Propriété intellectuelle

Une nouvelle approche de la cession globale d’œuvres futures d’un salarié, un tournant pour le monde professionnel ?

Giunta Théo, étudiant en M2 Propriété intellectuelle parcours activités culturelles au CEIPI, stagiaire au sein du Cabinet Beau de Loménie à Marseille.

Les faits :

En l’espèce, en 2010, une styliste dans le secteur de la mode, Mme A, a été à l’origine de la création d’une société, ayant pour objet le développement de ses collections d’articles de mode. Étant associée minoritaire au sein de cette société, Mme A a conclu avec cette dernière, désormais nommée « OLT SAS », un contrat de travail, en qualité de styliste-directrice.

C’est dans ce contexte que Mme A, ayant exécuté en 2015 et 2016 des prestations pour des entreprises tierces (Uniqlo, Lancôme et Dyptique), dans le cadre de contrats de collaboration, conclus par la société « OLT SAS » avec ces entreprises, a estimé qu’une rémunération complémentaire lui était due pour ces prestations, lesquelles de son point de vue, sont extérieures à la relation de travail avec « OLT SAS » et ne relèvent pas de la clause de cession de droits d’auteur au profit de l’employeur mentionnée au contrat de travail.

Selon les motifs du jugement, les premiers juges ont retenu que Mme A n’est pas fondée à soutenir que les droits d’auteur sur ces créations n’ont pas été valablement cédés à son employeur, ni que les prestations réalisées au profit des sociétés tierces étaient exclues de ses fonctions salariales. En conséquence, aucune poursuite envers la société « OLT SAS » pour contrefaçon de droits d’auteur ne peut-être intentée.

Aux termes de l’avenant signé par Mme A courant décembre 2014, avec effet au 1er janvier 2015, il est précisé que les stipulations qui précèdent l’avenant ne modifient nullement l’article relatif à la cession des droits d’auteur de Mme A, présent dans son contrat de travail du 22 juin 2012. Ainsi, cet article demeure applicable. Il prévoit que :

  • Mme A cède à titre exclusif à son employeur le droit de reproduction et de représentation (à l’exclusion de ceux d’adaptation) relatifs aux créations réalisées dans le cadre du présent contrat, au fur et à mesure de leur réalisation.
  • La cession concerne l’ensemble des œuvres protégées, à quelque titre que ce soit par le Code de la propriété intellectuelle, réalisées par Mme A dans le cadre de son contrat.

Par conséquent, Mme A cède à son employeur ses droits de représentation, et il exercera les droits visés par l’article soit directement, soit par le biais de cessions consenties à des tiers.

En conséquence des dispositions de son contrat de travail, Mme A a cédé à la société « OLT SAS » ses droits patrimoniaux d’auteur sur les créations réalisées lorsqu’elle est styliste-directrice. Cependant, les contrats de collaboration entre les parties ne relevaient pas de son contrat de travail et ne seraient pas couverts par la clause de cession de droits telle qu’elle est inscrite dans le contrat de travail. Selon elle, les créations relatives aux contrats de collaboration avec des entreprises tierces sont exclues de la cession de droits prévue dans le contrat de travail.

Toutefois, il était indiqué dans le contrat de travail de Mme A que l’employeur pourra directement ou par une cession à des tiers exercer ses droits. Ainsi, « OLT SAS », alors cessionnaire des droits de Mme A sur les créations réalisées lors de l’exécution de son contrat de travail, se trouvait autorisé à conclure avec des entreprises tierces des contrats de collaboration en vue de l’exploitation, par ces entreprises tierces, des créations de sa salariée.

De plus, l’avenant au contrat de travail conclu par Mme A prévoyait qu’elle s’engageait à consacrer l’intégralité de son temps de travail et tous ses efforts au profit exclusif de « OLT SAS ». S’agissant des contrats de collaboration, s’il est mentionné, dans chacun des contrats, qu’ils ont été conclus en présence de Mme A, elle n’est pas pour autant partie au contrat, même si elle figure au nombre des signataires du contrat.

 

En guise d’illustration, dans le contrat de collaboration avec la société Lancôme, Mme A est désignée en sa qualité de directrice-artistique, ce qui confirme d’une part qu’elle est intervenue dans ce contrat en vertu de sa relation de travail avec « OLT SAS » et d’autre part, qu’elle lui reconnaît les droits d’exploitation, régulièrement cédés selon les dispositions du contrat de travail, sur les créations qu’elle aura réalisées pour la société Lancôme.

