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La distinctivité d’une marque sonore, un critère subjectif qui n’a pas fini de faire de bruit…

Par Aurélie Guétin, Conseil en Propriété Industrielle et Directrice générale Département Marques Cabinet Novagraaf France

 

Dans une décision datée du 15 juin 2023 (Décision 22.318/08.06.2022, version originale en roumain et traduction automatique en anglais), l’EUIPO a rejeté la demande d’enregistrement d’une marque sonore de l’Union européenne portant sur la comptine “Johnny Johnny Yes Papa” pour défaut de caractère distinctif.

En 2022, une société roumaine tente le dépôt d’une marque sonore dans l’Union européenne. Cette marque de 39 secondes reprend la célèbre comptine “Johnny Johnny Yes Papa” et désigne les classes 9, 28, 35, 38 et 41.

L’examinateur émet un refus à l’encontre de cette demande. Il considère, en effet, que la marque est dépourvue de caractère distinctif au sens de l’article 7 (1b) du RMUE et soulève les arguments suivants :

i. La longueur de la marque sonore

ii. Le fait qu’elle ne contient pas de structure mélodique facilement identifiable et reconnaissable ;

iii. Le fait qu’elle consiste en la comptine “Johnny Johnny Oui Papa”.

Le déposant conteste le refus.

L’EUIPO souligne que l’acceptabilité d’une marque sonore dépend, comme pour d’autres types de marques, de la perception d’un signe par le public concerné. De même, le caractère distinctif est tout aussi essentiel pour les marques sonores que pour les autres types de marques. Dès lors, un son doit avoir « une certaine résonance » (TUE, 13 sept. 2016, marque sonore, T-408/15, EU:T:2016:468) qui permette au consommateur cible de le percevoir et de le considérer comme une marque.

Toutefois, en l’espèce, cette condition n’a pas été remplie, en raison de sa longueur, de son absence de structure mélodique facilement identifiable et de l’impossibilité pour le consommateur d’identifier l’origine des produits et services.

1. La longueur 

Dans sa décision, l’EUIPO indique que la durée d’une marque sonore est un facteur pertinent à prendre en considération lors de l’évaluation du caractère distinctif.

En effet, selon les guidelines de l’EUIPO, « Les types de marques sonores qui sont peu susceptibles d’être acceptées sans la preuve d’un caractère distinctif factuel comprennent […] des sons qui sont trop longs pour être considérés comme une indication de l’origine » (Directive Marques https://guidelines.euipo.europa.eu/2058847/1798550/directives-des-marques/chapitre-3-marques-depourvues-de-caractere-distinctif-article-7-paragraphe-1-point-b-du-rmue- ).

L’EUIPO considère ici qu’une durée de 39 secondes est trop longue pour être une indication d’origine. On rappellera, à toutes fins utiles, que dans une affaire relative à la marque « The sound of the theme of the James Bond Movie », la 5e chambre de recours de l’EUIPO avait retenu le caractère distinctif de celle-ci, et ce en dépit d’une durée de 25 secondes, la chambre de recours affirmant à ce sujet « there can be no stricter rules applied as regards the length of sound marks, or even traditional marks, that would render them memorable and distinctive as a result »

2. L’absence de structure mélodique identifiable

L’examinateur indique que la mélodie en cause commence par « un motif simple et répétitif, qui est ensuite accompagné de quelques tonalités et sons basiques, typiques de la musique jouée dans les dessins animés, les films ou les chansons avec des paroles pour bébés ou enfants. »

Elle ne permettrait donc pas au public de l’identifier clairement en tant que marque et, par conséquent, n’a pas la capacité de fonctionner en tant qu’identificateur d’origine commerciale (TUE, 13 sept. 2016, préc., § 45)

3. L’impossibilité pour le consommateur d’identifier l’origine des produits et services 

L’EUIPO rappelle, par ailleurs, que les consommateurs n’ont pas l’habitude de faire des suppositions sur l’origine des produits ou des services en l’absence d’élément verbal ou visuel et indique que même si les habitudes de commercialisation dans un secteur économique ne sont pas figées et peuvent évoluer de manière très dynamique, y compris l’utilisation de marques sonores, encore faut-il que ces dernières soient distinctives.

Or la marque en cause ne contient pas d’éléments particulièrement distinctifs. Elle est composée de plusieurs phrases tirées d’une chanson très populaire dans le monde entier et dont il existe de nombreuses versions et vidéos que l’on peut facilement trouver sur Internet.

4. L’absence de caractère distinctif acquis par l’usage

La requérante n’ayant présenté aucun sondages d’opinion, d’enquêtes ou de dépositions, pas plus qu’elle n’a fourni de détails sur le chiffre d’affaires et les ventes, ni aucun document concernant les investissements en publicité et les efforts déployés pour promouvoir la marque, il est impossible d’établir la part de marché concernant les produits et services contestés, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de l’usage de la marque sonore, ni la proportion du public pertinent qui identifie l’origine des produits et services, avant la date de dépôt de la demande.

La décision confirme que la marque sonore en cause n’est pas distinctive et ne peut faire l’objet d’un enregistrement.

Cette position s’inscrit dans la tendance en matière de marques sonores et confirme que l’enregistrement de marques non traditionnelles fait l’objet d’un examen complexe par l’EUIPO qui se fonde sur des critères parfois difficiles à appliquer.

La prégnance d’un son est un critère subjectif dont l’analyse dépend de la sensibilité de chacun. Il est, en tout état de cause, indéniable que nombreuses sont les chansons à être utilisées dans des publicités permettant aux consommateurs d’identifier l’origine commerciale des produits.

Il ne reste à la déposante que le fondement de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage, et pour cela il lui faudra bien du courage…

 

La distinctivité d’une marque sonore, un critère subjectif qui n’a pas fini de faire de bruit… Par Aurélie Guétin, CPI et Directrice générale Département Marques Cabinet Novagraaf France.

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