Droit des nouvelles technologies,Propriété industrielle,Propriété intellectuelle

La preuve par l’utilisation d’un service de réseau privé virtuel ou « VPN »

par Flavio VIZZACCHERO étudiant en Master 2 Droit de la création et du Numérique à l’Université Paris-Saclay et gagnant du concours BLIP !

Dans une affaire opposant la Fédération Française de Tennis (« FFT ») et les sociétés Viagogo et Viagogo Entertainment Inc. (« Viagogo ») (TJ de Paris, 13 décembre 2022, n°18/05683[1]), le Tribunal Judiciaire de Paris était amené à statuer, sur le fond, sur l’atteinte au monopole détenu par la FFT sur l’exploitation du Tournoi de Roland Garros, constituée par la revente illicite de billets y donnant accès et sur la contrefaçon de ses marques ROLAND GARROS. 

Ce jugement est le dernier en date concernant un litige opposant un site de revente de billets en ligne et un détenteur de monopole d’exploitation de manifestations sportives de France et de Navarre (fédérations sportives et clubs de football notamment[2]). 

Le Tribunal va ici confirmer sa tendance jurisprudentielle sur de nombreux points dont notamment, la question cruciale de la qualité d’hébergeur du site internet. Si cette notion ne fait pas l’objet de notre étude aujourd’hui, il est intéressant de souligner qu’en écartant la qualité d’hébergeur à Viagogo pour celle d’éditeur, le Tribunal s’inscrit dans la droite ligne des décisions récentes TICKETBIS, AIRBNB ou TEEZILY[3] et du règlement (UE) 2022/2065 du 19 octobre 2022 sur les services numériques dit “DSA” (pour Digital Services Act). 

Ensuite, le Tribunal affirme que la billetterie relève du monopole d’exploitation de l’organisateur de compétition sportive. En effet, les organisateurs disposent d’un droit de propriété consacré à l’article L. 333-1 du Code du sport et dont la billetterie est un corollaire étant donné que la vente des billets donnant accès aux compétitions qu’ils organisent est l’une des plus importantes sources de recettes[4]. Selon le juge, ce monopole comprend aussi bien les billets vendus directement par l’organisateur que ceux issus du marché de seconde main, ce que les sociétés Viagogo contestaient. 

Les défenderesses soutenaient également que la mise en place sur la plateforme de revente de billets d’un logiciel de géo-blocage empêchant toute acquisition de billets pour le Tournoi de Roland-Garros depuis la France excluait de facto une atteinte au monopole, quelle que soit son étendue, puisque le dommage ne pouvait être situé sur le territoire français auquel le monopole était censé se limiter selon elles. 

Un argument que le Tribunal balaye d’un coup de revers en énonçant que “La mise en œuvre d’un logiciel de géo-blocage, visant exclusivement les internautes français est à cet égard indifférente, ce d’autant plus que les constatations d’huissier démontrent qu’il est relativement aisé pour un internaute français de contourner cette mesure de blocage” (Point 20). Avant d’ajouter que le dommage est entièrement subi en France car les billets litigieux donnent accès à une compétition se déroulant sur le territoire français[5]

Ainsi, outre la reconnaissance du lieu du dommage subi par les organisateurs décision rendue dans la continuité de sa jurisprudence, ce jugement mérite notre attention en ce qu’il affirme la force probante de l’utilisation d’outils de contournement de mesures techniques, en l’espèce d’un VPN (ou Réseau Privé Virtuel) sous certaines conditions ( I ), ce qui donne matière à réflexion quant aux garanties demandées par le juge ( II ).

  • La preuve par A + VPN  

D’après ce jugement rendu en décembre dernier, la mise en œuvre d’un logiciel de géo-blocage ayant comme objectif d’empêcher une adresse IP située dans la zone bloquée d’accéder à certaines fonctionnalités d’un site est jugée indifférente et le site Internet peut être considéré comme ciblant le public français, notamment s’il est possible de contourner ce géoblocage via un VPN. 

Le Tribunal confirme ainsi qu’il est possible de recourir à un tel outil pour établir la preuve de faits litigieux sur Internet. 