La décision :

Selon cette décision du 25 janvier 2023, une telle clause de cession n’est pas nulle car elle délimite le champ de la cession à des œuvres « déterminables et individualisables », à savoir celles réalisées par la salariée selon ses obligations prenant source dans le contrat de travail, et « au fur et à mesure » que ces œuvres auront été réalisées. Ainsi, cette clause ne s’apparente pas à une clause de cession globale d’œuvres futures, puisqu’elle ne vise pas l’ensemble des œuvres objet de la cession. Il semblerait qu’une telle clause ne porterait pas sur des œuvres futures, mais bien sur des œuvres réalisées. De cette manière, la cession ne s’opère qu’au gré de la réalisation des œuvres.

Dans cette affaire, Mme A prétend que la clause de cession de droits serait nulle car vide de contrepartie financière. Au demeurant, la cour d’appel observe qu’une « rémunération forfaitaire n’opérant pas de distinction entre la rémunération de la prestation de travail et la contrepartie de la cession des droits d’auteur est licite ».

Par conséquent, la cour d’appel confirme la décision des juges de première instance. La validité de la clause de cession de droits au profit de son employeur mentionnée dans son contrat de travail est licite. De plus, elle ne peut prétendre que les prestations effectuées pour les sociétés tierces seraient exclues de ses fonctions salariales, car elles ont été faites selon les termes des contrats de collaboration en 2015 et 2016.

Ensuite, la cour d’appel suit le jugement rendu par les premiers juges en tout point. D’une part, elle refuse également l’octroi d’une rémunération complémentaire pour les prestations réalisées dans le cadre des contrats de collaboration avec les entreprises tierces et d’autre part, elle rejette la demande subsidiaire de dommages-intérêts pour contrefaçon.

Commentaire :

À titre préliminaire, cette décision du 25 janvier 2023 revient sur deux principes en matière de propriété littéraire et artistique.

S’agissant de la clause de cession de droits en cause dans cette affaire, il nous faut rappeler que l’article L. 131-1 du Code de la propriété intellectuelle (ci-après CPI) dispose que « la cession globale des œuvres futures est nulle ». Dans l’arrêt étudié, une stipulation contractuelle est venue s’opposer à ce principe. En effet, entre Mme A et son employeur demeurait une clause de cession exclusive des créations de Mme A lors de l’exécution de son contrat de travail. La particularité de cette clause était que la cession s’opérait progressivement, lorsque chaque création était finie. Ainsi, n’avait pas lieu une cession globale non pas de créations futures, mais de créations existantes.

Cette clause a été jugée licite par la cour d’appel, car elle délimite le champ de la cession à des œuvres « déterminables et individualisables ». Les œuvres visées par cette clause sont celles réalisées par la styliste dans le cadre de son contrat de travail. Néanmoins, le point déterminant porte sur la réalisation de celles-ci. Selon la cour d’appel, cette clause ne s’apparente pas à une cession globale d’œuvres futures, puisqu’elle ne vise pas dans leur intégralité les œuvres faisant l’objet de la cession. Cette clause porte sur des œuvres réalisées et de fait, la cession ne s’opère alors qu’au fur et à mesure de leur réalisation.

Cette approche de la cour d’appel est favorable à l’employeur. Si, à première vue, ces stipulations contractuelles laissent à penser qu’il s’agit bien d’une cession globale des œuvres futures, la cour d’appel est venue apporter une vision pragmatique de ce principe. La simple mention d’une cession faite « au fur et à mesure » peut s’interpréter comme une cession globale. En outre, la cession à titre exclusif d’un salarié à son employeur, de l’ensemble des droits de propriété intellectuelle relatifs aux créations réalisées selon les stipulations du contrat de travail, « au fur et à mesure », s’apparente fortement à une cession globale. L’élément pragmatique de l’approche de la cour d’appel se rapporte en réalité sur la suite de cette mention.

La clause prévoyait que Mme A cède à titre exclusif à son employeur l’ensemble des droits de propriété intellectuelle relatifs aux créations réalisées dans le cadre de son contrat de travail et ce, au fur et à mesure « de leur réalisation ». Le fait de se concentrer sur la réalisation des œuvres est une nouvelle interprétation du principe de la prohibition de la cession globale des œuvres futures. Selon la cour d’appel, cette clause ne porte pas sur des œuvres futures, celle-ci porte sur des œuvres réalisées. La cession ne s’opérant qu’au fur et à mesure de la réalisation de ces dernières.

Si l’on suit le raisonnement de la cour d’appel, si une cession à titre exclusif des droits de propriété intellectuelle relatifs aux créations de salariés porte sur des œuvres réalisées « au fur et à mesure » de l’activité d’un salarié, dans le cadre de son contrat de travail, alors une telle clause ne s’apparente pas à une cession globale, car la cession se fait au gré de la réalisation des œuvres. La cour d’appel retient donc qu’une œuvre future n’est pas une œuvre réalisée et par conséquent, une telle clause n’enfreint pas le principe posé par l’article L. 131-1 du CPI.

