Droit des marques,Propriété industrielle,Propriété intellectuelle

“Politique et droit des marques” par Yann BASIRE

Après la vidéo controversée du candidat Éric Zemmour, la propriété intellectuelle s’invite, une fois de plus, de manière inattendue, dans la campagne présidentielle. La raison : une petite phrase de Valérie Pécresse.

Le 6 janvier dernier, dans le cadre d’un entretien accordé à La Provence, la candidate du parti Les Républicains a affirmé vouloir « ressortir le Kärcher de la cave » afin de nettoyer les quartiers. Ces propos furent réitérés sur le plateau de l’émission On est en Direct sur France 2, le 8 janvier, puis lors d’une interview aux Matins Présidentiels de France Info le 10 janvier. La formule, qui fait écho à celle utilisée en 2006 par Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l’intérieur, n’a pas manqué de faire réagir le titulaire de la marque Kärcher.

Ainsi, dans un communiqué de presse en date du 11 janvier, le groupe Kärcher « demande aux personnalités politiques et aux médias de cesser immédiatement tout usage de sa marque dans la sphère politique, qui porte atteinte à sa marque et aux valeurs de l’entreprise ».

Le communiqué est l’occasion de rappeler que le signe Kärcher est déposé à titre de marque et que le groupe Kärcher se bat depuis de nombreuses années pour « que sa marque ne soit pas exploitée sur la scène politique française ». Il ajoute, enfin, que la marque en question « ne peut et ne doit être utilisée que pour désigner les produits des sociétés Kärcher », le groupe Kärcher déplorant, par conséquent, « la méconnaissance par certaines personnalités politiques du respect de ses droits ». Bien qu’une telle situation ne soit pas nouvelle (voir à propos de l’usage de la marque Caddie), le communiqué de presse a, quelque peu, suscité la surprise sur les réseaux sociaux. La réaction du groupe Kärcher s’avère toutefois, au regard du droit des marques, parfaitement légitime et doit être encouragée.

En effet, faut-il rappeler que l’article L. 714-6 du Code de la propriété intellectuelle dispose : « Encourt la déchéance de ses droits le titulaire d’une marque devenue de son fait : a) La désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service ». Cette cause de déchéance vient sanctionner le signe qui souffre d’un excès de notoriété au point de devenir générique et de ne plus être perçu comme une marque par l’utilisateur final, mais comme le nom commun désignant un produit ou un service. Les exemples de marques devenues génériques sont nombreux : « Bikini », « Fermeture éclair », « Photomaton », « Esquimau », « Piña Colada » …

A cet élément objectif s’ajoute un élément subjectif, la dégénérescence de la marque devant résulter de l’inactivité de son titulaire face à l’usage généralisé de son signe. En d’autres termes, le titulaire de la marque doit être sanctionné dès lors qu’il ne s’est pas montré suffisamment vigilant quant à la préservation du caractère distinctif de sa marque. La lutte menée par le titulaire contre la dégénérescence de sa marque s’inscrit, en premier lieu, dans le cadre d’une démarche extra-judiciaire, sous la forme de mises au point, puis de mises en demeure adressées à ceux qui utilisent la marque dans un sens courant, les invitant à ne pas réitérer cet usage ou à préciser que le signe en question est une marque. Si, en dépit de ces mises au point ou mises en demeure, l’usage se répète, il sera nécessaire, en second lieu – et rapidement –, d’agir sur le terrain judiciaire.

En utilisant le signe Kärcher en lieu et place du terme « nettoyeur à haute pression », la candidate Valérie Pécresse a manifestement utilisé ce terme dans un sens générique. Dès lors, le Groupe Kärcher était parfaitement fondé à rappeler que le signe Kärcher ne pouvait être utilisé qu’aux fins d’identifier les produits pour lequel il avait été enregistré.

Une question demeure : quid de la responsabilité de la personne faisant usage d’une marque dans un sens générique, si celui-ci devait se répéter ?

Il va de soi que ce type d’usage ne constitue pas une contrefaçon, permettant d’engager la responsabilité de son auteur au titre du droit des marques. La mise en œuvre du droit de marque implique, en effet, que l’usage litigieux soit fait sans le consentement du titulaire, dans la vie des affaires, c’est-à-dire dans le contexte d’une activité commerciale visant un avantage économique (CJCE, 12 nov. 2002, aff. C-206/01, Arsenal football club), à titre de marque, aux fins d’identifier des produits et des services (CJCE, 11 sept. 2007, aff. C-17/06, Céline), et être susceptible de porter atteinte à l’une des fonctions de la marque. Deux conditions font défaut ici, l’usage n’étant ni opéré dans la vie des affaires, ni à titre de marque. Comment pourrait-il en être autrement alors que le signe est justement utilisé comme nom commun ?

C’est donc au titre de l’article 1240 du Code civil, sur le terrain de la responsabilité civile délictuelle, que le titulaire de la marque utilisée dans un sens générique doit agir. Le caractère fautif de l’usage peut, à cette occasion, être constaté du fait de son caractère réitéré, de son absence de but légitime et, bien entendu, des risques qu’il fait encourir au titulaire de la marque (V. CA Paris, 21 octobre 2014, n° 13/08736). Une précision s’impose néanmoins. Dans un arrêt du 1er mars 2017, rendu dans une affaire Meccano, la Cour de cassation avait affirmé que l’usage d’une marque fait à titre de métaphore ne doit pas être considéré comme fautif en ce qu’il ne contribue pas à la dégénérescence de la marque (Cass. com, 1er mars 2017, n° 15-13.071). En d’autres termes, l’usage d’une marque fait, non pas à titre générique, mais à titre de métaphore est autorisé, sauf si celui-ci risque de faire dégénérer le signe.

Il serait, par conséquent, tentant d’appliquer la solution à l’usage fait du signe Kärcher par la candidate du parti Les Républicains, le signe étant, finalement, utilisé dans le cadre d’une métaphore. Si ce constat peut difficilement être remis en cause, il n’en demeure pas moins que dans la situation qui nous intéresse, c’est la formule dans sa globalité qui s’apparente à une métaphore et non le signe envisagé de manière isolée, celui-ci étant utilisé comme synonyme de « nettoyeur à haute pression ». En outre, l’arrêt rendu par la Cour de cassation n’échappe pas à la critique, le spectre de la dégénérescence planant toujours au-dessus de la marque utilisée à titre de métaphore. En effet, n’est-ce pas parce qu’on lui associe une signification qui va au-delà de sa fonction distinctive, et donc qu’on l’envisage comme un terme générique, que la marque est ensuite utilisée comme métaphore ? En outre, la Cour de cassation a ajouté une dose de complexité à une matière qui n’en demandait pas tant, le titulaire de la marque devant, désormais, être en mesure de distinguer l’usage fait de sa marque à des fins génériques de celui opéré à titre de métaphore.

Pour conclure – et au risque de se répéter –, le groupe Kärcher se devait de réagir de la sorte en rappelant le respect qu’impose un droit de marque sur un signe.

“Politique et droit des marques” par Yann BASIRE, maître de conférences et directeur général du CEIPI à l’Université de Strasbourg
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