Dessins et modèles,Propriété industrielle,Propriété intellectuelle

Paquet Modèles : premiers commentaires et premières propositions d’améliorations (1/2)

par Frédéric Glaize, CPI et associé au cabinet Plasseraud IP

Le 28 novembre 2022, la Commission Européenne a rendu publiques une proposition de nouvelle Directive Dessins & Modèles (COM(2022)667) et une proposition de modification du Règlement 6/2002 (COM(2022)666) sur les dessins ou modèles communautaires. Il s’agit d’avant-projets. A l’instar du « Paquet Marques », ces révisions conjointes sont surnommées « Paquet Modèles ».

La teneur de cette future réforme a déjà été évoquée précédemment sur BLIP (« La proposition de réforme européenne du droit des dessins ou modèles », 11 janvier 2023, par Flora Donaud), dans la revue Propriétés Intellectuelles (P. de Candé, Paquet dessins et modèles : pertinences et insuffisances d’un avant-projet, Propr. intell. 2023, n° 86) et dans la revue Propriété Industrielle (P. Greffe, La proposition de réforme du droit des dessins et des modèles, Propr. industr. 2023, Focus n° 11  ;  N. Kapyrina, Dessins et modèles. Réforme – Les dessins et modèles non enregistrés dans la réforme, Propr. industr. 2023, n° 2, comm. 11).

En publiant ces projets, la Commission laissait au public la possibilité de les commenter. A présent, plusieurs dizaines d’observateurs (tels, en France : le CEIPI, le Groupe Français de l’AIPPI, la CNCPI, l’APRAM, l’UNIFAB…) ont procédé à une étude de ces deux textes et ont formulé des commentaires.

C’est après un tel exercice, qu’il est ici proposé de revenir sur quelques aspects du projet de réforme.

 

I.   Le processus de révision et d’évolution des textes européens

A.   Des compromis, dont l’évolution a longtemps été bloquée

En Europe, l’harmonisation du droit des dessins et modèles a été initiée avec l’adoption de la Directive 98/71 du 13 octobre 1998 sur la protection juridique des dessins ou modèles. Puis, un titre unitaire était mis en place via le Règlement 6/2002 sur les dessins ou modèles communautaires.

La Directive de 1998 était ouvertement un compromis incomplet : le principal point de blocage résidait dans la « clause de réparation », une exception envisagée au regard des modèles portant sur l’aspect de pièces de rechanges lorsqu’une telle pièce est utilisée pour réparer un produit complexe afin de lui redonner son apparence initiale. Le compris (dit « Freeze-Plus ») qui réside à l’article 14 de la Directive a consisté à imposer aux États Membres de ne pas faire évoluer leur législation, sauf pour aller dans le sens d’une libéralisation du marché des pièces détachées. Le Règlement sur les dessins ou modèles communautaires est allé un peu plus loin, en implémentant une clause de réparation, reléguée en son article 110 sous le titre de Disposition transitoire.

 

1)      2004 à 2014 : échec de la révision programmée

Un processus de révision de la Directive, que son article 18 a enclenché en 2004, proposait d’introduire dans la Directive une clause de réparation inspirée des dispositions de l’article 110 du Règlement. Cette révision n’a pas pu aboutir : soutenue par le Parlement, elle subissait l’opposition du Conseil et a été retirée de l’ordre du jour en 2014.

 

2)      Depuis 2014 : processus d’évaluation et de révision

En 2014, la Commission a lancé une évaluation juridique et économique du fonctionnement global des systèmes de protection des dessins et modèles. Le résultat de l’étude économique a été publié en janvier 2015 (Economic Review on industrial design protection in Europe, MARKT/2013/064//D2/ST/OP) et le résultat de l’étude juridique a été rendu public en juin 2016 (Legal Review on Industrial Design Protection in Europe, MARKT2014/083/D). Ces documents ont fait l’objet de commentaires d’associations d’utilisateurs (Comments on the Legal Review on Industrial Design Protection, joint paper ECTA, INTA & MARQUES, juillet 2018).

La Commission Européenne a ensuite lancé des processus successifs de consultation publique. La première grande étape a été, de décembre 2018 à avril 2019, la consultation publique sur l’évaluation de la législation de l’UE sur la protection des dessins et modèles (Evaluation of EU legislation on design protection, European Commission), à l’issue de laquelle 196 avis ont été reçus.

En novembre 2020, un document de travail proposait une importante synthèse de ces travaux (Commission staff working document evaluation of EU legislation on design protection {SWD(2020) 265 final}).

