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Demandes divisionnaires : une interprétation convergente des textes européens et français

Par Jordan Abaléa, mandataire européen, et Paul Puche, stagiaire, du cabinet Hoyng Rokh Monegier, et la Commission « Jeunes » de l’AIPPI.

Dans une décision en date du 30 août 2023, la Cour de cassation (Pourvoi n° Q 20-15.480) interprète les dispositions nationales en matière de dépôt de demandes divisionnaires selon le prisme de la Convention sur le Brevet Européen (CBE), permettant leurs dépôts sur la base d’autres demandes divisionnaires, alors que la demande de brevet d’origine n’est plus en instance.

Historique

Le 21 mars 2008, la société Kubota corporation a déposé une demande de brevet français FR1. Cette demande porte sur une tondeuse à gazon comportant un collecteur d’herbe pivotant au moyen d’un vérin. Le brevet FR1 est délivré le 29 mai 2015.

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Une première demande divisionnaire FR2 est déposée le 22 avril 2015, avant la délivrance du brevet FR1, et le brevet FR2 est délivré le 20 avril 2018. Avant la délivrance du brevet FR2, une deuxième demande divisionnaire FR3 est déposée, le 1er mars 2018, sur la base de la demande FR2. Cependant, le 27 août 2018, le directeur général de l’INPI a déclaré irrecevable cette demande divisionnaire FR3.

Textes nationaux applicables

Selon l’article L. 612-4 du code de la propriété intellectuelle (CPI) : « La demande de brevet ne peut concerner qu’une invention ou une pluralité d’inventions liées entre elles de telle sorte qu’elles ne forment qu’un seul concept inventif général. Toute demande qui ne satisfait pas aux dispositions de l’alinéa précédent doit être divisée dans le délai prescrit ; les demandes divisionnaires bénéficient de la date de dépôt et, le cas échéant, de la date de priorité de la demande initiale ».

Selon l’article R. 612-34 CPI : « Jusqu’au paiement de la redevance de délivrance et d’impression du fascicule du brevet, le déposant peut, de sa propre initiative, procéder au dépôt de demandes divisionnaires de sa demande de brevet initiale ».

Comment les termes « brevet » et « demande de brevet initiale » doivent-ils être interprétés? Rapportent-ils uniquement à la demande qui n’est pas une demande divisionnaire, ou bien à « Toute demande » tel que le dispose l’article L. 612-4 CPI ?

Procédure

La société Kubota corporation a interjeté appel de la décision du directeur général de l’INPI et a exposé ses arguments dans des conclusions déposées le 6 septembre 2019.

Elle y fait valoir que la seconde demande divisionnaire a été déposée dans le délai imparti par les textes puisque son dépôt est antérieur au paiement de la redevance de délivrance et d’impression du fascicule de la première demande divisionnaire de brevet dont elle est issue, intervenu le 7 mars 2018.

Elle s’oppose à l’interprétation par l’INPI du terme “brevet” issu de l’article R. 612-34 CPI précité, qui fixe le délai dans lequel une demande divisionnaire peut être déposée, à savoir “jusqu’au paiement de la redevance de délivrance et d’impression du fascicule de brevet”. Elle considère que ce terme peut s’entendre de la première demande divisionnaire, mère de la seconde demande divisionnaire, alors que l’INPI soutient que ce terme désigne le brevet initial, avant toute division.

La cour d’appel rappelle que le terme de “brevet”, dans l’article R. 612-34 CPI renvoie à l’expression “demande de brevet initiale” contenue dans la même phrase et désigne la première demande de brevet avant toute division et fixe ainsi une date de dépôt applicable à toutes les demandes divisionnaires postérieures, sans laisser place à aucune autre interprétation de ce texte, nonobstant une pratique antérieure de l’INPI abandonnée au demeurant depuis 2011.

La cour d’appel indique également que la société Kubota corporation ne peut se prévaloir de pratiques divergentes d’autres offices, l’objectif d’harmonisation visant le principe d’une faculté de division de la demande de brevet, et non les modalités de cette division.

Textes européens applicables

La règle 36(1) CBE dispose que « Le demandeur peut déposer une demande divisionnaire relative à toute demande de brevet européen antérieure encore en instance ».

Ainsi, les textes européens ne limitent la période de dépôt de demandes divisionnaires qu’à la condition d’une demande encore en instance, que celle-ci soit une demande divisionnaire ou non.

Cela n’a pas toujours été le cas.