Des décisions antérieures permettaient de subodorer le cap que souhaitait prendre le juge français quant à l’appréhension d’outils techniques comme ici le VPN en matière probatoire. 

Dans un arrêt de la Cour d’appel de Paris rendu en 2020 (CA Paris, pôle 5, ch. 1, 27 octobre 2020 n° 19/20188.), contre une ordonnance de référé, statuant uniquement sur la procédure, le juge ouvre la porte de l’utilisation du VPN : “Il ressort en outre des procès-verbaux de constat dressés (…) que le site (…) auquel l’huissier de justice s’est connecté après installation d’un VPN ‘réseau privé virtuel’, offre à la vente des billets portant sur l’événement (…) dont il n’est pas contesté qu’il s’agit du tournoi (…). Il est ainsi démontré qu’il existe un lien étroit entre les juridictions françaises et le lieu des dommages“. Par cet arrêt, le juge semblait tracer le chemin menant à l’accueil de l’utilisation de la technologie du VPN à titre probatoire.

Mais c’était sans compter sur un arrêt infirmatif rendu par la Cour d’appel de Lyon (CA Lyon, 23 mars 2021, n° 20/02016)  limitant l’utilisation d’un tel outil ou du moins, en demandant des garanties. Dans cette affaire opposant l’Olympique Lyonnais et le site Viagogo, le club de football peinait à démontrer le trouble manifestement illicite nécessaire en procédure de référé. Le club avait fourni des captures d’écran et un constat d’huissier faisant état de l’utilisation d’un VPN. Les captures d’écran réalisées sans l’intervention d’un commissaire de justice (anciennement huissier) seront rejetées[6] et il en sera de même pour l’utilisation du VPN ! 

Cependant, en se penchant sur les motifs du rejet des constatations du commissaire, on remarque que ce dernier n’avait pas été diligent sur de nombreux points, altérant de ce fait la force probante de l’acte réalisé. L’officier ministériel n’avait pas été assez complet dans la description des opérations techniques effectuées pour contourner le géo-blocage et s’était connecté à partir de l’ordinateur de la partie requérante pour réaliser ses constatations (voilà une drôle interprétation de l’obligation d’impartialité du commissaire de justice), ce qui portait atteinte au principe de la loyauté de la preuve.

A la lumière de ces décisions, le jugement rendu le 13 décembre 2022 permet d’asseoir une position : l’utilisation d’un VPN peut être accueillie au soutien des débats si toutefois elle offre assez de garanties au juge.  Autrement dit, cela implique de recourir nécessairement aux services d’un commissaire de justice ce qui prive son usage de ses principaux atouts : la simplicité et le caractère peu onéreux.[7]

On s’interrogera sur l’opportunité pour le juge de demander autant de garanties au regard de de la démocratisation de certains outils techniques comme les VPN alors qu’il est établi qu’en matière de contrefaçon par exemple, la preuve est libre. 

  • Sur la force probante de l’utilisation d’un VPN 

L’usage de VPN a augmenté de façon exponentielle ces dernières années et surtout dans les pays connaissant une forte censure car il permet entre autres de masquer son adresse IP et de choisir sa géolocalisation. Cette massification est parfaitement illustrée par le site internet « AtlasVPN »[8] qui en recensant les données de téléchargement de VPN du Google Play Store et de l’Apple App Store, classe les pays selon le pourcentage d’utilisateurs de VPN dans leur population de 2020 à 2022.

Par exemple, en 2022, les Emirats Arabes Unis étaient les premiers consommateurs de VPN proportionnellement à leur population puisque 43% des émiriens avaient adopté cet outil. Si l’on poursuit dans le haut du classement nous retrouvons le Qatar, Singapour, l’Arabie Saoudite… Les Français se classent quant à eux, à la 17ème place avec quasiment 9 millions d’utilisateurs soit environs 13% de la population (contre 5% en 2020) derrière le Royaume-Uni (10ème) et l’Allemagne (15ème). 

Si 1 français sur 10 est déjà utilisateur de VPN (proportion qui, on l’a vu, ne devrait cesser d’augmenter dans les années à venir), il n’est pas étonnant que les juristes s’en saisissent, notamment pour démontrer, comme en l’espèce, que les mesures techniques de géo-blocage sont obsolètes face aux possibilités offertes par le VPN. 

