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La divulgation effective d’un modèle de chaussure par la diffusion de photos sur Instagram

La divulgation effective d’un modèle de chaussure par la diffusion de photos sur Instagram

(TUE, 6 mars 2024 Aff. T-647/22, PUMA/EUIPO – Handelsmaatschappij J.Van Hilst)

Par Dune GERIN, avocate au sein du cabinet AGIL’IT

Le Tribunal de l’Union européenne s’est récemment penché sur une demande en annulation formée par la société PUMA à l’encontre d’une décision rendue par l’EUIPO en 2022. Était ici question de l’annulation d’un dessin et modèle communautaire déposé par PUMA, pour défaut de caractère individuel.

  1. Bref rappel des principes juridiques : le dessin et modèle doit être nouveau et présenter un caractère individuel

Pour rappel, le dessin et modèle protège l’apparence d’un produit ou d’une partie de produit. Sa validité suppose la réunion de deux conditions :

  • D’une part, le dessin et modèle doit être nouveau, c’est-à-dire qu’aucun dessin ou modèle identique ne doit avoir été divulgué au public antérieurement à son dépôt (article 5 du Règlement (CE) n° 6/2002).
  • D’autre part, le dessin et modèle doit présenter un caractère individuel, ce qui signifie que l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti doit différer de celle produite par tout dessin ou modèle divulgué antérieurement au public (article 6 du Règlement (CE) n° 6/2002).

Ainsi, la protection d’un dessin et modèle suppose qu’il n’ait pas été divulgué au public antérieurement à son dépôt, et ce, même par le déposant lui-même.

Un « délai de grâce » de douze mois précédent la date de dépôt permet toutefois d’éviter qu’une telle divulgation n’ait des conséquences sur l’appréciation de la validité du dessin et modèle.

  1. Faits et procédure

Le 26 juillet 2016, PUMA enregistre un dessin et modèle communautaire portant sur une paire de baskets.

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Le 22 juillet 2019, une société néerlandaise présente à l’EUIPO une demande en nullité de ce dessin ou modèle, estimant qu’il est dépourvu de caractère individuel. Selon elle, le dessin et modèle aurait été divulgué par PUMA elle-même antérieurement au délai de grâce de 12 mois.

A l’appui de sa demande étaient notamment fournis des articles et publications Instagram datant de 2014 faisant état de la nomination de l’artiste Rihanna en tant que nouvelle directrice artistique de PUMA et portant une paire de chaussures correspondant au modèle litigieux.

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La division d’annulation de l’EUIPO a fait droit à cette demande en nullité, considérant qu’au regard de l’impression d’ensemble produite par le modèle déposé et celle des preuves rapportées par la société néerlandaise, le modèle était dépourvu de caractère individuel.

Le recours formé par PUMA à l’encontre de cette décision est rejeté : selon la chambre de recours, les images déposées par la demanderesse permettaient d’identifier de manière claire et dépourvue d’ambiguïté le modèle antérieur aux fins de la comparaison avec le dessin ou modèle contesté dans le cadre de l’appréciation du caractère individuel de ce dernier.

  1. La décision du Tribunal : le modèle a effectivement été divulgué antérieurement à son dépôt

En l’espèce, PUMA considère que les preuves rapportées par la société néerlandaise sont insuffisantes pour démontrer une divulgation effective du modèle, car elles ne permettraient pas de reconnaître avec précision les caractéristiques du modèle antérieur.

Elle conteste à ce titre la qualité des photographies fournies aux débats et soutient qu’elles ne seraient pas centrées sur les chaussures mais plutôt sur Rihanna. Elle considère également que les images ne présenteraient pas suffisamment de détails de sorte que les caractéristiques du modèle antérieur ne pourraient pas être visibles autrement que d’un point de vue rétroactif, c’est-à-dire en se plaçant dans la perspective d’aujourd’hui. Enfin, elle insiste sur le fait qu’en 2014, il n’était pas possible de zoomer sur les images d’Instagram, de sorte que les caractéristiques du modèle antérieur ne pouvaient être appréhendées avec précision.

