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RELATION ARTISTE-EDITEUR : LES CONTOURS JURIDIQUES DE L’EDITION DE SCULPTURES de Olivier de Baecque et Charlotte Scetbon

 

Les galeries et les éditeurs ont des obligations de transparence à l’égard des artistes et de leurs ayants droit. Les éditions de sculptures et cessions de droits d’auteur doivent être strictement formalisées. Un arrêt de la cour d’appel de Paris du 29 mars 2023 le souligne.

Les faits méritent d’être détaillés. Une galerie acquiert trois sculptures en marbre de l’artiste brésilienne Luiza Miller. Elle conclut ensuite un contrat avec l’artiste, l’autorisant à faire exécuter par un fondeur au maximum douze exemplaires en bronze de chacune de ces trois œuvres. En contrepartie, elle s’engage à l’informer de l’exécution des tirages et de leur date d’exécution ; à respecter et faire respecter l’œuvre de l’artiste, toute dénaturation de l’œuvre étant interdite ; à faire détruire le moule par le fondeur à la fin du tirage des douze bronzes et à faire don à la sculptrice d’un exemplaire en bronze de chacune de ces trois œuvres.

En septembre 2003, l’artiste décède. Son ayant droit s’enquiert de l’exécution des tirages. La galerie l’informe ne pas en avoir réalisé.

Entre 2004 et 2011, le galeriste fait réaliser cinq tirages, par surmoulage. Elle n’en informe pas l’ayant droit. Ce dernier en découvre un en 2017 sur le site Internet de la galerie, puis quatre autres à l’occasion des saisies-contrefaçons. L’ayant droit assigne la galerie, afin que soit prononcée la résiliation de la convention et pour atteinte à ses droits d’auteur.

Dans un arrêt du 29 mars 2023, la Cour d’appel de Paris prononce la résiliation de la convention et sanctionne l’atteinte aux droits patrimoniaux et moral de l’artiste.

Dans le contexte très particulier d’une édition de sculptures et d’une succession, l’arrêt est particulièrement intéressant en ce qu’il rappelle les obligations d’une galerie éditrice à l’égard de l’artiste et de ses ayants droit (I) la distinction entre tirage original et reproduction (II) et enfin, la rigueur applicable aux cessions de droits d’auteur (III).

 

 

I. L’obligation d’information des galeries éditrices envers l’artiste et ses ayants droit

Le code civil sanctionne l’inexécution des obligations contractuelles par la résolution de la convention (art. 1123 du code civil). Cette disposition du droit commun conduira artistes, galeries et éditeurs à respecter scrupuleusement leurs engagements réciproques.

En l’espèce, il était convenu que la galerie informe l’artiste à chaque tirage en bronze. L’arrêt précise, d’une part, que cette obligation d’information demeurait au décès de l’artiste. La Cour ajoute, d’autre part, qu’il revient à la galerie, parce que professionnelle, d’être diligente et proactive, et de veiller « au respect des engagements pris à l’égard de l’artiste, en ce compris ses ayants droit ». L’arrêt rappelle ainsi les obligations d’information similaires pour une galerie et un éditeur à l’égard de l’artiste. En l’occurrence elles étaient formalisées par écrit mais elles résultent aussi de la réglementation applicable au mandat et au droit d’auteur.

En outre, la galerie avait l’obligation contractuelle de « respecter et faire respecter l’œuvre de l’artiste, toute dénaturation de l’œuvre étant interdite », ce qui constitue une transposition des dispositions du Code de la propriété intellectuelle : « L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre ».[1] Ainsi, toute modification non autorisée, quelle qu’en soit l’importance, apportée à une œuvre de l’esprit, porte atteinte au droit de son auteur au respect de celle-ci.[2] A titre d’exemple, il est impossible pour une galerie de modifier discrétionnairement le titre d’une œuvre, le format d’un tirage photographique, ou la durée d’une œuvre audiovisuelle d’un artiste. Cela porte nécessairement atteinte aux droits moraux de l’artiste et des dommages et intérêts peuvent être demandés à ce titre.

