“Publicité et Greenwashing – lorsque verdir n’est pas guérir”
par Manuel CHAPALAIN, avocat.
Labels engagés, mention de la neutralité carbone ou allégations climatiques variées, le consommateur pourrait maintenant s’assurer de l’engagement environnemental des entreprises auprès desquelles il consomme. Vraiment ?
La multiplication de communications dites de « marketing vert » a poussé les pouvoirs publics à s’intéresser à la question, notamment à l’échelle européenne (E. Vargas, « Greenwashing et publicité : peut-on faire confiance aux entreprises ? » Après-demain, 2020, 53,NF, 21-23). Pour cause, si le sujet avait été abordé par le Parlement européen dès 2014, la Commission européenne a rappelé en 2021 que 42% des allégations environnementales dans le cadre de communications commerciales étaient « exagérées, fausses ou fallacieuses » (Parlement européen, (2014). Résolution du Parlement européen, sur l’application de la directive 2005/29/CE. Doc. P7 TA (2014) 0063, § 24 ; Communiqué de presse du 28 janvier 2021). Cette pratique désignée comme « greenwashing » ou « écoblanchiment » est définie par la Commission européenne comme « la pratique consistant à laisser entendre ou à donner l’impression de toute autre manière (dans une communication commerciale, le marketing ou la publicité) qu’un bien ou service a un effet positif ou n’a pas d’incidence sur l’environnement ou est moins néfaste pour l’environnement que des biens ou services concurrents (…) lorsque ces allégations sont fausses ou ne peuvent être vérifiées » (Commission européenne (2021). Communication de la Commission — Orientations concernant l’interprétation et l’application de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis). Cela peut se traduire par des allégations trompeuses quant à la composition d’un produit, la méthode de fabrication ou encore le potentiel de recyclabilité.
Les pratiques d’écoblanchiment recouvrent différentes réalités et sont présentes au sein de divers types de communications de sorte qu’elles ont difficilement été appréhendées par le législateur européen (I), mais également à l’échelle nationale (II).
I. Le cadre européen permettant de lutter contre les pratiques d’écoblanchiment
En réponse à ce constat, la Commission a présenté le 30 mars 2022 une proposition de directive modifiant les directives 2005/29/CE et 2011/83/UE pour donner aux consommateurs les moyens d’agir en faveur de la transition écologique, grâce à une meilleure protection contre les pratiques déloyales et à de meilleures informations (Parlement et Conseil (2022). Proposition de directive du parlement européen et du conseil modifiant les directives 2005/29/CE et 2011/83/UE). Cette proposition s’inscrit au sein de la politique environnementale ambitieuse de l’Union européenne et, notamment, dans le cadre du « pacte vert pour l’Europe » présenté par la Commission en 2019, proposant aux États membres une stratégie vers une économie neutre sur le plan climatique, propre et circulaire.
La proposition de directive vise notamment à prévenir certaines pratiques déloyales d’écoblanchiment, dont la promotion frauduleuse de la « neutralité carbone ». Néanmoins, selon l’avis rendu le 25 janvier 2023 par la commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen, dès lors que la mention de la neutralité carbone n’a aucune conséquence positive sur le plan environnemental en ce que les projets de compensation ne sont pas réglementés, cette mention induit souvent les consommateurs en erreur (Avis 2022/0092(COD)). La commission parlementaire invite ainsi à interdire strictement cette mention au sein de la version finale de la directive.
La proposition de directive introduit également un « indice de réparabilité ». S’il s’agit d’une proposition intéressante, l’avis susmentionné rappelle qu’il n’existe pour l’instant pas de système de notation associé. Or, en l’absence de système adapté quant à cet indice, celui-ci pourrait être l’objet de certains abus, notamment sur le plan de la communication commerciale. Il convient donc de l’encadrer de manière adaptée.
II. La règlementation par le Droit français des pratiques d’écoblanchiment
Dès 2010, la loi française avait permis la mise en place de certaines actions de lutte contre l’écoblanchiment en matière publicitaire, même si celles-ci étaient relativement insuffisantes pour lutter contre son essor récent (G. Jazottes, « Le jury de déontologie publicitaire (JDP) un instrument de la lutte contre le greenwashing ? », Image(s) & Environnement, M.-P. Blin- Franchomme (dir.), LGDJ, 2012, p. 283-300). L’encadrement plus strict des pratiques d’écoblanchiment sera finalement permis par la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, dite « Loi Climat & Résilience », reprenant certaines des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat (ci-après la « CCC »). Il convient de noter que l’ensemble des propositions de la CCC n’a pas été repris de manière fidèle par la Loi Climat & Résilience. A ce titre, l’interdiction des pratiques d’écoblanchiment n’a été incluse au sein de la loi qu’après l’intervention (bienvenue) du Parlement français.