Il convient alors de souligner que cette décision est des plus favorables pour les employeurs. Cette approche a le mérite d’être pragmatique dans le cadre de l’entreprise. La prohibition de la cession globale des œuvres futures n’est pas, par essence, en adéquation avec le monde entrepreneurial. Par le biais d’une pratique contractuelle efficace et précise, les professionnels peuvent voir des clauses de la sorte ne pas être frappées de nullité.

Le principe veut que lorsqu’un salarié crée une œuvre de l’esprit dans le cadre de son contrat de travail, ce dernier bénéficie des droits d’auteur sur l’œuvre créée (à l’exception de certaines œuvres comme le logiciel). Si l’employeur veut exploiter les créations de salariés, il doit réaliser une cession des droits patrimoniaux. Cette cession doit faire l’objet d’une mention distincte pour chaque droit visé puisque toujours par principe, les droits qui ne sont pas visés précisément par la cession restent au bénéfice du salarié.

De fait, cette pratique est lourde pour les employeurs. Ces derniers doivent respecter un formalisme conséquent, et il est possible de voir un salarié ne pas ratifier ces documents. Dans le but de contourner la prohibition de la cession des œuvres futures, il est fréquent de retrouver des clauses prévoyant la cession des œuvres de salariés « au fur et à mesure » de leur création. Avec cette décision, la cour d’appel vient donc apporter une nouvelle interprétation de l’article L. 131-3 du CPI (article portant sur le formalisme qu’une cession de droits d’auteur doit respecter). Cette interprétation moins stricte de cet article joue alors directement en faveur de l’employeur.

Si cette décision donne une nouvelle interprétation de l’article L. 131-3 du CPI (concernant le formalisme), elle apporte également une nouveauté en matière de rémunération des droits d’auteur. S’agissant du contrat de travail d’auteur salarié, le principe est la distinction de deux types de rémunération. Ainsi, le contrat de travail doit faire la distinction entre le salaire perçu pour la réalisation de la création et une rémunération supplémentaire en droits d’auteurs concernant l’exploitation de ces droits relatifs à la création. En pratique, cette distinction est difficile à réaliser. Cela tient notamment au fait que ces rémunérations ne sont pas soumises au même régime fiscal ou de cotisations sociales et patronales.

Selon la cour d’appel, cette dernière estime qu’une rémunération forfaitaire ne faisant pas de distinction entre la rémunération de la prestation de travail et la contrepartie de la cession des droits d’auteur est licite. Ainsi, si l’on s’en tient à ce raisonnement, le fait de ne pas distinguer entre le salaire et la rémunération perçue au titre de la cession de droits d’auteur serait, par conséquent, valable. Il convient donc de remarquer qu’une fois encore, la cour d’appel retient une approche pragmatique. Toutefois, elle ne prend pas le temps d’expliciter son raisonnement, ce qui est regrettable.

Si cet arrêt relate le pragmatisme de la cour d’appel, il faut souligner qu’il n’est pas des plus favorable pour les créateurs salariés. Il est fort à penser que cette décision aura des conséquences non négligeables sur la cession des créations de salariés, ainsi que sur la pratique contractuelle en la matière. Cette décision favorise manifestement le monde professionnel au détriment de l’auteur salarié. L’auteur salarié devra donc vraisemblablement se montrer plus vigilant lors de la conclusion d’un contrat de droit d’auteur. Il est également possible de se demander si le mécanisme de l’avenant successif n’est pas plus logique pour l’auteur salarié.

Si cet arrêt a le mérite d’apporter une nouvelle interprétation des articles L. 131-1 (sur le principe de prohibition de cession globale des œuvres futures) et L. 131-3 (sur le formalisme à respecter par une cession de droits d’auteurs) du CPI en faveur de l’entreprenariat, il a également pour conséquence de ne pas l’interpréter in favorem auctoris, qui est pourtant le principe de base de notre droit de la propriété littéraire et artistique. Le fait de revenir sur ce principe peut donc paraître contradictoire, voire négatif, puisque l’auteur n’est plus au centre des préoccupations. Ainsi, il semble important de vérifier la portée qu’aura cette décision dans le futur, puisqu’il se pourrait que l’on assiste à une évolution majeure en matière de cession de droits d’auteur, évolution qui pourrait même aboutir à un nouveau principe : celui de la marchandisation des créations artistiques au détriment des auteurs et des créateurs salariés.

Une nouvelle approche de la cession globale d’œuvres futures d’un salarié, un tournant pour le monde professionnel ?

Giunta Théo, étudiant en M2 Propriété intellectuelle parcours activités culturelles au CEIPI, stagiaire au sein du Cabinet Beau de Loménie à Marseille.

 

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