Entre le 1er avril 2010 et le 1er avril 2014, la règle 36 de la CBE comprenait une autre disposition. En effet, la possibilité d’effectuer une division volontaire du brevet était laissée au déposant pendant une durée de 24 mois à partir de la première notification émise par la division d’examen. La règle 36 du règlement d’exécution de la CBE (CA/D 16/10), modifiée par la décision du Conseil d’administration du 26 octobre 2010 disposait alors :

« (1) Le demandeur peut déposer une demande divisionnaire relative à toute demande de brevet européen antérieure encore en instance, à condition que :

a) la demande divisionnaire soit déposée avant l’expiration d’un délai de vingt-quatre mois à compter de la première notification émise par la division d’examen conformément à l’article 94, paragraphe 3 et à la règle 71, paragraphes 1 et 2, ou conformément à la règle 71, paragraphe 3, relative à la demande la plus ancienne pour laquelle une notification a été émise, ou que

b) la demande divisionnaire soit déposée avant l’expiration d’un délai de vingt-quatre mois à compter de toute notification dans laquelle la division d’examen a objecté que la demande antérieure ne satisfait pas aux exigences de l’article 82, pour autant qu’elle ait soulevé cette objection particulière pour la première fois. ».

Il est précisé que la signification de l’avis au stade de la recherche ne fait pas courir le délai.


Par une décision du Conseil d’administration du 16 octobre 2013, modifiant les règles 36, 38 et 135 du règlement d’exécution de la Convention sur le brevet européen (CA/D 15/13), le premier paragraphe de la règle 36 fut modifié pour, aujourd’hui, disposer :

« (1) Le demandeur peut déposer une demande divisionnaire relative à toute demande de brevet européen antérieure encore en instance. ».

Ainsi, est-il possible de déposer une demande divisionnaire tant que la demande antérieure est en instance, c’est-à-dire jusqu’à la veille de la date de publication de la mention de délivrance au bulletin européen des brevets, la date de réception par l’OEB de la déclaration de retrait ou la date d’expiration du délai non observé lorsque la demande est réputée retirée.

Par ces dispositions finalement retirées, que recherchait le Conseil d’administration concernant le dépôt de demandes divisionnaires ? Si la sécurité juridique des tiers est une raison qui peut être mise en avant, doit-on attendre des déposants une anticipation de la portée des revendications à obtenir vis-à-vis d’objets qui ne seront sur le marché qu’après délivrance de leur(s) brevet(s)? Quelles sont les conséquences du « Disclosed but not claimed is disclaimed » en Europe ? Ce système sans ces limitations de temps permet-il un abus ou plutôt une utilisation stratégique de ses droits ?

Pourvoi en cassation

La société Kubota Corporation a formé le pourvoi n° Q 20-15.480 contre l’arrêt rendu et avance qu’il est possible de déposer une demande divisionnaire sur la base de la demande de brevet d’origine, mais également sur la base d’autres demandes divisionnaires.

La Cour de cassation reprend d’abord les dispositions applicables puis indique :

« Il résulte de la pratique relative à l’examen des demandes divisionnaires de l’Office européen des brevets, telle qu’elle figure dans les directives relatives à l’examen pratiqué par cet office, dans leur version entrée en vigueur le 1er novembre 2018 (Partie A, Chapitre IV, 1.1.1), que, pour l’application des articles 76 de la Convention de Munich sur la délivrance des brevets européens du 5 octobre 1973 et 36 du règlement d’exécution de cette convention, l’expression « demande antérieure » fait référence à la demande la plus proche sur laquelle la demande divisionnaire est fondée, cette expression s’étant substituée à celle de « demande initiale » figurant dans l’article 76 précité, avant sa révision par un acte du 29 novembre 2000.

Ainsi que l’arrêt le relève, jusqu’en 2011, l’INPI acceptait le dépôt d’une nouvelle demande divisionnaire jusqu’à la date de paiement de la redevance de délivrance et d’impression du fascicule du brevet issu d’une première demande divisionnaire.

L’intérêt tant d’une interprétation convergente de textes européens et nationaux, poursuivant la même finalité de protection des innovations, que du maintien, pour la sécurité des inventeurs, d’une pratique de l’INPI, fondée sur des textes qui n’ont pas été modifiés par le législateur, commande de retenir, dès lors que le déposant peut procéder au dépôt de demandes divisionnaires de sa demande de brevet d’origine, ainsi qu’au dépôt d’une ou plusieurs demandes divisionnaires sur la base d’une demande elle-même divisionnaire, que la date limite pour déposer une seconde demande divisionnaire à partir d’une première demande divisionnaire corresponde à la date de paiement de la redevance de délivrance et d’impression du fascicule du brevet issu de cette première demande divisionnaire. »

Ainsi, la Cour de cassation, dans un souhait d’harmonisation, semble avoir interprété les textes français au regard de textes européens et confirme la possibilité de déposer des demandes divisionnaires issues d’autres demandes divisionnaires, bien que le paiement de la redevance de délivrance et d’impression du fascicule du brevet qui ne découle d’aucune demande divisionnaire soit déjà effectué.


Demandes divisionnaires : une interprétation convergente des textes européens et français

Par Jordan Abaléa, mandataire européen, et Paul Puche, stagiaire, du cabinet Hoyng Rokh Monegier, et la Commission « Jeunes » de l’AIPPI.

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