- En tant que pratique commerciale trompeuse
L’article 10 de la Loi Climat & Résilience a ajouté au sein de l’article L. 121-2 du Code de la consommation qu’une allégation, indication ou présentation fausse ou de nature à induire en erreur en lien avec l’« impact environnemental » d’un produit ou service et/ou « la portée des engagements de l’annonceur, notamment en matière environnementale (…) » était constitutive d’une pratique commerciale trompeuse. Les sanctions associées s’en trouvent également complétées. Si cette qualification résulte également d’une jurisprudence antérieure (Cass. Crim., 6 oct. 2009, n° 08-87.757), elle est maintenant formellement codifiée.
- En tant qu’allégation environnementale interdite
La Loi Climat & Résilience a conduit à la création en parallèle des articles L. 229-68 et L. 229-69 du Code de l’environnement relatifs à l’interdiction de certaines « allégations environnementales » en lien avec l’affirmation de la neutralité carbone. La doctrine a souligné l’intérêt d’une interdiction large dès lors qu’elle concerne « toute formulation de signification ou de portée équivalente » à la neutralité carbone dans le cadre de nombreux types de communications publicitaires (L. Peyen , « La publicité, l’argument environnemental et la loi Climat et Résilience : halte au greenwashing ? », La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales, n° 38-39, 20 Septembre 2021, 2277).
Pour autant, suivant l’article L. 229-68 précité, l’affirmation de la neutralité carbone d’un produit ou service est permise lorsque l’annonceur rend « aisément disponible » au public un bilan d’émissions de gaz à effet de serre (intégrant les émissions directes et indirectes), la démarche suivant laquelle les émissions sont évitées, réduites, puis compensées, et les modalités de compensation des émissions résiduelles.
Tel que prévu par le texte, les conditions de cette exception ont fait l’objet de précisions par décret entré en vigueur le 1er janvier 2023 (Décret n°2022-539 – 13 avril 2022) :
- le bilan des émissions devra couvrir l’ensemble du cycle de vie du produit ou du service, être établi suivant la norme NF EN ISO 14067 ou tout standard équivalent et mis à jour annuellement ;
- l’empreinte et la trajectoire (émissions évitées, réduites, et compensées) devront faire l’objet d’un rapport de synthèse publié sur le site de communication au public en ligne de l’annonceur, ou à défaut sur son application mobile, comprenant les annexes mentionnées au décret ; et
- en application de l’article L. 229-55 du même Code, la réduction et la séquestration des émissions résiduelles et leurs modalités doivent être mesurables, vérifiables, permanentes et additionnelles en précisant notamment la nature, le cout et la description des projets de compensation.
Le décret ajoute que le mention « Compensation réalisée en France » ou toute mention équivalente sera conditionnée à la réalisation de l’intégralité du projet de compensation en France.
D’abord, il s’agit d’une avancée importante en matière de communication publicitaire et d’écoblanchiment. Les labels assimilés à la neutralité carbone ayant fleuri ces dernières années, il était essentiel de réglementer ces mentions dont l’importance commerciale grandit.
Néanmoins, et tel que noté par la doctrine, deux points négatifs attirent notre attention. Tout d’abord, les dispositions du Code de la consommation et celles du Code de l’environnement, bien que distinctes, pourraient se concurrencer ce qui menace leur efficacité in fine et la sécurité juridique en ce qu’elles sanctionnent des comportements parfois identiques (L. Peyen L., Ibid). Ensuite, de nombreuses études scientifiques ont remis en cause l’efficacité pour limiter les émissions de gaz à effet de serre de la méthodologie « éviter-réduire-compenser », notamment du fait de de la confusion dans la hiérarchie des mesures et la tendance à surqualifier le type de mesure mise en place par les entreprises (Pour approfondissement voir C. Bigard, B. Regnery, S. Pioch S. et J. D. Thompson, « De la théorie à la pratique de la séquence Éviter-Réduire-Compenser (ERC) : éviter ou légitimer la perte de biodiversité ? », Développement durable et territoires, Vol. 9,).
Si les législateurs français et européen semblent prendre la mesure des dangers liés à l’écoblanchiment, il est notable que les outils proposés comportent certains défauts. Or, ces derniers se doivent d’être à la hauteur de l’enjeu afin d’assurer l’effectivité du droit face à l’urgence climatique.