Plus grave encore, la galerie s’expose à ce que l’artiste demande la résolution ou la résiliation du contrat en cas de manquement à ses obligations. En pratique, cela prive alors la galerie, pour des tirages en bronze, de faire tirer les exemplaires restants, causant ainsi un manque à gagner qui peut être considérable. A contrario, la diligence des galeries et des artistes à respecter leurs engagements contractuels s’inscrit dans un schéma vertueux pour l’ensemble des parties.

Outre la demande de résiliation du contrat, il est possible d’agir sur le fondement délictuel afin d’obtenir réparation en cas d’atteintes portées aux droits patrimoniaux de l’artiste. (II)

 

II. La distinction entre tirage original et reproduction

L’artiste avait accordé un droit de reproduction à la galerie, en l’autorisant à faire exécuter au maximum douze exemplaires en bronze de chacune des œuvres en marbre. Et là, c’est toute la complexité inhérente aux éditions de sculpture, à la notion de tirage original et aux cessions de droits d’auteur qui est explorée par la cour. La première question est de déterminer si ces bronzes, dont l’édition à partir d’œuvres en marbre a été autorisée par l’artiste, peuvent être qualifiés d’œuvres originales ?

La fonte de bronze permet le tirage de plusieurs sculptures. Toutefois, pour qu’ils constituent des tirages originaux, ils doivent être (i) tirés en nombre limité, douze exemplaires au plus, huit plus quatre épreuves d’artiste[3], (ii) à partir du modèle réalisé par le sculpteur ou selon ses instructions et sous son contrôle[4], de telle sorte que, dans leur exécution même, ces supports de l’œuvre portent l’empreinte de la personnalité de leur auteur et se distinguent par là d’une simple reproduction[5] et (iii) que leur exécution soit réalisée par l’artiste lui-même ou sous sa responsabilité. [6] La lecture de cette dernière condition instituée en 2006 semble, a priori, priver les fontes posthumes de la qualité d’œuvres originales. C’est la position la plus prudente. Toutefois, certains auteurs considèrent que si l’auteur a prévu le tirage à partir du modèle, cela répond à la condition qu’il soit exécuté « sous sa responsabilité ».[7] Partant, il pourrait y avoir des tirages originaux posthumes, dans la limite du nombre d’exemplaires fixé.

En l’espèce, l’artiste n’ayant réalisé aucun modèle en cire, le fondeur a procédé par « surmoulage » des œuvres en marbre achevées. Cette technique consiste à créer un moule par l’empreinte d’une sculpture préexistante. Elle est critiquée car elle peut conduire à ne pas bien prendre en compte les détails et changer légèrement les dimensions du bronze final. Le métal se réfracte à la cuisson ; par conséquent, si des tirages fondus à partir du même moule d’origine auront tous la même dimension ; a contrario, par l’effet de la réfraction, le surmoulage pris sur une sculpture originale a une dimension qui n’est pas celle d’un moule d’origine et les tirages qui en résultent ont des dimensions distinctes de l’œuvre originale. C’est probablement ces altérations qui conduisirent l’ayant droit de l’artiste à considérer que la galerie avait commis des contrefaçons. Le tirage issu d’un surmoulage n’est donc pas original.