Le Tribunal en convient d’ailleurs dans sa décision du 13 décembre 2022. En revanche, ce qui serait souhaitable, c’est de considérer que l’utilisation d’un VPN n’est pas dépourvue de force probante par nature. 

Comme c’est le cas pour les captures d’écran. La Cour de cassation l’a reconnu dans un arrêt de la Chambre Commerciale du 7 juillet 2021 rendu en matière de contrefaçon de logiciel[9]. Puisque « la contrefaçon peut être prouvée par tous moyens[10]», que rien ne justifiait une présomption de mauvaise foi sur la partie qui les produit et qui est de surplus, la plupart du temps, la victime d’atteintes à ses droits[11] les magistrats se devaient de reconnaitre la valeur probante des captures réalisées.

Ainsi la capture d’écran, obtenue que ce soit par le biais d’une combinaison de touches sur notre smartphone ou d’une manière plus professionnelle, à l’aide de logiciels de capture avec horodatage, détient une force probante aux yeux des magistrats (mais reste soumise à leur appréciation souveraine). Nous ne pouvons qu’encourager à l’avenir les tribunaux à considérer, qu’à l’instar de cet outil, l’utilisation d’un VPN qui tend à se généraliser dans les années à venir, devrait bénéficier du même traitement et donc par analogie, pouvoir bénéficier d’une valeur probante per se

[1] Les parties se sont opposées préalablement dans le cadre d’une procédure en référé, au terme de laquelle la Cour d’appel de Paris a confirmé les mesures d’interdiction provisoires ordonnées à l’encontre des sociétés Viagogo par le Tribunal judiciaire de Paris (Ord. référé, TGI Paris 6 avril 2019, RG n°18/51487 ; CA Paris, pôle 1, ch. 5, 7 février 2020 n°18/16872).
[2] Parmi les décisions récentes : TJ de Paris, 8 novembre 2022, n°20/03744, et CA Paris, pôle 1 ch. 5, 6 avr. 2023, n° 23/01228 « ROLEX MASTERS » ; CA Lyon, 23 mars 2021, n° 20/02016 “OL” ; TJ de Paris, 31 mai 2019, RG 16/11073 “UEFA”.
[3] Cass. Com., 1er juin 2022, n° 20-21.744, FFF c/ Sté Ticketbis ; CA Paris, 3 janvier 2023, n° 20/0806 ; Cass. Com., 13 avril 2023, n°21-20.252
[4] J. Carel, R. Killy, X. Près, « Le contentieux de la billetterie dans le secteur sportif », Jurisport, n°201, 2019 p.35
[5] A noter que la question du lieu du dommage avait déjà été abordée dans la procédure en référé ayant opposé les parties sous l’angle de la compétence du Tribunal saisi
[6] Selon la Cour d’appel de Lyon, « les captures d’écran, réalisées en dehors de toute intervention d’un huissier de justice, ne présentent pas de garanties suffisantes d’authenticité de leur contenu au regard de la possibilité de les altérer, notamment en termes de date, et ne peuvent être retenues comme éléments de preuve. »
[7] Le risque est également de se retrouver en proie à un commissaire de justice peu scrupuleux dans l’établissement de ses constatations…
[8] https://atlasvpn.com/fr/vpn-adoption-index
[9] Cass., Com, 7 juillet 2021, n°20-22.048 : « la contrefaçon de logiciel peut être prouvée par tout moyen. Il en résulte qu’elle peut notamment l’être par des captures d’écran de sites internet, lesquelles ne sont pas dépourvues par nature de force probante. »
[10] Voir les articles L. 332-4, L. 521-4, L. 615-5, L. 716-4-7 du Code de la propriété intellectuelle.
[11] F. Fajgenbaum, T. Lachacinski, « Preuves de la contrefacon : vers une possible reconnaissance de la valeur probante des captures d’écran par la Cour de Cassation (et autres nouveautés) », Lexbase, septembre 2021

La preuve par l’utilisation d’un service de réseau privé virtuel ou « VPN », par Flavio VIZZACCHERO étudiant en Master 2 Droit de la création et du Numérique à l’Université Paris-Saclay et gagnant du concours BLIP !

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