Propriété industrielle,Propriété intellectuelle

L’exposé des faits d’une requête en saisie-contrefaçon

Par Coraline Favrel, avocat spécialiste en propriété intellectuelle, chez Carmen avocats

Face au Juge, la contrefaçon qui n’est pas prouvée n’existe pas. Et le débouté de toutes demandes s’impose.

C’est au titulaire d’un droit de propriété intellectuelle de démontrer l’atteinte à son monopole. Pour ce faire, le Code de la propriété intellectuelle met à la disposition de celui qui détiendrait un simple commencement de preuve, un procédé probatoire extraordinaire : la saisie-contrefaçon.

Grâce à celui-ci, le Juge oblige les personnes ayant connaissance de la contrefaçon à dire ce qu’elles savent et à produire les documents qu’elles détiennent. Un huissier et d’autres personnes pénètrent au domicile ou dans des locaux privés du concurrent, pour se livrer à une « perquisition », et ce, avec l’assistance d’officiers de police judiciaire si besoin.

Cette mesure et ses modalités sont encadrées par la décision du Juge, lequel la rend, seul, bien souvent en un trait de temps, sur la base de pièces et d’un énoncé factuel et juridique, du seul avocat postulant du titulaire de droit. Elles sont accordées à l’insu du saisi, ou du supposé contrefacteur, au terme d’une procédure gracieuse.

Compte tenu des termes employés au sein du Code de la propriété intellectuelle, le législateur impose au Juge d’autoriser la saisie-contrefaçon, lorsque les conditions posées sont réunies. Ce Juge solitaire n’a pas à vérifier la validité du droit de propriété, ni la preuve d’une contrefaçon qui sera justement établie grâce à la réalisation de la saisie qu’il doit permettre.

En effet, pour chaque droit de propriété intellectuelle, le Code dispose :

« La contrefaçon peut être prouvée par tous moyens. A cet effet, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon est en droit de faire procéder en tout lieu et par tous huissiers, le cas échéant assistés d’experts désignés par le demandeur, en vertu d’une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée (…), soit à la saisie réelle des produits ou services prétendus contrefaisants ainsi que de tout document s’y rapportant. » (art. L.332-1, L.521-4, L.615-5 et L.716-4-7 du Code de la propriété intellectuelle).

Dans ce contexte, la tentation peut être grande, pour le plaideur, de tromper le Juge, d’occulter des éléments et d’obtenir ainsi une autorisation à pratiquer des investigations chez un tiers, sans son assentiment.
En pareille hypothèse, le Juge est clair : c’est l’ordonnance de saisie-contrefaçon qui est rétractée ou l’ensemble de la mesure probatoire qui est annulée. Dans un cas comme dans l’autre, nul ne peut se prévaloir du moindre élément issu de la saisie-contrefaçon.
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Dans son arrêt très récent du 6 décembre 2023 (n°22-11.071), la Cour de cassation s’inscrit dans cette lignée.

Après avoir rappelé le nécessaire respect des principes de loyauté et de proportionnalité prévus par les articles 41 ADPIC et 3 de la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 et de son considérant 22, elleprécise qu’« en application de l’article 10 du Code civil, les parties ont l’obligation, en vertu du principe de loyauté des débats, de produire et le cas échéant communiquer en temps utiles les éléments en leur possession, en particulier lorsqu’ils sont susceptibles de modifier l’opinion des juges. »

Aussi, le requérant doit-il faire preuve de loyauté dans l’exposé des faits au soutien de sa requête en saisie-contrefaçon, afin de permettre au juge d’autoriser une mesure proportionnée.
Les faits révélaient qu’au sein de sa requête, la requérante s’était abstenue d’indiquer que le signe incriminé avait déjà fait l’objet d’enregistrement, à titre de marque, de la part du prétendu contrefacteur, et que tant l’INPI que l’EUIPO avaient rejeté tout risque de confusion avec ses droits antérieurs, dans le cadre d’oppositions formées par elles. Elle avait ainsi fait preuve de déloyauté.
Elle ne permet pas au Juge d’appréhender complètement les enjeux du procès en vue duquel lui est sollicité l’autorisation. Dès lors, les procès-verbaux desaisie-contrefaçon opérée sur la base d’ordonnances obtenues dans ces conditions doivent être annulés.

La loyauté de la procédure doit permettre au saisi, à la seule lecture de l’ordonnance et la requête qui lui sont remis par l’huissier se présentant, d’être en mesure de comprendre les faits qui fondent la mesure qu’il subit et de déterminer les droits qui lui sont opposés.

Elle s’impose également à l’égard du juge qui doit pouvoir exercer pleinement son contrôle dans un cadre non contradictoire, le requérant étant ainsi tenu de porter à sa connaissance tous les faits et droits objectivement de nature à déterminer sa décision, et ce, qu’ils lui soient ou non favorables.

L’arrêt est accessible ici : https://justice.pappers.fr/decision/d1dc18b992e8f0246263f20f34cea499?q=22-11.071

 

 

L’exposé des faits d’une requête en saisie-contrefaçon

Par Coraline Favrel, avocat spécialiste en propriété intellectuelle, chez Carmen avocats

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