Le Tribunal rappelle que  «  selon l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, aux fins de l’application des articles 5 et 6 dudit règlement, un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué au public s’il a été publié à la suite de l’enregistrement ou autrement, ou exposé, ou utilisé dans le commerce, ou rendu public de toute autre manière, avant la date du dépôt de la demande d’enregistrement, sauf si ces faits, dans la pratique normale des affaires, ne pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union ».

Il poursuit en précisant qu’aux fins d’établir cette divulgation, il convient d’examiner si les éléments présentés dans la demande en nullité démontrent :

  • D’une part, des faits constitutifs d’une divulgation du modèle et, le cas échéant, le caractère antérieur de cette divulgation par rapport à la date de dépôt ou de priorité du dessin ou modèle contesté ;
  • D’autre part, si lesdits faits pouvaient, dans la pratique normale des affaires, raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union.

Le Tribunal de l’Union approuve la conclusion de la chambre de recours de l’EUIPO.

  1. S’agissant des faits constitutifs de la divulgation : le Tribunal approuve la fiabilité des preuves fournies au regard de leur provenance, à savoir le compte Instagram de Rihanna elle-même. Il considère que la qualité des images est suffisante pour pouvoir reconnaître la totalité des caractéristiques du modèle antérieur, et précise qu’est pris en compte l’apparence des photographies telles qu’elles figurent dans le dossier déposé au Tribunal, et non telles qu’elles existent dans la décision attaquée ou dans les écritures des parties.

Le Tribunal considère également que les photographies se focalisent sur les jambes et les chaussures de Rihanna, et que «  les vues avant et latérales des chaussures apparaissant sur les images en question permettent d’identifier une chaussure de sport qui a un certain nombre de lignes et de trous le long de l’empeigne, une fermeture avec sept œillets et des lacets épais et une semelle plate et épaisse, striée verticalement, ainsi que toutes les autres caractéristiques du dessin ou modèle antérieur ».

Enfin, il écarte l’argument de PUMA selon lequel personne n’aurait porté attention aux chaussures de Rihanna en décembre 2014. Elle était à l’époque une star de la pop mondialement connue : ses fans, ainsi que les milieux spécialisés dans le domaine de la mode ayant, à cette date, « développé un intérêt particulier pour les chaussures qu’elle portait le jour de la signature du contrat en vertu duquel la star était devenue la directrice artistique de la requérante ».

  1. S’agissant de la connaissance des faits de divulgation par les milieux spécialisés : le Tribunal considère que PUMA n’a pas prouvé à suffisance de droit que les circonstances de l’espèce auraient empêché les milieux spécialisés du secteur concerné de prendre raisonnablement connaissance de la publication du dessin ou modèle antérieur.

En conclusion, il ressort de cette décision que PUMA s’est auto-divulguée par le biais des agissements de sa propre directrice artistique. Un bon rappel de la vigilance nécessaire concernant la protection des caractéristiques d’un dessin et modèle avant son dépôt, et ce, même dans le cadre de la conclusion d’un contrat de partenariat !

Pour terminer, cette décision tranche un point procédural intéressant : PUMA considérait qu’en engageant la procédure en nullité, la société néerlandaise aurait méconnu un accord amiable conclu entre les parties dans le cadre d’une procédure judiciaire annexe en contrefaçon.

Or, le Tribunal, estime que si « la mauvaise foi, la violation d’une obligation contractuelle ou le caractère abusif peuvent être invoqués dans le cadre d’une procédure civile ad hoc entre les parties concernées, ces éléments ne sauraient être utilement invoqués comme moyen de défense dans une procédure en nullité, telle que celle en cause, étant donné que, dans une telle procédure il s’agit de se prononcer sur le caractère individuel du dessin ou modèle contesté, dont l’appréciation est objective ».

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Dune GERIN, avocate au sein du cabinet AGIL’IT

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