un jeux vidéo, sous réserve que le modèle reproduit dans le jeu vidéo soit suffisamment proche du modèle enregistré (Cass. com. 8 avril 2014, n°13-10.689 : en l’espèce la contrefaçon a été rejetée les juges ayant considéré que s’il existait des ressemblances entre le modèle virtuel et le véhicule de la marque Ferrari, le modèle virtuel du jeu vidéo n’en était pas moins doté d’une « physionomie propre » insusceptible de produire sur l’observateur averti la même impression d’ensemble que le modèle déposé). Cette jurisprudence peut être transposée à un environnement virtuel, tel que le métavers.

Selon l’article 19.1 Règlement (CE) n° 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles de l’Union européenne, le terme « utilisation » désigne « en particulier » les activités de « fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’importation, l’exportation ou l’utilisation d’un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage du produit à ces mêmes fins ». L’emploi de l’expression « en particulier » démontre l’intention du législateur de ne pas limiter les usages particuliers du dessin ou modèle.

Les questions que le métavers soulève en matière de dessins ou modèles sont abondantes.

Néanmoins, le régime de protection actuel semble inadapté à ce monde parallèle virtuel qu’est le métavers. Une adaptation de la règlementation actuelle en matière de dessin ou modèle paraît nécessaire afin de permettre de prendre en considération le métavers comme nouvel espace d’exploitation d’actifs de propriété intellectuelle.

“Le métavers et le droit des dessins ou modèles” un article de Boriana Guimberteau, avocate associée au sein du cabinet Stephenson Harwood et Magali Courroye, avocate collaboratrice au sein du même cabinet.
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