D’avril 2021 à mi-juillet 2021, une nouvelle consultation des parties prenantes a permis à la Commission de recueillir 105 avis (Propriété intellectuelle – Révision des règles de l’UE en matière de dessins et modèles industriels, directive sur les dessins et modèles, Commission européenne).

La première version des avant-projets de révision de la Directive et du Règlement, initialement annoncée pour le premier semestre 2022 a été rendue publique le 28 novembre 2022.

Pour le titre unitaire, il est envisagé de procéder à une modification du Règlement 6/2002 qui subsisterait donc sous une forme largement remaniée (voir la proposition de modification du Règlement 6/2002 (COM(2022)666) sur les dessins ou modèles communautaires). La Directive 98/71 serait, quant à elle, abrogée au profit d’une nouvelle Directive (voir la proposition de nouvelle Directive Dessins & Modèles (COM(2022)667).

A nouveau, l’avis du public a été sollicité par la Commission. La fenêtre pour ce faire était ouverte jusqu’au 23 janvier 2023, date qui a été repoussée au 31 janvier 2023. Toujours est-il que cela a laissé très peu de temps pour l’étude de deux textes assez touffus et dont une analyse sérieuse supposait, de surcroît, un travail comparatif, non seulement entre le projet de Directive et le projet de modification du Règlement (afin de vérifier leur cohérence), mais encore entre les versions antérieures de ces textes (afin de mesurer les évolutions).

Compte tenu du nombre important de réponses publiées, ainsi que du nombre et de la complexité des points de droit abordés, ce qui est envisagé ici n’a en aucun cas l’ambition de faire la synthèse des observations transmises à la Commission Européenne ; il s’agira simplement de pointer quelques éléments.

 

3)      Communication d’avis sur ces deux avant-projets

La proposition relative au Règlement a recueilli 33 avis. Celle concernant la Directive en a attiré 47. Ce dénombrement doit être ramené à des propositions plus modestes puisque quelques-uns des commentaires envisagent les deux propositions dans un seul document, lequel a donc été versé une première fois, au regard de la proposition sur le Règlement, et une seconde fois, au regard de la proposition de Directive.

Parmi les organismes qui ont répondu, on trouve des associations regroupant des juristes spécialisés (ECTA/MARQUES/INTA -qui se sont exprimées dans une position commune-, l’APRAM, GRUR, LES, Japan Intellectual Property Association, …), des Conseils (CNCPI, Ordine dei Consulenti in Proprietà Industriale, CITMA, Patentanwaltskammer,…), des centres de recherche (Max Planck, CEIPI), des confédérations d’entreprises (Svensky Näringsliv, SME United, …), des associations sectorielles dont plusieurs regroupements d’intérêts essentiellement focalisés dans le domaine des pièces de rechange pour véhicules (Federation of the European Sporting Goods Industry (FESI), Fédération des Industries des Equipements pour Véhicules (FIEV), European Campaign for the Freedom of the Automotive Parts and Repair Market (ECAR), FIGIEFA, Association of Automotive Parts Distributors and Producers (SDCM), SISA – Czech national association of distributors of spare parts for motor vehicles, Associazione Costruttori Italiani consorziati della componentistica di ricambio per autoveicoli (CICRA)) ou encore quelques entreprises (LVMH, Volvo, Scania, groupe AEMA, Belron qui est connu via sa marque Carglass) et même un Office de Propriété Industrielle (PRV, l’équivalent suédois de l’INPI).

Sans grande surprise, le sujet qui a focalisé le plus grand nombre de commentaires est celui de la clause de réparation (laquelle sera évoquée dans le second volet de cet article). Près des trois quarts des avis communiqués abordaient ce point.

Dans les très grandes lignes, les autres sujets les plus fréquemment abordés dans ces observations concernent l’extension de la définition des dessins et modèles, les nouvelles exceptions et le principe du cumul de protection avec le droit d’auteur.

Les avis déposés expriment souvent une opinion en faveur ou en défaveur de certains points de la réforme, mais beaucoup contribuent à renforcer la qualité des deux textes, en pointant des dispositions dont l’articulation, la cohérence ou la formulation peuvent être améliorées.

 

B.   Les apports de la jurisprudence de la Cour de Justice

Parallèlement au processus de révision de la Directive et du Règlement évoqué ci-dessus, la jurisprudence de la Cour de Justice a contribué à clarifier et harmoniser l’interprétation de certaines notions.

