Actualités,Droit d'auteur,Propriété intellectuelle

DROIT D’AUTEUR : LA DIFFICILE PREUVE DE L’ORIGINALITÉ D’UN OUVRAGE HISTORIQUE (CA Bordeaux, 1ère chambre, 2 mai 2023, n° 20/02868)

par Floriane Codevelle avocate associée et Chloé Chircop, avocate – Cabinet CASALONGA

Par un arrêt du 2 mai 2023, la Cour d’appel de Bordeaux a jugé, de manière assez sévère, qu’un ouvrage historique n’était pas protégé par le droit d’auteur, à défaut pour les appelants d’avoir pu démontrer son originalité.

Dans cette affaire, si les critères retenus par la Cour pour rejeter l’originalité de l’ouvrage nous paraissent critiquables, cette décision met en exergue la difficulté à démontrer le caractère original d’une œuvre.

 

Contexte

En 1998, une société d’édition publiait le premier tome d’une pentalogie sur l’histoire du Pays basque, intitulé Histoire générale du Pays basque : Époque romaine-Moyen âge.

En 2016, une seconde maison d’édition publiait un ouvrage sur le même sujet, sous le titre Histoire du Pays basque.

Estimant que ce dernier ouvrage reproduisait de nombreux passages de l’œuvre première, notamment d’importants extraits textuels et cartographiques, la société d’édition de l’œuvre antérieure a assigné la seconde maison d’édition sur le fondement de la contrefaçon de droit d’auteur.

Les demandeurs ayant été déboutés de l’ensemble de leurs demandes en première instance par le Tribunal de Bordeaux, ils ont interjeté appel de ce jugement.

La Cour d’appel de Bordeaux s’est alors trouvée saisie de la question de la démonstration de l’originalité d’un ouvrage d’Histoire et de son appréciation.

 

Rappel du droit applicable 

Comme le rappelle la Cour d’appel de Bordeaux, en vertu des articles L. 111-1, L. 112-1 et L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle, un récit historique est susceptible de constituer une œuvre de l’esprit protégée par le droit d’auteur, à condition qu’il révèle l’empreinte de la personnalité de son auteur, permettant de caractériser l’originalité de l’œuvre.

Il est en outre constant qu’il appartient à la partie qui revendique la protection par le droit d’auteur d’une œuvre de rapporter la preuve de son originalité.

Par ailleurs, la jurisprudence a établi que l’originalité d’une œuvre doit s’analyser dans son ensemble [1], une combinaison d’éléments banals pouvant, dans leur ensemble, être originale.

Enfin, au niveau supranational, la Cour de justice de l’Union européenne a eu l’occasion de rappeler [2], que l’originalité est caractérisée dès lors que l’œuvre « reflète la personnalité de son auteur, en manifestant des choix libres et créatifs de ce dernier ».

 

Les surprenants critères retenus par la Cour pour rejeter l’originalité de l’œuvre 

En l’espèce, afin de démontrer l’originalité de l’ouvrage en cause, les appelants faisaient notamment valoir que :

« [L’auteur] était professeur, historien, écrivain, et académicien basque français de langue basque et française et qu’en cette qualité, il s’est interrogé sur l’existence du Pays Basque et a répondu à cette interrogation dans son ouvrage ‘Histoire Générale du Pays-Basque’ »

et que

« dans cet ouvrage, l’auteur expose sa propre réflexion autour de la question, laquelle n’est pas partagée par tous les historiens », soutenant « que l’ouvrage en cause ne décrit pas l’histoire du Pays Basque en relatant une succession d’événements mais intègre des apports personnels de l’auteur, nourris par ses recherches et ses engagements politiques » et que « l’originalité de cette approche transparaît notamment au travers de l’organisation des chapitres, des cartes, des dessins et de l’utilisation par l’auteur d’un champ lexical basque ».

Pour conclure à l’absence d’originalité de l’ouvrage en question, la Cour d’appel de Bordeaux rappelle un certain nombre de principes usuels, qu’elle applique toutefois de manière étonnante.

En effet, la Cour énonce d’abord qu’il ne suffit pas qu’un ouvrage soit nouveau pour être original, l’originalité ne se confondant pas avec la nouveauté. Cela est vrai. Toutefois, les juges ont régulièrement l’occasion de rappeler que l’originalité présuppose la nouveauté [3]. Ainsi, si la nouveauté ne suffit pas à prouver l’originalité, il peut en être tenu compte dans le faisceau d’indices servant à l’analyse de l’originalité.

Ensuite, pour répondre à l’argumentation des appelants tenant aux compétences et à la personnalité de l’auteur, la Cour précise que le droit d’auteur ne protège pas l’œuvre eu égard à la qualité de son auteur, mais en raison de l’empreinte de la personnalité de celui-ci.

Pourtant, en l’espèce, la Cour elle-même se fonde sur la qualité d’enseignant de l’auteur pour conclure à l’absence d’originalité de l’ouvrage : « Enfin, le style accessible et pédagogique invoqué, utilisé par l’auteur qui a été enseignant, ne permet pas davantage d’établir l’originalité de son ouvrage ».

