Dessins et modèles,Propriété intellectuelle

La présomption de titularité du fait du dépôt d’un dessin et modèle : simple et utile rappel de la Cour de cassation

Par Me Marion AÏTELLI, avocat associée du cabinet AL AVOCATS

À l’occasion d’une décision rendue le 31 janvier 2024 (Cass. Com., 31 janvier 2024, n° 22-20.409), la chambre commerciale de la Cour de cassation a rappelé que le dépôt d’un dessin et modèle créait une présomption de titularité des droits au profit du déposant et que cette présomption ne peut être renversée que par le créateur du modèle objet du dépôt.

Exposé du litige

Dans l’affaire soumise à la haute juridiction, la société Coline Diffusion qui a pour activité la vente d’articles de textile auprès de grossistes et de détaillants, a saisi le Tribunal judiciaire de Bordeaux d’une action en contrefaçon de dessin et modèle après avoir constaté que la société AVM Import commercialisait des modèles de vêtements reproduisant l’un de ses imprimés.

Cet imprimé a été créé par une société tierce qui a cédé ses droits sur le motif à la société Coline Diffusion. Celle-ci a ensuite procédé à son dépôt à titre de dessin et modèle français, le 26 septembre 2013.

Sa qualité à agir étant contestée par la société AVM Import, la société Coline Diffusion a justifié de sa qualité de cessionnaire des droits en communiquant en première instance une attestation de la société cédante et, en appel, une facture émise par ladite société portant sur le motif en cause, datant du 23 septembre 2013 et donc antérieure au dépôt du modèle.

Par un jugement du 4 juillet 2019, le Tribunal judiciaire de Bordeaux a rejeté la fin de non-recevoir de la société AVM Import, mais a fait droit à sa demande de nullité du modèle.

La société Coline Diffusion a interjeté appel de ce jugement.

La société AVM Import, reprenant ses arguments de première instance, a sollicité de la Cour qu’elle constate que la société Coline Diffusion n’a pas qualité pour agir et qu’elle doit être déclarée irrecevable en ses demandes.

Elle prétendait que seule la société créatrice du modèle, cédante des droits sur celui-ci, disposait du droit d’agir en contrefaçon.

Elle ajoutait que la cession consentie au profit de la société Coline Diffusion était douteuse compte tenu de la production tardive de l’attestation de la cédante et qu’en tout état de cause cette cession n’était pas opposable aux tiers, faute d’avoir été publiée au Registre National des Dessins et Modèles (RNDM).

La Cour d’appel de Bordeaux infirme le jugement sur ce point en retenant que la cession du modèle au profit de la société Coline Diffusion n’a pas été publiée au RNDM « de sorte que, contrairement à ce qu’a décidé le premier juge, le simple enregistrement du dessin ou modèle par le cessionnaire ne suffit pas à lui conférer le droit d’agir en contrefaçon » (CA Bordeaux, ch. civ. 1re ch., 21 juin 2022, n° 19/04519).

Décision de la Cour de cassation

Sans surprise, la haute juridiction censure l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux au visa de l’article L. 511-9 du Code de la propriété intellectuelle.

Il résulte de ce texte que la protection du dessin ou modèle conférée par les dispositions du Livre V du Code de la propriété intellectuelle s’acquiert par l’enregistrement, que cette protection est accordée au créateur ou à son ayant cause et que l’auteur de la demande d’enregistrement est, sauf preuve contraire, regardé comme le bénéficiaire de cette protection.

La Cour rappelle qu’en application de ces dispositions le dépôt fait naître au bénéfice de son auteur une présomption simple de titularité des droits.

La société Coline Diffusion en sa qualité de déposant est bénéficiaire de ladite protection. Il peut donc jouir de l’ensemble des prérogatives attachées à celle-ci et, notamment, la qualité pour agir en contrefaçon du dessin enregistré.

Par conséquent, l’action en contrefaçon du titulaire du titre, auteur du dépôt, ne saurait être subordonnée à l’inscription de sa qualité de cessionnaire des droits.