Plusieurs apports de ces arrêts sont consacrés, soit par une codification, soit sous forme d’orientations données au niveau des préambules. Ainsi, dans les avant-projets, on peut noter par exemple :

  • La clause de réparation, au regard de laquelle l’apport de l’arrêt Acacia est essentiel (CJUE, 20 décembre 2017, Acacia Srl c/ Pneusgarda Srl, Audi AG (C‑397/16), et Acacia Srl, Rolando D’Amato c/ Dr. Ing. h.c. F. Porsche AG (C‑435/16)) ;
  • Une précision qui vise à ne pas réduire à une conception plurielle la notion de « patrimoine » des dessins ou modèles (Considérant 13 de la Directive 98/71 et Considérant 14 du Règlement 6/2002) et dans laquelle on peut voir un effet de l’arrêt Karen Miller (CJUE, 19 juin 2014, C-345/13, Karen Millen Fashions Ltd / Dunnes Stores) : le Considérant 20 de la nouvelle Directive envisage maintenant l’analyse du caractère individuel par rapport à « tout autre dessin ou modèle » faisant partie du patrimoine des dessins ou modèles ;
  • La troisième phrase ajoutée au Considérant 14 de la Directive, qui souligne la possibilité d’une nullité pour les modèles dont « les caractéristiques de l’apparence du produit en question ont été déterminées exclusivement par la nécessité que ce produit remplisse une fonction technique, et non par d’autres aspects, notamment visuels », est issue de l’arrêt Doceram (CJUE 2ème chambre, 8 mars 2018, C‑395/16, DOCERAM GmbH v. CeramTec GmbH) ;
  • L’une des nouvelles exceptions, relative aux actes « accomplis à des fins de commentaire, de critique ou de parodie » (article 18 de la nouvelle Directive et article 20 du Règlement) élargit l’apport de l’arrêt Nintendo (CJUE, 27 septembre 2017, C-24/16 et C-24/16, Nintendo Co. Ltd / BigBen Interactive GmbH, BigBen Interactive S.A.) qui considérait qu’était couverte par l’exception d’illustration la reproduction d’un modèle dont le but est « d’expliquer ou de démontrer l’emploi conjoint des produits [du défendeur] et des produits spécifiques du titulaire desdits droits », couverts par le modèle invoqué ;
  • Le principe de cumul de protection entre dessins et modèles et droit d’auteur, consacré par les articles 23 de la nouvelle Directive et 96.2 du Règlement est un pas en avant pour la protection de l’art appliqué, favorisé par l’arrêt Cofemel (CJUE, 12 septembre 2019, C-683/17, Cofemel – Sociedade de Vestuário SA / G‑Star Raw CV).

A l’inverse, on peut aussi voir dans l’affirmation de l’absence d’une exigence de visibilité pour la validité des modèles -hors pièces de produits complexes- (considérant 18 de la nouvelle Directive et dans le considérant 10 du Règlement) un rejet de la théorie de la visibilité (general visibility doctrine), qui était illustrée par l’arrêt « Biscuit Poult » (TUE troisième chambre, 9 septembre 2014, affaire T-494/12, Biscuits Poult SAS / OHMI, spécialement les paragraphes 29 et 30).

La solution était approuvée par les auteurs de l’étude juridique de juin 2016 (Legal Review on Industrial Design Protection in Europe, précité, page 77). Mais l’arrêt fut critiqué pour avoir écarté les caractéristiques non visibles d’un modèle qui n’était pourtant pas une pièce de produit complexe (voir par exemple le joint paper INTA, MARQUES & ECTA, juillet 2018, précité, pages 15 et 16).

Ces ajouts aux préambules des deux textes sont également en ligne avec les conclusions de l’Avocat Général Maciej Szpunar du 8 septembre 2022 dans l’affaire C-472/21, Monz Handelsgesellschaft International mbH & Co. KG / Büchel GmbH & Co. Fahrzeugtechnik KG (voir notamment le paragraphe 30). L’arrêt du 16 février 2023 rendu par la CJUE dans cette affaire est un peu moins disserté sur cet aspect. En ce sens, le paragraphe 36 souligne que la règle qu’on demande à la Cour d’interpréter constitue une « règle spéciale portant spécifiquement sur les dessins ou modèles appliqués à un produit ou incorporés dans un produit qui constitue une pièce d’un produit complexe ».