Mais cela n’implique pas qu’il soit illicite. C’est une simple reproduction. Dans une précédente affaire concernant l’œuvre La Vague de Camille Claudel, le tribunal judiciaire de Paris a considéré qu’il est possible pour le titulaire du droit de reproduction de réaliser des tirages en bronze par surmoulage d’une œuvre achevée, après tout, il exerce sont droit d’auteur comme il le veut. Mais il convient de ne pas les présenter comme des tirages originaux. [8]

Contrairement à ce qui était avancé par l’ayant droit concernant les sculptures de Luiza Miller, la Cour d’appel a considéré que la galerie n’avait donc pas commis de contrefaçon en procédant au surmoulage des marbres. D’une part, il n’existait pas de moule orignal puisque les œuvres originelles étaient en marbre, il fallait donc recourir à une technique de reproduction et le surmoulage fut choisi. D’autre part, la galerie n’avait pas présenté le bronze comme un tirage original : elle avait bien précisé sur son site que la sculpture « est l’un des douze exemplaires légaux réalisés à partir d’un marbre de l’artiste ». Les conséquences sont multiples : financière, le marché préfère évidemment les tirages originaux aux reproductions ; fiscale, une reproduction ne bénéficie pas du taux réduit de TVA ; juridique, enfin, le droit de suite ne s’applique pas aux reproductions.

 

III. Rigueur des cessions de droits d’auteur

En revanche, les représentations non autorisées de photographies des tirages en bronze sur des fiches de présentation et sur le site internet de la galerie ont été jugées contrefaisantes. Le droit d’auteur est très strict ; toute exploitation de l’œuvre qui n’est pas prévue dans l’acte de cession est par principe interdite. En effet, chaque droit cédé par l’auteur d’une œuvre doit faire l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et le domaine d’exploitation des droits cédés doit être délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée.[9] Ainsi, s’il est prévu qu’une œuvre puisse être reproduite en bronze, cela n’emporte pas l’autorisation de la reproduire en cuivre ou en laiton. De même, s’il est prévu qu’elle puisse être représentée sur un support papier, cela n’autorise pas à pouvoir la représenter sur un site Internet ou à la télévision.

En l’espèce, la convention entre l’artiste et la galerie prévoyait seulement la reproduction des œuvres en bronze exclusivement. Par conséquent, la représentation des tirages sur des fiches de présentation et sur le site internet de la galerie sont contrefaisantes. La solution est particulièrement sévère car pour vendre une œuvre il faut bien pouvoir la montrer. En pratique, les artistes tolèrent ces exploitations par leurs galeries à des fins de promotion.

Moralité, galeries et éditeurs doivent spontanément rendre compte de leur activité aux artistes et à leurs ayants droit, être très vigilants avant d’éditer des sculptures et obtenir des cessions de droits précises et par écrit.

 

 

Olivier de Baecque

Avocat à la Cour

 

Charlotte Scetbon

Juriste

Cabinet d’avocats de Baecque Bellec

 

[1] CPI, L121-1

[2] Civ. 1ère, 5 déc. 2006, n°05-11.789

[3] CPI, article R122-3; Code déontologique des fonderies d’art du 18 novembre 1993, article 3 ; Article 98 A CGI

[4] Cass. civ. 1ère, 6 janvier 2021, n°19-14.205 ; Julie Boireau, « Suite de la saga Braque : retour sur l’originalité des fontes posthumes » Les MÀJ de l’IRPI, N° 25, Février 2021

[5] Civ. 1re, 4 mai 2012, no 11-10.763 ; TGI Paris, 31e ch., 20 nov. 2014 (cité dans Dalloz Action, François Duret-Robert, Droit du marché de l’art, 2021-22, §422.31) ; CA Besançon, 28 juin 2001, RG no 97/00299 ; Civ., 22 mai 2019, RG n° 17-28.314

[6] L.122-8 du Code de la propriété intellectuelle ; Dalloz Action, François Duret-Robert, Droit du marché de l’art, 2021-22 §422.27 (Cette obligation a été instituée par la L. no 2006-961, 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information).

[7] P.-Y. Gautier,Propriété littéraire et artistique, 11ème éd., PUF, coll.Droit fondamental, 2019,n° 330

[8] TGI Paris, 31e ch., 19 déc. 2014 ; Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 25 février 2016, 14-18.639

[9] CPI, article L131-3

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