L’argument surprend. D’une part, quiconque s’adonne à l’écriture sait à quel point il n’est pas aisé de parvenir à un tel style, qui nécessite, à tout le moins, réflexion, culture et choix, reflétant ainsi la personnalité de l’auteur. D’autre part, en relevant la qualité d’enseignant de l’auteur, on peut se demander si la Cour serait parvenue à la même conclusion si l’auteur avait exercé une autre profession.

En tout état de cause, la profession de l’auteur n’aurait pas dû être prise en compte pour apprécier l’originalité.

Par ailleurs, la Cour semble durcir les critères d’appréciation de l’originalité : l’originalité devrait être suffisamment caractérisée [4], particulière, certaine et s’interpréter de manière stricte [5], ce qui conduit à s’interroger : comment apprécier ce qui, en termes d’originalité, serait suffisant ou non ? Qu’est-ce qu’une originalité particulière et/ou certaine ? Qu’est-ce qui, dans le Code de la propriété intellectuelle, permet de considérer que l’originalité devrait s’apprécier ainsi, de manière stricte de surcroît, alors même que la jurisprudence rappelle qu’il n’y pas de degré dans l’originalité [6] et que le Code énonce que la protection au titre du droit d’auteur est indépendante du mérite [7] ?

Une œuvre est originale ou ne l’est pas. Il apparaît ainsi surprenant qu’un ouvrage historique de plus de 100 pages, alliant un texte organisé sous forme de chapitres et des illustrations graphiques et photographiques, ne puisse être considéré comme tel. Qu’eut-il alors fallu relever de plus qui ne s’apparentait à du verbiage, alourdissant les conclusions des parties, pour démontrer l’originalité ?

De plus, il sera noté qu’à aucun moment la Cour ne se livre à une appréciation globale de l’originalité, se penchant successivement sur les textes puis sur les illustrations, alors même que les appelants soutenaient que l’originalité relevait justement de l’organisation des chapitres, des cartes, des dessins et de l’utilisation par l’auteur d’un champ lexical basque.

Cette décision interroge et les auteurs d’ouvrages historiques, ou plus généralement d’ouvrages autres que purement littéraires, auraient des raisons de s’inquiéter à sa lecture. Pour exclure l’originalité, la Cour relève également que le grand nombre de références de bas de page démontrerait que l’auteur s’est lui-même fondé sur des ouvrages antérieurs. Ainsi, mieux vaudrait éviter de citer ses sources pour ne pas risquer de se voir refuser la protection au titre du droit d’auteur…

 

Conclusion

Prouver et apprécier l’originalité d’une œuvre n’est pas chose aisée.

Cependant, cet arrêt ne se montre pas rassurant quant au degré d’exigence retenu s’agissant de la preuve de l’originalité et des critères de son appréciation.

Cette décision paraît non seulement sévère, pour les raisons explicitées ci-dessus, mais aussi frustrante, à deux titres :

  • la preuve de l’originalité de l’ouvrage n’étant pas apportée par les appelants selon la Cour, cette dernière n’a effectué aucune comparaison des ouvrages en présence au titre de la contrefaçon. Il eut été pourtant intéressant de constater ou non l’ampleur des reprises ;

  • le parasitisme n’a pas été étudié à défaut d’avoir été soulevé par les appelants. Or, ce fondement aurait pu éventuellement permettre aux appelants d’obtenir gain de cause, et de rassurer ainsi les auteurs d’ouvrages autres que purement littéraires sur la valeur de leur travail, qui ne doit pas pouvoir être pillé librement.

[1] Cass. Crim., 20 mars 2018, n°16-84.564.

[2] CJUE, 11 juin 2020, C‑833/18, Brompton Bicycle, §23.

[3] CA Paris, Pôle 5 Ch. 1, 24 sept 2019, n°18/0014.

[4] Extrait de la décision commentée : « le seul fait de ne pas se contenter de reproduire les travaux d’autres historiens ou de développer une approche de l’histoire qui n’est pas partagée par tous, ne caractérise pas suffisamment l’originalité d’une œuvre ».

[5] Extraits de la décision commentée : « Il sera également rappelé que l’histoire elle-même et les faits historiques ne sont pas protégeables par le droit d’auteur, sauf à présenter une particulière originalité, cette condition étant d’appréciation stricte par les juridictions » et « Cependant, les appelants qui procèdent là encore par affirmation, ne précisent pas et ne démontrent pas dans quelle mesure les cartes et dessins en cause ne seraient pas fondés sur des éléments issus de fonds cartographiques communs et manifesteraient une originalité certaine, eu égard à leur composition, leur échelle, les couleurs ou les graphismes employés, qui traduiraient l’empreinte de la personnalité de l’auteur ».

[6] Cass. Civ., 1ère  ch., 30 avr. 2014, n°13-15.517.

[7] CPI, art. L. 112-1.

 

DROIT D’AUTEUR : LA DIFFICILE PREUVE DE L’ORIGINALITÉ D’UN OUVRAGE HISTORIQUE (CA Bordeaux, 1ère chambre, 2 mai 2023, n° 20/02868) par Floriane Codevelle avocate associée et Chloé Chircop, avocate – Cabinet CASALONGA

Author Image
TeamBLIP!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.