Dans ses commentaires, la CNCPI se réjouit du rejet de la théorie de la visibilité, alors que l’APRAM estime que « les caractéristiques du dessin ou modèle d’un produit donné doivent être apparentes sur le produit tel qu’il est mis sur le marché, même s’il n’y a pas lieu de s’interroger sur le point de savoir si elles restent visibles de l’utilisateur à un moment ou dans une situation particulière ».

D’autres décisions tout aussi importantes ne voient pas leur apport intégré directement à ces nouveaux textes. Tel est le cas de la définition de l’utilisateur averti (CJUE 4ème chambre, 20 octobre 2011, C‑281/10 P, appel de T-9/07, Grupo Promer Mon Graphic SA v. OHIM / Pepsi Co) ou de la protection de modèles partiels via les dessins ou modèles communautaires non enregistrés (TUE, 28 octobre 2021, C-123/20, Ferrari).

 

II.   Quelques changements d’ordre général

A.   Modernisation des définitions de « dessin ou modèle » et de « produit »

Les définitions données aux notions de « dessin ou modèle » et de « produit », qui figurent à l’article 3 du Règlement et à l’article 2 de la Directive évoluent. Comme cela avait été souhaité par plusieurs associations, la définition de la notion de produit confirme explicitement que les interfaces sont incluses (ce que la seule mention de l’exclusion des programmes d’ordinateurs pouvait auparavant laisser dans l’ombre). La définition des dessins ou modèles est complétée pour prendre en compte la numérisation et faciliter la protection de l’aspect des produits en mouvement.

La majorité des commentaires versés apparaît favorable à ces modernisations (CNCPI, APRAM, groupe français de l’AIPPI, LVMH, ECTA/MARQUES/INTA).

La définition de la notion de dessin ou modèle évolue pour intégrer « le mouvement, les transitions ou tout autre type d’animation » des caractéristiques de l’apparence d’un produit.

Ceci est bienvenu, mais ce n’est pas une révolution. La capacité à protéger des dessins ou modèles portant sur des animations existait déjà. De cette façon, ont pu être enregistrés des dessins ou modèles portant par exemple sur des animations très simples d’éléments d’interface. Un exemple en est ce modèle portant sur une animation d’une icône de pouce blanc sur fond bleu, au nom de Meta Platforms, Inc et qui comporte 4 vues :

RCD 003401272-0001, https://euipo.europa.eu/eSearch/#details/designs/003401272-0001.

En revanche, les modalités de dépôt n’étaient pas parfaitement adaptées. Ainsi, seules des images statiques pouvaient représenter un dessin ou modèle et leur nombre était limité : pas plus de sept images ne peuvent figurer dans un enregistrement de dessin ou modèle communautaire (le dépôt français ouvre une voie plus large en admettant une centaine de vues par dépôt, mais au prix de taxes directement proportionnelles au nombre de vues). Ne disposer que de sept vues pour représenter une animation est une limitation particulièrement forte (par exemple, au cinéma, il faut au minimum 24 images par secondes pour créer l’illusion du mouvement).

Avec la réforme, on espère pouvoir plus facilement représenter l’animation qui peut caractériser non seulement l’aspect d’interfaces graphiques animées, mais également la façon dont les parties d’un emballage se déploient lors de son ouverture, l’articulation particulière de certains éléments d’un produit, l’envol et l’explosion de feux d’artifices, les figures qu’un essaim de drones peut former, la façon dont une sauce chaude va révéler le contenu d’une partie de dessert glacé, la chorégraphie d’une danse de victoire dans un jeu vidéo, etc.

Les projets de Règlement et de Directive ne contiennent pas de dispositions qui viendraient préciser les modalités techniques de représentation. Ces aspects, s’ils sont laissés aux actes d’exécution (via l’article 36 bis du Règlement), pour permettre « la mise à jour des normes de représentation des dessins ou modèles afin de les adapter à l’ère numérique », sont abordés à l’article 26 de la Directive, qui envisage « toute forme de reproduction visuelle du dessin ou modèle, en noir et blanc ou en couleur. La reproduction peut être statique, dynamique ou animée et est réalisée par tout moyen approprié, à l’aide des technologies généralement disponibles, y compris par croquis, photographie, vidéo ou imagerie/modélisation informatique ».