Une telle formalité est d’autant plus exclue en l’espèce que la cession est intervenue antérieurement au dépôt du dessin et modèle.

Retenir le contraire reviendrait à considérer que seul le créateur peut valablement procéder au dépôt et exercer l’ensemble des prérogatives attachées à celui-ci.

On relèvera que dans le cadre de sa motivation la Cour de cassation vise une décision antérieure, rendue par la Chambre commerciale le 7 avril 1998 (Cass.com 7 avril 1998, n° 96-15.048, Bull. 1998, IV, n° 132), c’est-à-dire sous l’empire de la loi de 1909.

Force est en effet de constater que la Cour confirme ici une position classique.

Ainsi, par une décision du 15 mars 1994, également rendue sous l’empire de la loi de 1909, la Cour d’appel de Paris avait été censurée pour avoir déclaré irrecevable l’action en contrefaçon du titulaire d’un dessin et modèle faute pour celui-ci de justifier de sa qualité de créateur.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation avait alors relevé que « Attendu qu’en statuant ainsi, en exigeant de la société Sylman qu’elle fasse la preuve de la création du modèle déposé par ses soins, alors que du fait du dépôt effectué par elle, la société Sylman bénéficiait de la présomption établie par l’article 3 de la loi du 14 juillet 1909, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Cass. com., 15 mars 1994, n° 92-12.463).

La même chambre a adopté une décision similaire le 23 septembre 2008, cette fois au visa de l’article L. 511-9 dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n°2001-670 du 25 juillet 2001.

Dans cette affaire, la Cour d’appel d’Agen avait déclaré la société titulaire du dépôt irrecevable en son action en contrefaçon en considérant notamment qu’ « il appartenait aux créateurs d’effectuer ce dépôt et de procéder par la suite à une publication de l’acte de cession auprès de l’INPI, ce qui aurait permis que l’acte de cession soit opposable aux tiers comme le prévoit l’article L. 513-3 du CPI ; Ces formalités n’ayant pas été accomplies, la société OLIVIER THEVENON SELECTION ne peut valablement se prévaloir de la présomption de titularité accordée à l’auteur de la demande d’enregistrement et la présomption de titularité qu’elle oppose, au prétexte qu’aucune personne ne serait venue revendiquer la qualité d’auteur ne peut être utilement invoquée. En effet cette présomption suppose que l’auteur ne soit pas identifié, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, puisque la facture des droits de reproduction, versée aux débats, comporte l’identité des créateurs » (CA Agen, ch. com. 1re ch., 7 mai 2007, n° 05/00732).

La Cour de cassation avait alors censuré l’arrêt en relevant que la Cour d’appel avait statué « par des motifs impropres, en l’absence de toute revendication de la part des auteurs, fussent-ils identifiés, à renverser la présomption qui bénéficiait à la société Olivier Thévenon, titulaire de la demande d’enregistrement » (Cass. Com., 23 septembre 2008, 07-17.210).

Ainsi, à l’occasion de cette décision comme de celle du 31 janvier 2024, la Cour de cassation rappelle qu’il importe peu que l’auteur du dessin objet du dépôt soit un tiers connu, seule la revendication par celui-ci de la qualité de titulaire du dépôt pouvant être de nature à renverser la présomption instaurée par l’article L. 511-9 précitée.

Du fait du dépôt le déposant dispose d’un titre ayant une date certaine, constitutif de droit, qui ne peut être remis en cause par tout un chacun ce qui est gage d’une sécurité juridique certaine.

Le créateur quant à lui conserve la possibilité de contester un dépôt qui aurait été réalisé en fraude de ses droits ou sans son autorisation préalable, en sollicitant son annulation (CPI, art. L. 512-4) ou en revendiquant sa titularité (CPI, art. L. 511-10).

Cette solution est donc à la fois protectrice des intérêts du déposant, mais également de ceux du créateur ou de son ayant cause.

La présomption de titularité du fait du dépôt d’un dessin et modèle : simple et utile rappel de la Cour de cassation

Par Me Marion AÏTELLI, avocat associée du cabinet AL AVOCATS

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