De son côté, la Directive incite les Offices nationaux à coopérer et à se coordonner pour définir « les types et le nombre de vues à utiliser, les types d’exclusions visuelles acceptables, ainsi que les spécifications techniques des moyens utilisés pour la reproduction, le stockage et le dépôt des dessins ou modèles, telles que les formats et la taille des fichiers électroniques concernés » (article 26.8). On pense aux programmes de convergence, dont un des résultats notables est le document de « Convergence en matière de représentation graphique des dessins ou modèles – Communication commune », du 15 Mai 2018.

 

B.   Dispositions diverses

1)      Adaptation de la terminologie

A la suite de l’article 2 du Traité de Lisbonne et comme cela a déjà été implémenté pour les marques (Règlement 2017/1001), il conviendra de ne plus parler de dessins ou modèles communautaires, mais de dessins ou modèles de l’Union Européenne. Un toilettage plus discret du vocabulaire porte sur une substitution de conjonction : la matière n’est plus celles des dessins et modèles mais celle des dessins ou modèles.

La version allemande des avant-projets utilise toujours le terme « Geschmacksmuster », que la GRUR ainsi que l’ECTA, l’INTA et MARQUES aimeraient voir remplacé par « Design », de façon à ce que les nouveaux textes soient cohérents avec une évolution déjà actée dans la loi allemande depuis 2014.

Un autre anglicisme a, en revanche, été dénoncé en tant que faux ami. En France, la CNCPI et le groupe français de l’AIPPI ont incité la Commission Européenne à profiter du Paquet Modèles pour corriger la version française de l’article 3.4 de la Directive et de l’article 4.3 du Règlement, qui concerne l’exigence de visibilité des modèles portant sur des pièces de produit complexe. La visibilité doit intervenir lors de l’usage normal du produit complexe et pour cerner cette notion, il est indiqué ce en quoi elle ne consiste pas. Les phases exclues de la notion d’usage normal sont désignées dans les textes en français par l’expression « l’entretien, le service et la réparation ». Il est suggéré de préférer « l’entretien, la maintenance et la réparation ». Il semble d’ailleurs qu’un manque de cohérence ressorte des différentes traductions de ce morceau de phrase (où l’on trouve par exemple « assistenza » en italien et « manutenção » en portugais).

 

2)      Directive : harmonisation renforcée        

La nouvelle Directive renforce l’harmonisation des législations des États Membres. A plusieurs niveaux, elle s’aligne sur des notions qui étaient explicitement exprimées dans le Règlement.

 

●        Présomption de validité ; absence de principe de spécialité

Ainsi la présomption de validité (que le Règlement 6/2002 comporte en son article 85.1) se voit envisagée dans la Directive (article 17). Il en est de même du moyen de défense fondé sur l’utilisation antérieure (que le Règlement connaît en son article 21 et que la nouvelle Directive pourra incorporer à l’article 22).

Ce que l’on peut voir comme confirmant l’exclusion du principe de spécialité à l’article 25.3 de la nouvelle Directive (l’absence d’influence de « la désignation des produits dans lesquels le dessin ou modèle est destiné à être incorporé ou auxquels il est destiné à être appliqué » sur l’étendue de la protection du dessin ou du modèle en tant que tel) fait écho à ce qui a toujours été à l’article 36.6 du Règlement. Si la CNCPI salue le principe de cet ajout dans la Directive, elle souligne en passant l’emploi de quelques variations dans le vocabulaire des deux textes : on parle du « champ de la protection » dans le préambule de la nouvelle Directive et de « l’étendue de la protection » en son article 25.3 et dans le Règlement (article 36.6).

 

●        Ajournement de publication

L’un des aspects de la législation des États Membres qui manquait d’harmonisation concernait l’ajournement de publication des modèles nationaux et la durée de celui-ci. La nouvelle Directive prévoit d’y mettre un peu d’ordre avec la possibilité d’un ajournement de publication, pour une durée de 30 mois.

Mais une évolution majeure du système de levée de l’ajournement suscite quelques inquiétudes.

Dans le Règlement (article 50), le système s’inverse : alors qu’initialement, la publication résultait d’une action du titulaire, la réforme entraîne une publication par défaut, sauf si le titulaire prend l’initiative de renoncer à son modèle (article 50.5). Dans la Directive (article 30.4), à l’expiration du délai d’ajournement de 30 mois, la publication intervient également par défaut. Mais, comme le souligne la CNCPI, le texte ne prévoit pas spécifiquement de mécanisme de retrait pour stopper cette publication.

Cette publication automatique à l’issue de la période d’ajournement ne va pas forcément simplifier la gestion des portefeuilles : selon les observations déposées au nom de LVMH, « cela va demander beaucoup plus de gestion pour l’ensemble des modèles à abandonner, pour lesquels aucune mesure n’était à prendre précédemment, et supposera d’engager des procédures et des frais pour des modèles qui ne présentent plus d’intérêt »

Plus troublant, avec cette publication par défaut, la nouvelle Directive introduit un mécanisme qui semble incompatible avec le modèle simplifié français. L’APRAM et l’UNIFAB pointent le risque de disparition du modèle simplifié, ce qui serait évidemment regrettable.

 

3)      Ⓓ : Symbole informant de l’enregistrement du dessin ou modèle

La Directive (article 24) et le Règlement (article 26 bis) proposent l’emploi d’un signe spécial (la lettre D entourée d’un cercle) pour signaler au public qu’un dessin ou modèle est enregistré. Cette indication pourra être complétée par le numéro d’enregistrement du dessin ou modèle ou comporter un hyperlien vers le registre.

D’un point de vue purement technique, si les codes ASCII (American Standard Code for Information Interchange) ne semblent pas prévoir ce caractère spécial, en revanche le standard informatique Unicode envisage le « Circled Latin Capital Letter D » depuis juin 1993. L’encodage selon l’UTF-16 sera par exemple 0x24B9 et pour une utilisation en HTML, par exemple, l’encodage hexadécimal de ce caractère spécial est Ⓓ.

Le signe envisagé du D entouré d’un cercle pour signaler une protection en tant que « Design » s’apparente au C entouré universellement reconnu comme signifiant « copyright », ainsi qu’au P entouré d’un cercle (initiale de « producteur ») que vise l’article 5 de la Convention pour la protection des producteurs de phonogrammes contre la reproduction non autorisée de leurs phonogrammes du 29 octobre 1971.

L’emploi du signe D entouré d’un cercle est inspiré de la pratique établie en Amérique du Nord, où un tel avertissement a des conséquences juridiques.

Au Canada, la section 17(2) de la Loi sur les dessins industriels (L.R.C. (1985), ch. I-9) écarte la possibilité de défense basée sur l’ignorance de l’existence d’un enregistrement à titre de modèle, à partir du moment où les produits authentiques, leur étiquette ou leur emballage comporte une mention explicite du fait qu’ils sont l’objet d’une telle protection (grâce à « la lettre « D », entourée d’un cercle »). Ce marquage ouvre la voie aux « punitive damages ». La logique est analogue aux États-Unis (35 USCS § 287).

Les projets européens ne confèrent pas un effet juridique à ce symbole : il s’agit d’une mention facultative et à vocation purement informative.

Plusieurs commentateurs redoutent que l’introduction d’un tel signe entraîne plus de confusion qu’autre chose, notamment quant à ses effets réels.

La FESI (Federation of the European Sporting Goods Industry) souligne que la plupart des titulaires de marque n’utilisent même pas les signe  « ® » et « ™» et que l’usage du signe « Ⓓ » pourrait conduire à une situation peu claire de “notification ou non notification”, ce qui pourrait compliquer davantage l’exercice des droits.

Dans le même sens, LVMH souligne que dans la mesure où l’emploi de ce signe ne sera pas systématique, cela « enverrait alors un signal peu clair au public créant une confusion : le produit peut faire l’objet d’une protection mais ne pas porter de symbole, soit parce qu’il ne le permet pas, soit parce que le titulaire ne le souhaite pas. Il est également fort probable que cela envoie un signal aux contrefacteurs, les invitant à reproduire les produits ne portant pas de symboles ».

Le groupe français de l’AIPPI incite à légiférer de façon plus transversale sur les effets juridiques liés à la mise en connaissance de cause des tiers par le marquage via un symbole et via le marquage virtuel. Cette question pourrait être traitée dans un projet de réglementation européenne spécifiquement orientée sur la lutte contre la contrefaçon dans un esprit de dissuasion des contrefacteurs.

 

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Cet aperçu partiel des avant-projets du Paquet Modèles et de quelques-unes des réactions qu’ils ont pu susciter sera complété par un prochain article, qui évoquera notamment les nouveaux droits conférés aux titulaires de modèles, les nouvelles limites et exceptions à ceux-ci, l’action en nullité et plusieurs points que la réforme n’a pas envisagés.

 

Paquet Modèles : premiers commentaires et premières propositions d’améliorations (1/2) par Frédéric Glaize, CPI et associé au cabinet Plasseraud IP

 

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